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III. Eléments de compréhension des phénomènes deVFF à Mayotte 113 

III.2. Prédicteurs de violence 116 

III.2.4. Niveau culturel 126 

Le niveau culturel examine les facteurs culturels et sociétaux plus globaux qui influent sur les taux de violence : il s’agit de l’analyse des perceptions qu’ont les femmes et les hommes des violences mises en relation avec des modèles transmis de génération en génération influencés par des systèmes sociaux discriminatoires.

Concepts culturels

Il ressort de la littérature[107] [108], de nos entretiens exploratoires et de nos entretiens de notre enquête qualitative, qu’il existe à Mayotte, plusieurs rites qui sont considérés comme violences aux yeux du droit international, sans l’être aux yeux de la tradition, tels que l’autorité du mari sur sa femme, l’existence de mariages arrangés, l’impossibilité de décider

127 seule d’une séparation, la possibilité pour le père de ne pas reconnaitre un enfant né hors mariage afin de ne pas en avoir la charge financière principalement...

L’intérêt de dénoncer ce genre de pratique par le biais de notre enquête est double à Mayotte : - Lutter contre la perpétuation des traditions contraires aux droits fondamentaux des

êtres humains, mettant en danger la vie des femmes

- Mettre en place une prévention de la répression judiciaire pénale pour les membres de la société mahoraise qui perpétuent ces traditions.

L’accession au statut de département et de région ultrapériphérique (RUP) au 1er janvier 2014 s’accompagne de la transposition des directives nationales et européennes, qui ne tolèreront pas les dérogations à ces principes d’égalités des sexes.

Il est nécessaire de rappeler que nos travaux se sont déroulés dans le respect le plus total des principes traditionnels et culturels mahorais qui ne dérogent pas à ces règles internationales de droit humain, et de respect mutuel, sans jamais l’intention de lutter contre.

Les renseignements pris lors de rencontres avec les femmes interrogées et la littérature législative, nous ont fait entrevoir une nette diminution des pratiques culturelles portant atteinte à la dignité de la femme, comme le droit d’accès aux responsabilités politiques, le droit à la monogamie, le droit de consentir librement à un mariage ou encore le droit à une filiation pour ses enfants.

Cependant, la difficulté d’intégration et de contrôle d’application du droit commun, rendent des situations inacceptables encore présentes, comme le mariage forcé et la considération de la femme comme « faite pour avoir des enfants » comme il était enseigné dans les manuels scolaires de l’IPAM (Institut Pédagogique Africain et Malgache) dans les années 60[107], sans pouvoir accéder à un emploi ou une éducation, ce qui explique que la quasi-totalité des femmes de plus de 50ans à Mayotte sont analphabète en français, et que l’existence sociale des femmes célibataires est quasi nulle.

Le nombre d’enfant moyen et les caractéristiques socio démographiques des femmes de nos échantillons peuvent l’attester.

Il résulte de cette conceptualisation culturelle de la violence une acceptabilité particulière des actes violents, flouant la perception et jouant le jeu de la sous déclaration comme nous l’exprimerons ultérieurement.

Certains concepts traditionnels décrits par exemple au Nigéria, au Zimbabwe ou au Ghana [92], fondés sur la domination de l’homme sur la femme, sont régulièrement repris dans la littérature, en dénonçant la place supérieure de l’homme dans la gestion financière ou la prise de décision comme il est explicitement décrit dans les résultats de notre étude.

Une étude récente a d’ailleurs souligné l’impact majeur de ces considérations culturelles sur l’existence et la perpétuation des violences, en parlant des fausses conceptions de la sexualité (comme l’idée d’avoir un rapport sexuel avec sa femme en échange de cadeau ou l’idée que forcer sa partenaire à avoir un rapport sexuel n’est pas un viol)[109].

L’ensemble des recommandations internationales vont dans le sens d’une lutte contre les concepts avilissants et rabaissant pour les femmes [57], [58].

