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D - Un outil de la mesure financière : Les prix de cessions internes

Un prix de cession interne, parfois appelée prix de transfert, se définit comme le prix auquel sont valorisées les transactions réalisées entre les entités d’un même groupe. Ils constituent un prix de vente pour l’en-tité vendeuse et un prix d’achat pour l’enl’en-tité acheteuse, si bien que leur impact est immédiat sur la mesure de performance des entités.

EXEMPLE

Les prix de cessions internes ne sont pas à proprement parler des mesures de performance locales des entités, ils en sont plutôt un élément constitu-tif. Cependant, nous allons voir qu’ils peuvent servir plusieurs des fonctions de la mesure présentées en section 1 et qu’ils sont utilisés de façon très variée. La complexité du sujet justifie donc leur traitement dans un para-graphe spécifique.

a) Les prix de cessions entre entités juridiques

Au sein d’un groupe, les entités juridiques sont légalement tenues de publier des comptes sociaux. En cas de transactions internes, celles-ci doivent être valorisées, car les comptes des entités sont distincts9. À défaut, l’information donnée aux tiers sur les résultats de chacune des entités serait faussée, car les ventes de l’une et les achats de l’autre seraient minorés. La détermination du prix auquel ces transactions sont valorisées a, de la même façon, un impact immédiat sur des résultats des entités.

Dans ce contexte, les prix de cessions internes participent de la logique d’élaboration des comptes, et suivent donc les prescriptions des instances de normalisation nationales et internationales, généralement fortement empreintes elles-mêmes de considérations fiscales. Pour respecter le principe de l’image fidèle, les comptes d’une entité doivent refléter au mieux la réalité des transactions économiques. Il est donc logique que les cessions internes soient valorisées comme elles l’auraient

Figure 3.7. – Les prix de cessions

DIRECTION GÉNÉRALE

Prix de cession

Fournisseurs ENTITÉ Clients externes

B ENTITÉ

A

9. Cette valorisation est en revanche sans impact sur les comptes du groupe, car les tech-niques de consolidation des comptes prévoient l’élimination des opérations intra-groupe.

été sur un marché externe, donc à un prix de marché. De cette façon, la division vendeuse réalise le même niveau de marge que sur un marché externe. On évite ainsi que les groupes jouent abusivement sur les prix de cessions internes pour décider au niveau de quelles entités les bénéfices vont apparaître10.

Dans les groupes multinationaux, de nombreux abus ont pu être observés en matière de prix de cessions, car ceux-ci ont une incidence fiscale impor-tante. Du fait de la territorialité de l’imposition des bénéfices, certains groupes ont pu chercher à ajuster leur prix de transfert pour bénéficier de taux d’imposition favorables et du manque de coordination des instances de contrôle nationales. La réglementation a néanmoins fortement évolué, pour affirmer la prééminence du principe de valorisation dit « de pleine concurrence », qui rejoint l’idée de prix de marché. Par ailleurs, les sanctions en cas de non respect des normes se sont considérablement alourdies, créant un effet dissuasif plus important. Pour un développement technique de ces réglementations et de leur évolution, nous renvoyons le lecteur à des ouvrages spécialisés11.

Au-delà de ce rôle légal, les prix de cession internes peuvent également être utilisés dans une logique de pilotage, comme nous allons le voir dans les paragraphes suivants.

b) Les prix de cessions entre divisions

Une structure divisionnelle pure repose sur l’autonomie et l’indépendance des entités. Dès lors qu’il existe des transactions (produits ou services) entre les divisions, celles-ci ne doivent pas venir perturber l’autonomie des divisions.

Prenons l’exemple de deux divisions A et B d’un même groupe, A fabriquant et commercialisant un composant qui entre dans la fabrication d’un produit usiné et commercialisé par B. Faisons également l’hypothèse qu’il existe un

10. Dans certains cas de figure, un groupe peut avoir tendance à gonfler le résultat d’une entité : négociation avec des banquiers, présentation des résultats d’une entité aux analystes financiers ou à des repreneurs potentiels, etc. Dans d’autres contextes, l’intérêt peut au contraire être de minimiser les bénéfices (taux d’imposition important).

11. Pour un approfondissement de la réglementation fiscale en matière de prix de cession internes, on pourra consulter RASSAT et MONSELLATO (1998).

marché externe pour ce composant. A et B, en tant que divisions, sont des centres de profit, ils sont donc évalués sur la marge que dégage leur acti-vité. A ne peut être obligé de céder une partie de ses composants à B, sinon il n’est plus complètement autonome puisqu’il dépend de B pour une partie de son chiffre d’affaires, et il en est de même si B est obligé de s’ap-provisionner en interne, car une partie de ses coûts dépend alors de A.

Ainsi, dans une structure divisionnelle pure, les divisions doivent être libres du choix entre transaction interne et transaction externe. Elles doivent agir l’une envers l’autre comme des fournisseurs et clients « normaux » sur un marché. Leurs intérêts respectifs étant divergents dans ces transactions, l’arbitrage autour du prix de cession devra être effectué par négociation directe entre les divisions, et s’établira en général de ce fait autour du prix de marché.

Certains groupes cherchent à utiliser les prix de cessions internes pour transformer des centres de coûts ou de revenus en centres de profit.

Imaginons par exemple un groupe très intégré, constitué d’une série d’en-tités de production successives, le produit final étant commercialisé par une entité de distribution séparée. On a affaire à une série de centres de coût et à un centre de revenu.

