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Les éléments de légende témoins des influences graphiques ?

À travers les différentes images que nous avons étudiées nous nous demandons quelles indications sur d’éventuelles influences graphiques elles sont susceptibles de livrer ? Cependant, au même titre qu’il est difficile de trouver des traces des concepteurs sur les trois

1. E. Edson « World maps … », art. cit., p. 32. 2. « Insola Laperbana » sur la carte.

3. Cette île évoquerait l’actuelle île du Sri Lanka en Océan Indien.

4. « C » dont ne sait s’ils figurent ici des centres urbains ou reliefs. Ils ne sont représentés que dans une partie de l’île. Isidore de Séville précise que seule une partie de l’île est habitée par les hommes, ce qui justifierait la présence de ces « C » - « […] partem uero homines tenent » XIV.6, 12 (extraits). D’après le texte établi dans Isidore de Séville, O. Spevak, « Étymologies Livre XIV. » op. cit., p. 110.

5. « Taprobane insula Indiae subiacens ad Eurum, ex qua oceanus Indicus incipit, patens in longitudine

octingentis septuaginta quinque milibus passum, in latitude sescenta uiginti quinque milia stadiorum. Scinditur

amni interfluo, tota margaritis repleta et gemmis. Pars eius bestiis et elephantis […] », Isidore de Séville, XIV.6,

12 (extraits). D’après le texte établi dans Isidore de Séville, O. Spevak, Ibid., p. 110. Nb : les indications en gras sont celles qui évoquent les mentions présentes sur la carte suivante : « Lon DCCC LXXV Mil pas », « Lat DCXX

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mappae mundi, il est encore plus complexe de préciser les influences d’encodage sur ces mêmes

mappemondes1.

Si les trois représentations spatiales présentent des similitudes dans l’emploi de logogrammes pour légender la sphère terrestre, elles développent chacune des spécificités propres. Dès lors, est-ce que les conventions graphiques des cartes renvoient à des modèles identifiés ? Nous l’avons vu, il est difficile de trouver des exemples médiévaux pour les trois cartes car elles figurent parmi les plus anciennes sources connues et conservées en Occident2. De même, si les mappemondes s’inspirent de codes antiques, il apparait compliqué de retrouver les originaux ayant pu servir de modèles. Les compositions des trois mappae mundi renverraient à des modèles antiques et pour chacune des cartes, des exemples ont été proposés. Ainsi, la

Mappa d’Albi avec sa structure symétrique, ses mentions et ses traits schématiques aurait pour

original une « mappemonde romaine plus ancienne, dont elle a conservé, sans plus les utiliser, les découpages orthogonaux régionaux3 ». Cette observation de Pascal Arnaud résume les

hypothèses sur la carte. Cependant, face à l’absence d’un original antique similaire, nous ne pouvons avancer d’autres hypothèses. La délimitation des « régions-provinces » apparait comme un élément graphique renvoyant à la période antique romaine4. Ce découpage est aussi présent sur la Mappa du Vatican et sa composition graphique fût présentée à tort comme étant la carte d’Isidore de Séville datée du VIIᵉ siècle. Proposition qui inscrivait cependant la mappemonde comme une conception du haut Moyen Âge. La Mappa de Gérone est elle aussi graphiquement liée à Isidore par la présence comme sur la carte du Vat. Lat. 6018 de la mention et de la figuration d’une quatrième partie de l’orbis terrarum. Cette dernière présente cependant des influences graphiques empruntées à l’Art mozarabe. Ces influences ne se limitent pas à la carte et concernent toutes les illustrations du Commentaire de l’Apocalypse de Gérone. Ces influences feraient-elles de la mappemonde la plus propice des trois représentations spatiales à authentifier d’éventuels apports picturaux du haut Moyen Âge5 ?

Les relevés de symboles doivent pallier aux manques de sources graphiques antiques conservées et ayant pu servir de modèles. De plus, notre étude a démontré les interactions entre données inscrites et données représentées. C’est pourquoi il nous parait plus que pertinent

1. Voir supra, p. 41-47.

2. « Table 18.4 Survey of representational styles of selected Medieval Maps » dans D. Woodward, « The history

of cartography … », op. cit., p. 327.

3. P. Arnaud, « Plurima Orbis Imago … », art. cit., p. 37. 4. P. G. Dalché, « L’héritage antique … », art. cit., p. 41.

5. « Chapter III. The illustrated Commentary » dans J. Williams, « The illustrated Beatus … », vol.I, op. cit., p.31- 102.

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d’associer ces éléments d’encodage graphique aux mentions inscrites sur les trois mappae

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III – La carte support d’une certaine mise en ordre du monde ?

Notre étude a démontré que les mappae mundi d’Albi, du Vatican et de Gérone bien que produites au haut Moyen Âge font appel à des savoirs descriptifs antérieurs. Dès lors, nous nous demandons si les cartes participent à une certaine mise en ordre du monde et à quels temps renvoient les trois représentations spatiales ? Notre propos est ici de préciser quels éléments peuvent témoigner d’apports antérieurs et contemporains aux concepteurs médiévaux. Notre questionnement s’appuie sur une confrontation entre les termes présents sur les trois mappemondes et les termes des penseurs présumés à l’origine des choix de figuration dans l’optique de mettre en lumière les éventuels partages de connaissances et différences. Dans un premier temps, nous nous demandons si le monde représenté sur les trois cartes faisant appel à des toponymes hérités de l’Empire romain est sanctuarisé, est-ce là, la mise en image d’un temps révolu mais immuable ? Ensuite nous abordons les éléments qui participent à une vision chrétienne de l’orbis terrarum. Les cartes par l’insertion de références bibliques illustrent-elles l’alliance entre savoirs païens et savoirs religieux ? Enfin, notre approche offre la possibilité d’interroger les cartes et de se demander si elles sont anachroniques pour autant ? Si les cartes font référence à des héritages sanctuarisés, elles ne représentent pas tout de ces héritages. Faut- il voir dans ces éventuels manquements les choix pris des concepteurs de mappae mundi face à ce qui est digne d’être connu de leurs points de vue contemporains ?

A/ Un héritage sanctuarisé.

Les différents éléments que nous avons analysés dans le présent mémoire, qu’ils s’agissent de données toponymiques ou de dessins comme les limites, ont mis en lumière le fait que les trois cartes font appel à des connaissances littéraires antiques pour décrire le monde. Pour préciser ces savoirs, nous avons eu recours, en nous inspirant des travaux de Richard Uhden à une comparaison des données toponymiques présentes sur les mappae mundi et que l’on pouvait retrouver dans des textes géographiques d’Orose et Isidore de Séville1. Si jusqu’à présent nous

n’avons utilisé que certains éléments, comment quantifier l’ensemble des données inscrites sur les trois mappemondes ? A cette fin nous nous proposons dans un premier temps de mesurer

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l’apport de savoirs antiques. Ensuite, face au grand nombre de termes renvoyant à l’organisation de l’orbis romanus, nous nous demandons à quelle période de l’Empire romain les données toponymiques renvoient-elles ?