Cette notion est encore retrouvée dans le rapport multi pays de 2013 de l’OMS, qui précise d’ailleurs la grande variabilité des attitudes des femmes à l’égard de la violence en les caractérisant selon les circonstances dans lesquelles elles estiment qu’un homme est en droit de battre son épouse.

128 Les résultats montrent que si plus des trois quarts des femmes de milieu urbain au Brésil, au Japon, en Namibie et en Serbie-et-Monténégro ont déclaré qu’aucune raison ne justifiait la violence, elles étaient au maximum un quart à le penser dans la province du Bangladesh, en Ethiopie, au Pérou et au Samoa. Dans tous les cadres étudiés, la raison la plus largement acceptée comme justification pour la violence était l’infidélité féminine suivie de la désobéissance simple au mari.

A Madagascar également cette notion a été exploitée, comme le soulignent les auteurs de l'enquête ELVICA : « Au cours de l’enquête démographique et de santé menée en 2003-2004 à Madagascar, il a été demandé aux femmes si elles approuvaient le fait qu’un mari batte sa femme pour certaines raisons : repas brûlé, ordres discutés, négligence des enfants, sorties sans prévenir le mari, refus de rapports sexuels. Dans l’ensemble, plus d’un quart des femmes (28%) sont d’accord avec au moins une des raisons citées. »

La prévalence de la violence dans une société dépend donc de l’acceptabilité sociale de celle- ci, mais également de l’arsenal juridique permettant de condamner les maris violents.

Les femmes violentées peuvent considérer leur situation comme « normale » et dans certaines des sociétés explorées par l’étude OMS (au Zimbabwe, en Afrique du Sud…), par l’étude ELVICA (à Madagascar), par l’étude ENVEFF Réunion, dans des études concernant et selon nos entretiens (exemple de l’entretien E0 : « Ma mère elle était au courant des violences, mais elle me disait tout le temps qu’il fallait que je sois forte et c’est tout. »), ou d’autres études concernant le Ghana[92], les petites filles sont socialisées avec cette idée que leur mari les battra et aura tous les droits sur leur corps. Dans ces conditions, il est très difficile de lutter contre la violence conjugale, elle est alors silencieuse, les femmes n’osent pas se plaindre et bien évidemment encore moins faire appel à la justice.

C’est dans cette optique que le contexte légal et la garantie de son application sont indispensables à la lutte contre ces violences.

Ainsi, tout en travaillant en profond respect des cultures qui peuvent être différentes des siennes, il est nécessaire d’éviter une « essentialisation culturaliste58 » pouvant amener à

une démarche « valorisant toute institution caractéristique d'une culture par respect de toute culture en soi, constituant un obstacle idéologique majeur tant à l'examen analytique qu'à la remise en question des persécutions genrées. »[110]

L’évolution de la répréhension judiciaire des violences sexuelles en France en est un exemple. Ainsi, « Au XIXème siècle, seul le viol collectif est susceptible d’être puni par les tribunaux. En cas de viol par un seul, la fille (ou la femme) est presque toujours présumée consentante : elle aurait pu se défendre »[24].

A l’heure actuelle encore, seuls 52 pays ont fait du viol conjugal une infraction pénale (depuis 1992 en France).

Il a par ailleurs été tenté de recenser au cours d’études internationales, des pratiques intégrées à une vision socio culturelle, qui paraissent comme intolérables aux yeux des acteurs de la lutte, mais encore bien vivaces.

- Un homme a le droit d’imposer sa volonté à une femme et jouit généralement d’une plus grande considération sociale (p. ex., en Inde[111], au Nigeria[112] et au Ghana[113]).

- Un homme a le droit d’infliger un châtiment physique à une femme qui s’est « mal comportée » (p. ex., en Inde[114][49]).

58 Il est à noter cependant que le mouvement culturaliste est un courant de l’anthropologie, centré sur l’analyse

de l’influence de la culture sur la personnalité de base des individus d’une population donnée, et que seule son application déviante caractérisée ici d’ « essentialisation culturaliste » est préjudiciable à l’analyse.

