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La Mappa de Gérone au regard des indications géographiques du Commentaire de

La mappemonde contenue dans le Beatus Num. Inv. 7 (11) présente moins de difficultés pour une confrontation avec les textes présents dans le manuscrit. En effet bien insérée dans le cahier 8, la carte vient en illustration d’un passage racontant l’évangélisation du monde par les douze apôtres. Cette approche est aujourd’hui bien établie dans la communauté scientifique. La chercheur Sandra Sáenz-López Pérez1 reprenant les travaux de Gonzalo Ménendez-Pidal2 a étudié le lien entre les mentions de lieux de pérégrinations des apôtres et les toponymes présents sur les mappae mundi des Beatus de la famille IIb. Notre étude focalisant sur la Mappa de Gérone, nous nous sommes concentrés sur l’extrait racontant la « missio apostolorum3 » au fol. 52r° pour comparer les données toponymiques avec celles inscrites sur la carte. Notre propos associe les toponymes présents sur la représentation des douze apôtres des fol. 52v° et 53r°. Le texte du fol. 52r° comprend les mentions suivantes4 : Petrus-Roma, Andreus-AgaIa, Tomas-

India, Iacobus-Spania, Iohannes-Asia, Matheus-Macedonia, Filippus-Gallias, Batholoms- Licaonia, Symon Zelothes-Egyptus, Iacobus Frr dni-Ihlm et Paulo non associé à un lieu. On

observe que les apôtres sont au nombre de onze. Il manque les mentions de Mathias et Jude5. Paul de Tarse6 compté comme le treizième apôtre par la tradition chrétienne, semble avoir occulté la mention de Jude. Ces mentions se retrouvent en suivant sur l’illustration des 12 Apôtres. Chaque figure comporte au-dessus le nom de l’apôtre et son lieu de mission évangélisatrice. La représentation suit l’ordre du texte au folio précédent. On observe seulement quelques changements d’orthographe sur les mentions suivantes : Joanes*-Asia, Filipus*-

Gallias, Bartoloms*-Licaonia et Paulus cm c[..]eris. La figure d’un apôtre est laissée sans

mention, s’agit-il de Mathias ou Jude ? Mathias aurait évangélisé la Judée et la province est présente sur la mappemonde7. Les manques du scribe sur le texte du fol. 52r° sont répercutés

1. S. Sáenz-López Pérez, « The Beatus maps … », op. cit., p.181-186. 2. G. Ménendez-Pidal, « Mozarabes y asturianos … », op. cit., p.225.

3. L’entreprise d’évangélisation des apôtres, d’après S. Sáenz-López Pérez, « The Beatus maps … », op. cit., p.181. 4. Chaque apôtre est associé à un lieu.

5. Juda ou Jude Thaddé est l’un des douze apôtres, non mentionné par Sandra Sáenz-López Pérez et qui n’apparait pas dans le Beatus. « Jude » dans R.-F, Poswick, G. Rainotte, éd., Dictionnaire de la Bible et des religions du

Livre : judaï sme, christianisme, islam. Turnhout, Belgique : Brepols, 1985. p.253.

6. « Paul » dans R.-F, Poswick, G. Rainotte, op. cit., p.334-335. 7. Judea [C2].

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par les illustrateurs sur les fol. 52v°-53r°. Au-delà d’un simple oubli ou d’une omission voulue1 de la part du copiste, est-ce le signe de l’autorité de Senior sur le travail des peintres et de l’écrit sur l’image ?

La relation entre le texte sur les apôtres et leurs représentations qui suit semble évidente. Quand est-il des mentions inscrites sur la mappemonde ? Sur les 10 mentions de lieux répertoriés dans le texte au fol. 52r° et sur l’illustration aux fol. 52v°-53r° seuls 8 éléments sont présents sur la carte. Nous pouvons retrouver les termes de Roma [B2], India [D1], Gallecia [A3], Asia(minore) [A1], Macedonia [B2], Gallia Belgia [A2] - Gallia Lugdunensis [A3]2 et

JHerIN [C2]. Il faut ajouter Iudea [C2] même si cette mention est absente du texte et de

l’illustration précédente. Ces 8 éléments paraissent anodins face aux 87 éléments inscrits sur la Mappa. Si les lieux de pérégrinations sont mis en avant sur l’illustration des douze apôtres, ils semblent moins importants en regard du nombre de données répertoriées sur la carte. La carte est présentée comme la mise en image de l’évangélisation du monde par les disciples de Jésus-Christ3. On observe alors une hiérarchisation des informations présentes sur la

mappemonde. En effet cela place les autres données toponymiques comme entrées secondaires servant à contextualiser l’orbis terrarum et ainsi mieux englober d’un seul regard l’application de la missio apostolorum.