Négociation PCI

Objectif de profit Objectif de profit

Clients

Clients externes

Fournisseurs externes

DIRECTION GÉNÉRALE

DIVISION A (vendeuse)

DIVISION B (acheteuse) Figure 3.8. – Les prix de cessions entre centres de profit

L’inconvénient de cette organisation est que les entités de production sont très éloignées du client, et que le centre de revenu n’est pas incité à mini-miser les coûts. On peut alors être amené à utiliser les prix de cessions internes pour « remonter le marché » plus en amont dans l’organisation et

« redescendre les coûts » plus en aval. Les prix de cessions vont en effet créer un chiffre d’affaires (CA) internes pour les usines, et des coûts pour les distributeurs. Toutes les entités devront donc gérer la totalité d’un profit.

Toutefois, si on veut être cohérent avec le principe de divisionnalisation, il ne suffit pas de créer un chiffre d’affaires interne pour transformer les entités de production en véritables centres de profit ou, pour exprimer les choses autrement, il ne suffit pas de plaquer la notion de centre de pro-fit sur une entité de la structure pour transformer celle-ci en division. Il faut également que le schéma de prise de décision (la structure organi-sationnelle) soit adapté à cette nouvelle configuration, en l’occurrence que les entités aient toute latitude pour arbitrer entre transaction interne et transaction externe.

Figure 3.9. – Schéma de base d’un groupe intégré Transactions non

c) Les prix de cessions entre entités dépendantes

Certains groupes préfèrent toutefois ne pas déléguer aux entités la décision relative aux transactions internes ou sont dans l’impossibilité de le faire : – lorsque des capacités de production importantes sont installées sur le site de production, une décision d’achat externe par l’entité de distribution risquerait alors de créer une sous-activité coûteuse pour le groupe. Il est alors préférable d’imposer l’achat en interne ;

– lorsque le groupe souhaite protéger les secrets de fabrication de ses usines, il n’est pas envisageable que celle-ci puisse délivrer ses produits librement sur le marché externe ;

– lorsqu’il n’existe pas de marché pour le produit intermédiaire, le fait de laisser les divisions libres du choix de la transaction est sans intérêt, car il n’existe pas d’alternative à la transaction interne ;

– lorsque le groupe veut minimiser ses coûts, il n’est pas dans son intérêt que les deux divisions soient en relations de marché trop strictes, car la marge que réalise alors l’entité vendeuse sur les ventes internes vient grever mécaniquement le coût final des produits, et peser sur leur prix de vente ;

Figure 3.10. – Création de centres de profit au sein d’un groupe intégré Prix de cessions

– lorsqu’il s’agit de services de support (recherche, achats, logistique, etc.) qui prêtent exclusivement leur services aux entités opérationnelles du groupe et ne sont en contact avec aucun « marché » externe.

Dans ces cas de figure, les transactions internes, plus intéressantes pour le groupe ou incontournables, sont imposées aux entités.

À première vue, les prix de cessions internes semblent peu adaptés à ce type de configuration, car on reste dans un schéma de centres de coûts ou de centres de revenus, les entités en maîtrisant pas une partie de leur compte de résultat. Ils sont pourtant fréquemment utilisés, pour des raisons et avec des modes de calcul très différents de la configuration précédente (§ b) :

– la refacturation interne se fait alors à un coûtet non au prix du marché ; – les prix de cessions n’ont dans ce cas pas pour fonction la valorisa-tion d’une transacvalorisa-tion interne, car l’échange étant imposé, il n’y a pas véritablement de « transaction » entre les entités.

Dans cette situation, les prix de cession jouent plusieurs rôles :

– un rôle d’information des entités aval :à défaut de pouvoir responsabi-liser les entités de commercialisation sur un profit, un prix de cessions basé sur le coût réeldes produits leur permet d’être informéesdu coût des produits, ce qui les incite à fixer des prix de vente cohérents avec ces coûts. Le pouvoir d’incitation est certes moins fort que lorsque les entités de distribution sont responsabilisées sur une marge, mais cette solution permet néanmoins de faciliter la communication au sein des groupes très intégrés ;

– un rôle de mise sous tension des entités amont :de la même façon, le fait de « refacturer » ses prestations oblige le service producteur à entrer dans une relation de type fournisseur-client. Ceci permet que les entités de production se soucient du client final, mais également que des services de support perçoivent leur mission en termes de service rendu (à un client interne), ce qui évite des comportements trop bureaucratiques ;

– un rôle de neutralisation des performances respectives :si la première entité de production maîtrise mal ses coûts, ceci va grever mécaniquement les coûts de l’entité située juste en aval dans le processus de production, ainsi que ceux de toutes les entités suivantes. Il est alors difficile

d’apprécier la performance de celles-ci. Un prix de cessions internes basé cette fois-ci sur un coût standardet non plus réel permet alors de neutra-liser les performances des services amont dans les services aval.

On notera toutefois que cette organisation présente des limites évidentes.

Dès lors que les entités sont aussi dépendantes, il est illusoire de vouloir séparer à tout prix leurs responsabilités respectives. À trop pousser cette logique, on crée inévitablement des rigidités et des cloisonnements contraires au besoin de coordination très fort qui existe entre ce type d’en-tités. La logique de « marché interne » sans les conditions d’un véritable marché est donc source de dysfonctionnements.

Ces éléments permettent d’entrevoir la complexité des prix de cessions internes : ceux-ci ont des rôles très différents selon que l’on se situe dans une structure divisionnelle ou en deçà, et leur mode de fixation dépendra de l’usage que l’on veut en faire (évaluation des performances, optimi-sation des décisions économiques). Par ailleurs, des variantes par rapport aux schémas de base existent, même si nous ne les développons pas ici12. Enfin, des enquêtes empiriques ont montré que les pratiques des entre-prises variaient fortement selon les pays, pour des raisons culturelles13. La typologie des fonctions de la mesure de performance locale prend alors toute sa signification, car elle permet de clarifier le contexte dans lequel les prix de cessions s’inscrivent, et donc de construire des mesures de performances plus pertinentes.