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V. Les raisons de penser à une sous déclaration des résultats 140 

V.3. Les freins à la déclaration 142 

V.3.1. Sujet tabou aux yeux de la société

Il résulte de nos entretiens le caractère tabou du sujet des violences faites aux femmes.

Le sentiment de honte, la peur de répercussion sur soi et sur ses proches ressortent de cette enquête qualitative, et constitue un frein majeur à la dénonciation des violences.

Ces résultats induisent inévitablement un isolement majeur, renforçant l’obstacle de la libération de parole.

Celles qui ont fait le premier pas pour se sortir de ce rouage de violence semblent adresser, par le biais de cette étude, un message d’espoir à toutes les femmes dans cette situation. L’emprise de la tradition semble avoir un impact majeur sur la sous déclaration, nous permettant ainsi de confirmer l’hypothèse que les sociétés traditionnelles, fondées selon le schéma universel de la domination des hommes sur les femmes fonctionnent sur un modèle patriarcal.

L’insularité et le type d’habitat, associé à une considération sociale de la violence conjugale comme une problématique individuelle, favorisent un isolement et un retranchement de la femme, alors coincée entre une pression sociale et familiale.

L’interconnaissance existante à Mayotte renforce le caractère tabou du sujet, de par la circulation de rumeurs, de commérages résultant d’une surveillance sociale incessante.

Dans d’autres études, cette problématique est également considérée, comme en Guadeloupe[149], à la Réunion[79] ou à Madagascar[59].

L’étude de W. Wester en 2007[150], a mis en évidence des freins à la déclaration des situations de victimes à leur médecin généraliste. Les raisons principales étaient la honte, et la peur des représailles.

Les organisations mondiales travaillant sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans le monde s’inquiètent également de ce phénomène de sous déclaration lié à une acceptabilité de la violence et au caractère tabou du sujet.

Ainsi, dans son rapport multi-pays 2005, l’OMS chiffre la prévalence des femmes maltraitées qui en ont parlé à quelqu’un.

Les résultats sont sans équivoque, les femmes issues de milieux traditionnels ne parlent pas de ces violences autour d’elles « Dans tous les pays, l’investigateur a souvent été la première personne à qui les femmes maltraitées parlaient de la violence »[57]

143 Nos discussions avec les acteurs locaux de la lutte contre les violences faites aux femmes nous on fait prendre conscience du caractère tabou des violences, de la honte pour une femme d’être maltraitée, de la difficulté de réinsertion sociale d’une femme qui aura quitté son mari, ainsi qu’une tolérance de la violence[151] [152] [153] [154]

Un des grands enjeux de ce combat est donc d’arriver à briser ce sentiment de honte, voire de culpabilité de la femme battue, ne plus entendre de femmes nous dire lors d’un questionnaire de l’enquête « Oui il me frappe, mais non, je ne suis pas une femme battue ».

V.3.2. Entourage familial, exploitation de la composante insulaire et uxorilocale

Les données retrouvées dans l’enquête qualitative confirment les premières impressions des entretiens préalables à l’enquête, avec les acteurs locaux de la lutte contre les violences faites aux femmes. On retrouve que la famille est considérée comme un obstacle à la libération de parole, vecteur de la reproduction traditionnelle de la problématique de violence subie.

Des exemples de la littérature s’intéressant aux violences conjugales au Zimbabwe ou en Afrique du Sud, soulignent le fait que les femmes vivent dans un réseau complexe d’interactions sociales plutôt que dans des procédés individualistes. Ce mode de vie peut constituer une acceptation de cette violence, et un frein à leur déclaration.[92]

Encore une fois, la reproduction sociale et familiale de la violence est à prendre en compte dans la sous déclaration des violences. Il est démontré dans cette enquête, comme ailleurs, que l’existence de violence dans l’ascendance de la femme victime, constitue un frein à la dénonciation, par manque de soutien familial, violences caractérisées comme normales, reproductibles et acceptables.

L’héritage culturel et traditionnel est donc lourd à porter devant la difficulté de changement des mentalités quant à la non-dénonciation des violences.