129 - La liberté d’une femme doit être restreinte (p. ex, au Pakistan[115][50])

- La violence physique est un moyen acceptable de résoudre les conflits dans une relation (p. ex., en Afrique du Sud[78][11]).

- La violence entre partenaires intimes est un sujet tabou et le signalement des sévices sexuels est irrespectueux (au Nigeria[112]).

- L’honneur d’un homme est relié au comportement sexuel de la femme. Ici, toute transgression sexuelle déshonore l’ensemble de la famille, ce qui peut alors conduire à des crimes d’honneur

Si ces constats sont majoritairement présents dans des contextes de pays en voie de développement, il est important de souligner que ces considérations sont encore bien présentes en France à l’heure actuelle, comme le montre le récent rapport de décembre 2015 sur les représentations des Français sur le viol et les violences sexuelles [51].

Ainsi 1 Français-e sur 4 (25%) considère « que dans le domaine sexuel, les femmes ne sauraient pas vraiment ce qu’elles veulent par rapport aux hommes », mais également près de 1 Français-e sur 5 (19%) considère que « lorsque l’on essaye d’avoir une relation sexuelle avec elles, beaucoup de femmes disent “non” mais ça veut dire “oui” », et 1 répondant-e sur 5 (21%) estime que « lors d’une relation sexuelle, les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées », cette conception est particulièrement bien représentée chez les 18-24 ans qui sont près d’un tiers (31%) à le penser.

Polygamie

Epineux sujet qu’est celui de la polygamie, qui bénéficie d’ailleurs au niveau législatif français monogame, d’une tolérance exceptionnelle de l’application du droit commun au dépend du droit local.

La loi précise que « Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du ou

des précédents. Le présent article n'est applicable qu’aux personnes accédant à 1'âge requis pour se marier au 1er janvier 2005. Le mariage est dissous par le décès de 1'un des conjoints

ou le divorce ou la séparation judiciairement prononcée. La rupture unilatérale de la vie commune par 1'un des époux est une cause de divorce. Les époux sont égaux dans les conditions et les effets de la dissolution du mariage.»59

Cette loi n’est donc applicable qu'à ceux qui auront atteints l'âge de dix-huit ans après le 1er

janvier 2005 et qui décident de se marier de manière non traditionnelle, mais facilite la séparation, qui ne peut plus se faire de manière unilatérale par l’homme.

Même si des témoignages et quelques résultats de l’enquête qualitative voient en la polygamie une situation satisfaisante et compatible avec une situation de couple idéale, le droit à la monogamie obtenu par la loi d’Orientation pour l’Outre-Mer n° 2003-660 du 21 juillet 2003 est une avancée considérable et incontestable en ce qui concerne les droits de la femme à Mayotte, et la lutte contre les violences.

Il est vu clairement dans nos résultats qualitatifs, que lors des situations conflictuelles, la situation de polygamie ajoute un cadre traditionnel moral à l’emprise physique et psychologique déjà existante. Il en résulte un frein majeur à la séparation, et la mise en danger des femmes afin de contourner les dogmes locaux. C’est le cas de ces femmes interviewées, qui disent partir en métropole, uniquement pour échapper à leur obligation religieuse, sans projet d’insertion, en fuite.

130 Par ailleurs Les résultats de l’enquête quantitative montrent une association significative entre l’existence d’une situation de polygamie et la déclaration de violence, en accord avec la littérature.

Une étude récente menée au Rwanda[116] en 2015 retrouve la polygamie comme un des trois facteurs de risque les plus significatif de violence conjugale (OR = 1.51, p < 0.05), après avoir été témoin de violence conjugale dans l’enfance (OR = 1.82, p< 0.001) et l’addiction à l’alcool du conjoint (OR = 3.13, p<0.001)

La pratique de la polygamie est également considérée comme un facteur de risque de violence, par le reflet de l’acceptation de la domination masculine dans le couple[117].