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La Mappa d’Albi au regard des textes géographiques

La Mappa d’Albi précède un ensemble de textes comportant des mentions géographiques dans le cahier 8 des fol. 58v° à 62v°4. Parmi ces écrits, le plus propice à une comparaison est le texte « Incipit descriptio terrarum » soit le chapitre deux du Livre I des Historiae adversus

paganos d’Orose qui occupe les fol. 58v° à 61v° et suit directement la mappemonde et l’Index.

Ce placement fait que les deux représentations spatiales ont été étudiées par rapport au chapitre géographique qui les suit. Les approches développées ont insisté sur le fait que la carte d’Albi avec seulement 50 termes inscrits n’était nullement représentative du contenu du chapitre deux qui référence environ 300 éléments5. Un autre point soulevé est le manque de lien entre les indications fournies par l’auteur du Vᵉ siècle et le tracé de la carte6. Ces deux constats ne nous

conviennent pas pleinement. En effet, la carte n’est pas forcément l’illustration exacte de toutes les données d’un texte. De plus le format de la carte lié au support parchemin disponible est

1. Saint Jérôme, Liber locorum et nominum. Texte établi dans Von E. Caesarea, Von H. Stridon, G. Röwekamp,

Liber locorum et nominum – Onomastikon der biblischen Ortsnamen. 1re éd. [s.l.] : Verlag Herder, 2017. 464 p.

2. Macrobe, In somnio Scipionis commentarius. Texte établi dans Macrobe, M. Armisen-Marchetti, Commentaire

au Songe de Scipion. Paris : Les Belles Lettres, 2001 ; 2003, 2 volumes.

3. Martianus Capella, De nuptiis Mercurii et Philosophiae, Liber VI. Texte établi dans M. M. F. Capella, B. Ferré,

Les noces de Philologie et de Mercure. Tome VI, Livre VI. : la Géométrie. Paris : Les Belles Lettres, 2007.

(Collection des universités de France, 389), CIII + 416 p.

4. Pour le détail, voir : « Tableau 2 - Ms 29 (115) - détail contenu du cahier n°8 - fol.56r° à 63v° » et son analyse,

supra, p.19-20.

5. D’après Yves Janvier citant les travaux de K. Miller, III 59 et VI 62 dans Y. Janvier, « La géographie … » op.

cit., p.12.

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peut-être un frein dans l’inscription de nombreuses données et oblige le ou les concepteurs de la carte à des choix dans l’inscription des termes1. Tenant compte de ceci, nous avons réétudié

les éventuelles interactions au sein du Ms. 29 entre les deux représentations spatiales et le texte de Paul Orose. Il en ressort les points suivants : des 50 termes inscrits sur la carte, 41 sont présents dans le chapitre deux. Les six fleuves2 et six îles mentionnées3 sur la carte sont tous référencés chez Orose. Parmi les noms de mers sur la carte, seule la mention Oceanum [B4] n’est pas identifiable4. En effet, si l’on retrouve plusieurs mentions d’océans dans le chapitre deux, elles sont accompagnées d’un qualificatif géographique. Sur la Mappa, l’océan est placé à l’Ouest après le détroit de Gibraltar sans mention supplémentaire. Le vent Zephirus [C3] n’est pas présent dans le texte des fol. 58v° à 61v°5. Des trente-cinq éléments mentionnés

sur l’Index seuls trois noms sont absents, les termes Oceanum, Terreum et Dallearicum6. Les

villes de Ravenna [B3] et Antiocia [C2] sont les deux seules des six villes présentes sur la mappemonde7 à ne pas avoir de liens avec le chapitre copié d’Orose. Sur dix-huit termes

relevant de la catégorie des « régions-provinces », seule la région de Iudea [B2-C2] n’est pas présente8. De même l’unique mention de relief Deserto [C2] est absente9. Enfin sur les cinq

mentions référencées comme lieux chrétiens et/ou fantasmés on observe que les termes Sina [C2], Babillonia [C1] et Iherusalemn [B2-C2] sont absents du texte.

Les manques relevés nous orientent vers les conclusions développées par Marie-Pierre Arnaud-Lindet et Yves Janvier. Leurs approches ont présenté la carte comme n’étant pas d’inspiration orosienne complète de par ces lacunes et erreurs de placement10. Maintenant, il

convient de nuancer ces conclusions car le chapitre copié de l’œuvre d’Orose occupe sept folii là où la carte et l’Index n’occupent que deux folii. Il convient d’interroger si le format influe sur d’éventuels choix de la part du copiste, participant ainsi à une production graphique pauvre en références. Une première lecture de la carte face au texte nous laisse perplexe quant à la quantité de données répertoriées et non réemployées par le copiste. Textes et images participent-

1. Voir : « Constructions graphiques et lectures des cartes », infra, p. 48-58.

2. Voir : « Tableau 10 : les fleuves répertoriés – Sources présumées » - Annexes, vol.II, p. XLI-XLIII. 3. Voir : « Tableau 15 : les îles répertoriées – Sources présumées » - Annexes, vol.II, p. L-LII.