La relation complémentaire qui existe entre le texte du Commentaire de l’Apocalypse et les illustrations influence notre analyse. L’association entre les pérégrinations des apôtres et les

mappae mundi se retrouve dans l’ensemble des Beatus. L’œuvre copiée renvoie à un modèle

bien établi qui, s’il connait parfois des variations est plus que souvent fidèle à l’organisation originale4.

Confronter les textes présents dans les manuscrits avec les mentions figurées sur les trois mappemondes s’avère être une méthode délicate. En effet, notre analyse est ici régressive, le choix des textes présents au sein des manuscrits pouvant témoigner d’un lien avec les cartes répond à des sélections, des choix de notre point de vue contemporain. Nous sommes influencés de plus par la dimension géographique et spatiale mise en image, dimension qui ne touchait peut-être pas autant les concepteurs et lecteurs des mappae mundi et des manuscrits objets de notre étude.

1. Sur l’ensemble des Beatus de la famille IIb. Juda/Juda est absent. Dans S. Sáenz-López Pérez, op. cit., p.183. 2. Nb : pour Gallias.

3. S. Sáenz-López Pérez, « The Beatus maps … », op. cit., p.181-182. 4. J. Williams, « The illustrated Beatus … », op. cit., p.19-30.

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Il est à souligner que dans les trois manuscrits aux contenus et structures différentes, on relève la présence en plus des représentations de l’orbis terrarum, de récits ou illustrations de l’histoire du monde. Nous avons ainsi confronté dans le manuscrit Vat. Lat. 6018 les données toponymiques de la Mappa et de la Chronique. Action que nous n’avons pas réalisée pour les deux autres ouvrages de l’étude. Les manuscrits 291 et Num. Inv. 7 (11)2 disposent aussi de

textes évoquant l’histoire du monde découpée en six âges. Si la situation de ce récit varie au sein des trois ouvrages, il est important de souligner que les cartes ne sont pas les seuls supports incorporant des données toponymiques pour représenter le monde.

C/ La carte qui raconte son histoire.

Ce dernier temps aborde la question qui fait rêver chaque chercheur en histoire de la cartographie, à savoir est-ce que les mappae mundi comportent des indications pouvant nous informer sur leurs éventuels concepteurs et lieux de productions ? Au-delà de seuls termes toponymiques figurés sur les cartes, peut-on traquer d’éventuels signes trahissant la marque du ou des concepteurs et précisant le lieu de réalisation de la carte ? Que faut-il alors chercher ? Les réalisations illustrées du haut Moyen Âge ne comportent pas ou peu de signatures3 de leurs concepteurs et il en va de même pour les mappemondes. Il faut donc veiller à ne pas surinterpréter le moindre logogramme suspect et y voir une dédicace car nous ne disposons pas des clés de lecture nécessaires pour les comprendre4. Nous nous proposons de rechercher sur chacune des mappae d’éventuels éléments de réponse à ces interrogations.

1. « Incipit cronica S. Isidori abbreviat », fol.25v°-32r°.-Ms.29 (115) soit la même chronique que celle présente dans le Vat. Lat. 6018 et « Incipit de sex etates seculi de chronica beati Ihernymi presbyteri », f.69r. – Ms. 29 (115).

2. « IHIE DNI NSI INU XPI INCIPITENEALOCIA ABADAMUS QUE .PM PERODINES LIBRUM » - Tables généalogiques d’Adam et Eve à l’époque du Christ (illustrations + textes), fol.8r° à 18v°. – Num. Inv. 7 (11). Pour un détail des tables voir : Annexes, vol.II, p.XXXV.

3. « L'examen de n'importe quelle collection du Moyen Âge ou d'époques plus récentes montre combien il y a peu

d'œuvres que les textes d'archives ou la signature de l'artiste authentifient. Pour nombre d'entre elles, il n'existe même pas d'indication ancienne, contemporaine de ces œuvres, qui puisse nous fournir quelque renseignement sur leur paternité. En outre, la signature éventuelle peut être fausse ou désigner sous le nom d'un grand maître une œuvre sortie en réalité de son atelier, et la notice de documentation peut se rapporter à une œuvre différente de celle avec laquelle on croit pouvoir la mettre en relation. » dans E. Castelnuovo, « ART (L'art et son objet) - L'attribution ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 14 Avril 2017. Disponible sur https://www-universalis--edu-com.nomade.univ-tlse2.fr/encyclopedie/art-l-art-et-son-objet-l- attribution/.

4. « La recherche de l’identification » dans J.-R. Gaborit, « ART (L'art et son objet) - L'anonymat dans l'art ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 17 Avril 2017. Disponible sur

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