La question de l’existence de variabilité dans l’acceptation des violences en fonction des milieux culturels et traditionnels est à se poser.

Les différents entretiens confirment le fait que ces femmes perpétuent l’acceptation du schéma traditionnel de la domination de l’homme sur la femme, reposant sur l’idée de la dévotion de l’épouse pour son mari. Le statut particulier de la femme à Mayotte n’échappe pas à ces principes, et la violence conjugale a été décrite comme habituelle et normalisée, résultant d’une responsabilisation des colères du mari.

Comme précisé dans le chapitre « Cadre Conceptuel », lors de l’élaboration du questionnaire, un sujet de controverse aura été celui de l’abord des violences sexuelles.

Traditionnellement, les femmes doivent taire leurs envies sexuelles, et ne peuvent montrer leur envie d’avoir une relation que par des apparats extérieurs[108]. Ainsi, lors de l’élaboration du questionnaire, l’abord des violences sexuelles était initialement traduit par « Avez-vous déjà eu un rapport sexuel alors que vous n’en aviez pas envie ». Lors des tests du questionnaire, bon nombre de femmes ont répondu par l’interrogation, précisant que l’acte sexuel n’était de toute façon pas de leur volonté, mais répondait à une envie exprimée de leur mari. Il nous a fallu changer la traduction en incluant la notion de force.

Ainsi, un rapport conjugal non consenti, n’est pas forcément considéré comme une violence sexuelle, mais comme une obligation conjugale.

Cette notion se retrouve dans l’étude ELVICA menée à Madagascar, au cours de laquelle les auteures précisent que « Les femmes ont beaucoup de difficultés à refuser une relation sexuelle à leur mari même si celle-ci est accompagnée d’autres formes de violences. Les

144 entretiens montrent que les femmes craignent que si elles refusent des rapports sexuels à leur mari celui-ci leur soit infidèle. »[59]

Egalement dans l’enquête ENVEFF Réunion, qui note que la dimension physique est souvent la seule dimension prise en compte par les femmes pour définir une situation de violence La composante uxorilocale de Mayotte, avec l’imprégnation constante dans le milieu familial traditionnel, peut également être considérée comme un facteur favorisant la sous-déclaration de violence. Il en résulte un isolement social et une absence d’alternative concernant l’acceptation des violences intra familiales subies.

D. Pourette souligne cette donnée à la Réunion « Le fait de vivre sous le même toit ou de partager une cour ou un terrain avec les membres de la famille ou de la belle-famille favorise non seulement la surveillance, mais également les critiques et les commérages qui constituent parfois de véritables violences verbales, pouvant mener à une mésestime de soi, des tentatives de suicide... »[79]

Comme étudié à La Réunion où la femme est souvent considérée comme celle qui fait « bouillir la marmite », ou aux Antilles[155] où les femmes sont également considérées comme le « poteau-mitan »65 de la maisonnée, on retrouve dans l’étude qualitative ce statut de

femme mahoraise comme gérante du foyer et du budget, décisionnaire en termes d’éducation des enfants. Ici à Mayotte, « La femme mahoraise elle est tout »66, ce qui ne l’empêche pas de

se retrouver confrontée à la décision du mari et du père, considéré comme autoritaire et punitif face à l’épouse et aux enfants.

La problématique insulaire est bien définie dans le rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 2010, qui qualifie les archipels et petites îles dans le monde comme « confrontées à des problèmes liés à leur insularité, à leur dimension et à leurs réalités culturelles, économiques et politiques »[156] renvoyant ainsi à la classification écologique de la violence.

Ainsi, l’insularité combinée à un mode de vie communautaire et traditionnel, dans un contexte d’absence d’autonomie financière, soulignent la difficulté de dénonciation des violences. L’endroit devient insécuritaire, toute fuite salvatrice impossible et toute révolte répréhensible par le mari violent ou la société. Dans ces conditions, et alors que les structures d’aide et les hébergements d’urgence sont bien trop insuffisants et méconnus, il est aisé d’appréhender la sous déclaration, et la mise en danger permanente des femmes victimes de violences.