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Orientations et divisions du monde : les fondements de la structure des cartes

logogrammes. Les mappemondes médiévales bien que souvent dépeintes comme des représentations spatiales abstraites n’échappent pas à cette règle. Peut-on voir dans l’orientation et la division des cartes de notre étude, les bases d’une structure réfléchie, construite et ordonnée qui soient perceptibles pour les récepteurs ?

Les trois mappae mundi ont ici deux types d’orientations. Les cartes d’Albi et de Gérone ont une orientation à l’Est et la carte du Vatican a une orientation au Sud. Notre conditionnement contemporain fait que nous sommes familiers d’une orientation polaire dont le pôle Nord constitue le point de référence pour nous repérer dans l’espace. Cette considération n’a pas lieu d’être pour les hommes du haut Moyen Âge. En effet ils sont dépositaires de cultures géographiques grecque et romaine qui privilégient des orientations à l’Est voire au Sud2. L’orientation à l’Est sur les cartes des manuscrits 29 et Num. Inv. 7 (11) est renforcée par

1 « Partie I : L’espace, objet de connaissance, objet de pratique – Chapitre 2 : L’espace géographique – 3. Cartes et Plans » dans M. Denis, Petit traité de l’espace : un parcours pluridisciplinaire. Bruxelles : Editions Mardaga, 2016. p.37-39.

2. Les origines antiques dans l’orientation de cartes au Sud sont sujettes à interrogation. Pour les orientations à l’Est, il existe deux courants. Le premier fût prôné par Konrad Miller qui voit dans l’orientation à l’Est, la copie de représentations de l’époque romaine. Le deuxième courant fût porté par Ferdinando Castagnoli qui voit dans l’orientation à l’Est des mappemondes médiévales la manifestation du christianisme triomphant. Partie II, 3, II.2 Les grands systèmes d’orientations. « a. L’orientation au Nord » - « d. L’orientation à l’Est. » dans P. Arnaud, La

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l’écriture des toponymes qui se lisent pour la grande majorité d’entre eux dans le même sens. Il n’en va pas de même pour la carte du Vat. Lat. 6018 où les termes inscrits se lisent dans plusieurs sens. Ce dernier point a donné lieu à plusieurs controverses quant à l’orientation de la

Mappa du Vatican1.

L’orientation des cartes se voit complétée par la division de l’orbis terrarum. Nous présentons ci-dessous une comparaison de ce partage du monde tel que figurée sur les trois mappemondes.

La sphère terrestre est communément divisée en trois parties que sont l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Cette division est matérialisée par des éléments de géographie physique. La figure schématique placée au centre de la figure ci-dessus présente les traits de séparation. Le fleuve Tanais2 en rouge marque la limite entre la partie européenne et l’Asie. Le fleuve Nil en jaune nous sert de marqueur pour situer l’aire qui délimite l’Asie de l’Afrique3. Enfin, la mer

cartographie à Rome. Th. Etat. Paris, Atelier National de Reproduction des Thèses – Université Lille III,

1991. p.468-470 ; p.489-502.

1. Ces controverses furent liées en partie à la transcription de Youssouf Kamal qui a orienté la carte au Nord. L. S. Chekin, « Easter tables … », art. cit., p.13 et « note 3 » p.20.

2. L’actuel fleuve Don.

3. Il est à souligner cependant que l’Egypte est présentée en Asie dans les descriptions antiques du monde. C’est le cas chez Paul Orose « Africae principium est a finibus Aegypti urbisque Alexandriae ubi Parethonium ciuitas

sita est [..] » Orose, I.2, 8, d’après le texte établi dans P. Orose, M.-P. Arnaud-Lindet, « Histoires … », op. cit., p.

14. Ainsi l’aire situé à l’Ouest d’Alexandrie est plus propice à servir de division. Pour comparer cette séparation entre les trois cartes, nous avons pris le Nil comme point de repère.