4. Voir : « Tableau 11 : les mers et océans répertoriés – Sources présumées » - Annexes, vol.II, p. XLIV-XLV. 5. Voir : « Tableau 12 : les vents répertoriés – Sources présumées » - Annexes, vol.II, p. XLV.

6 Voir : « Tableau 13 & 14 : Éléments figurants sur l’Index : Indeculum quod maria vel venti sunt- Mers – Sources présumées » - Annexes, vol.II, p. XLVI-XLIX.

7. Voir : « Tableau 16 : les villes répertoriées – sources présumées » - Annexes, vol.II, p. LII-LIII.

8. Voir : « Tableau 17 : les ‘régions-provinces’ répertoriées – sources présumées » - Annexes, vol.II, p. LIV-LXI. 9. Voir : « Tableau 18 : les monts, reliefs et déserts répertoriés – sources présumées » - Annexes, vol.II, p. LXI- LXIII.

10. Yves Janvier considère que l’inversion de la Sardaigne et de la Corse, ou le Gange en Ethiopie sont des erreurs graves commises par le copiste. Dans Y. Janvier, « La géographie … », op. cit., p.12.

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ils à des objectifs de compréhension différents mais complémentaires, en ce sens où des représentations globales du monde précèdent une description littéraire de l’orbis terrarum plus précise ? Ne faut-il pas voir dans cette association, la Mappa et l’Index, non pas comme de simples illustrations de textes, mais comme des contenus à par entière1, associés et complémentaires à des productions littéraires ?

Cette hypothèse nous conduit à interroger les textes suivants le chapitre d’Orose dans le cahier 8. La liste de provinces copiée d’un texte de Polemius Silvius au fol. 61v°-62r°. détaille la division provinciale de l’Empire romain2. C’est logiquement que l’on retrouve 12 des 183

« régions-provinces » mentionnées dans ce texte sur la Mappa. Nous retrouvons les mentions4 Italia [A3], Gallia [A3]5, Afriga [C3], Nomedia [C3], Mauritania [C4], Ispania [A4], Agaia [B3], Macedonia [A3], Tracia [A3], Armenia [A2], Egyptias [C3] et Libix [C3]. À ces provinces s’ajoutent les villes de Roma [B3], Ravenna [B3], Cartago [C3], Antiocia [C2] et Alexandria [C2] et les îles de Sicilia [B3], Sardinia [B3], Cursica [B3-B4], Creta [B2], Cypra [B2] et Britania [A4]. Le fleuve Tigre est aussi mentionné dans la liste6. Au total

sur les 50 mentions inscrites sur la carte, 24 sont présentes dans le texte de Polemius Silvius soit presque la moitié des données. La plupart des informations sur la carte, témoignant d’une organisation administrative de l’Empire romain se retrouvent dans le texte « Ominium nomina

provinciarum Romanorum » des fol. 61v°.-62r°.

Quelles informations nous livrent les deux derniers textes à caractère géographique du cahier 8 des fol. 62r°-62v°. ? La « Noticia Galliarum » décrit les villes et différentes provinces composant les Gaules. Le texte « De nominibus Gallicis » liste les noms des différents peuples gaulois. Nous n’avons pas trouvé de termes répertoriés sur la Mappa et l’Index dans ces deux écrits

Au terme de cette analyse, il nous apparait difficile d’établir un lien entre les mentions présentes sur les deux représentations spatiales et les textes suivants du manuscrit 29. Cela étant, le cahier semble construit autour d’un bloc géographique dont l’ordre des cartes et textes nous évoque une progression. La Mappa et l’Index, s’ils ont une faible densité de données représentent l’orbis terrarum dans son intégralité, visible d’un seul regard. La description de Paul Orose décrit ce même monde plus en détail. La liste de Polemius Silvius présente ensuite

1. Pouvant être compris seuls sans lectures additionelles.

2. Une transcription latine est présente dans A. Riese, Geographi latini minores ; collegit, recensuit, prolegomenis

instruxit. Heilbronn, Henninger, 1878, p. 130-132.

3. Voir : « Tableau 17 : les ‘régions-provinces’ répertoriées – sources présumées » - Annexes, vol.II, p. LIV-LXI. 4. Nb : Nous avons écrits les mentions telles qu’elles sont sur la Mappa et non sur la liste de Polemius Silvius. 5. On relève la mention « Item Galliarum » qui précède les mentions de toutes les provinces des Gaules. 6. « Tigrem » fol.62r° – Ms. 29 (115).

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la division administrative de ce que fût l’Empire romain. Enfin les Notices des Gaules décrivent une aire plus régionale. Cela crée un effet d’entonnoir. Le lecteur part d’une vision micro où il embrasse le monde dans sa globalité1 pour arriver progressivement à une lecture macro d’une aire plus localisée2.