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Méditerranée1 en bleu, matérialise la séparation entre l’Afrique et l’Europe. Le schéma de la figure 5 n’est pas sans rappeler les mappemondes schématiques de type T-O. Cependant, il ne faut pas voir dans ce type de carte une spécificité de la symbolique chrétienne2. En effet, la division du monde en trois parties, basée sur ces limites géographiques se retrouve chez les premiers géographes et cartographes grecs3. Les trois cartes partagent cette même division avec, comme nous venons de le voir, des représentations de ces séparations propres à chacune s’adaptant au format.

Ce découpage du monde a-t-il une influence sur la répartition des données inscrites4 ? Le format offre au concepteur de la carte la possibilité de remplir cet espace. Si la densité varie d’une carte à l’autre sur une échelle globale qu’en est-il pour les trois parties du monde connu ? Observe t’on une répartition égale ou une aire géographique est-elle plus détaillée ? Les mappae ayant été produites en Occident, c’est tout naturellement que l’on s’attendrait à voir un déséquilibre dans la répartition des données avec la plus forte densité en Europe. Or, notre analyse comparée qui s’appuie sur le tableau ci-dessous, tend à montrer que cet écart n’est pas tant disproportionné.

Tableau 9 : Répartition des éléments inscrits dans les parties de l’orbis terrarum5

Partie Mappa Albi Mappa Vatican Mappa Gérone

Asie 21 53 31

Europe 21 53 49

Afrique 8 32 10

Tableau 9 : Répartition des éléments inscrits dans les parties de l'orbis terrarum

Sur les trois cartes les écarts de répartitions ne sont pas si importants entre les termes inscrits en Europe et en Asie, ils sont même identiques sur les mappae d’Albi et du Vatican. Les différences sont plus notables concernant l’Afrique. Cette partie du monde apparait comme la moins abondante pour les données répertoriées. Pourquoi un tel déséquilibre ? Si on observe le découpage de l’orbis terrarum sur les trois cartes, nous constatons que la partie africaine présente la plus petite surface sur les trois cartes. Cela est commun dans les descriptions et

1. Dénommée Magnum sur notre schéma.

2. P. G. Dalché, « L’héritage antique … » art. cit., p.53-58.

3. On retrouve cette division dès le VIᵉ siècle avant J.-C., dans les travaux d’Anaximandre de Milet, considéré d’après la tradition grecque comme le premier cartographe. Dans C. Jacob, Géographie et ethnographie en Grèce ancienne. Paris, Armand Colin, 1991. p.35-39.

4. Nous avons traité des données toponymiques inscrites par commodité, les représentations figurées sous forme de logogrammes étant plus sujettes à des erreurs d’interprétation.

5. Pour un détail des éléments, voir : « Tableau 36 : Détail de la répartition des éléments inscrits dans les parties de l’orbis terrarum. » - Annexes, vol.II, p.LXXVI.

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représentations de la sphère terrestre. L’Afrique est principalement connue et habitée sur un axe qui va de l’Ouest d’Alexandrie à la façade atlantique de la Maurétanie1 encadré par la Méditerranée et la bande désertique sahélo-saharienne actuelle. Si les cartes n’ont pas pour objet de montrer l’étendue spatiale du monde mais d’être des supports de données, il n’est somme toute pas incorrect que l’Afrique présente une surface moins importante que l’Asie et l’Europe2.

Les écarts de répartitions peuvent être liés aux connaissances du concepteur et/ou ses objectifs et choix dans la représentation du monde. N’ayant pas connaissance des concepteurs et de leurs bains culturels, il apparait impossible de proposer et justifier ces répartitions de données par cette approche. Par conséquent, nous nous sommes éfforcés de suivre la division en trois en incluant les éventuelles erreurs de localisations3. Si notre répartition écarte ici les représentations sans mentions, elle n’exclut pas le fleuve Tanais présent graphiquement sur la

Mappa de Gérone sans inscriptions. Limite entre l’Europe et l’Asie, ce fleuve a été comptabilisé

en Europe. Le Nil et l’Egypte qui partagent la séparation de l’Afrique et l’Asie avec la péninsule du Sinaï, ont été placés en Asie.