• Aucun résultat trouvé

a une orientation argumentative inverse ou une force argumentative inférieure à celles de X

Modificateurs déréalisants et modificateurs réalisants

2. a une orientation argumentative inverse ou une force argumentative inférieure à celles de X

Si XY a une force argumentative supérieure à celle de X, et de même orientation, Y est un modificateur réalisant »1

La première condition exige que le syntagme XY, i.e. le syntagme associant le modificateur et le prédicat, ne soit pas senti comme contradictoire. Cette condition que pose Ducrot est contestable pour deux raisons :

1

a) Elle utilise, contrairement aux hypothèses radicales de l’ADL qui interdisent d’utiliser les notions de logiques dans la description sémantique de la langue, la notion de contradiction.

b) En stipulant que le syntagme XY ne doit pas être senti comme contradictoire, cette condition repose sur une sorte d’intuition : l’intuition de la contradiction, intuition qu’on peut ne pas se partager.

En effet, Ducrot voulait, en posant cette condition, distinguer les modificateurs des déterminations qui mettraient en négation les prédicats sur lesquels elles portent. En disant par exemple Le trafic au Caire est insupportable : les

voitures avancent sans bouger !, on fait porter sur le prédicat avancent une

détermination qui fait avorter son potentiel argumentatif en le mettant en négation. Ce genre d’expression admet l’utilisation de Pourtant1 qui pourrait

marquer l’exception : les voitures avancent, pourtant elles le font sans bouger. En produisant cet énoncé, on fait exception à une certaine règle pour pouvoir donner une bonne représentation du trafic bloqué. Or, avec les modificateurs déréalisants par exemple, il n’est question de faire exception à aucune règle, il s’agit simplement d’atténuer ou d’inverser une orientation argumentative inhérente au prédicat.2 Ceci dit, on ne peut pas utiliser un marqueur d’exception pour relier un prédicat à un modificateur déréalisant.

Selon la deuxième condition, il y a deux formes de modificateurs déréalisants :

1

Il s’agit ici de Pourtant en tant que marqueur d’exception, l’utilisation de Mais dans ce contexte n’étant pas possible. Voir

M. Carel, Vers une formalisation de la théorie de l’argumentation dans la langue. Thèse de doctorat de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1992. Pour les incidences de la signification des marques sur le sens du discours et les modifications qu’ils introduisent sur l’interprétabilité de textes, voir C.Rossari,

Connecteurs et relations de discours : des liens entre cognition et signification, Presses universitaires de Nancy,

p.20.

2

Dans notre chapitre sur les blocs sémantiques, on a vu que les enchaînements argumentatifs en pourtant appartiennent à l’aspect transgressif qui est aussi argumentatif que l’aspect normatif, tous les deux faisant partie du même bloc sémantique sans aucune supériorité argumentative prétendue de l’un par rapport à l’autre.

modificateurs déréalisants atténuateurs et modificateurs déréalisants inverseurs. En revanche, les modificateurs réalisants n’ont qu’une seule forme : renforçateurs

On voit bien que la découverte des paires XY où X est modificateur déréalisant par rapport à Y repose sur un critère fondamental : la possibilité d’énoncer « X, Mais XY » sans avoir une raison argumentative précise d’opposer X à X Y. De même, le critère permettant de découvrir le modificateur réalisant tient à la possibilité d’énoncer « X, et Même XY » sans avoir une raison argumentative précise de renchérir sur X. Or, il faudrait souligner que la distinction entre une opposition indirecte justifiée par une raison argumentative précise liée à une situation discursive complexe et une opposition directe indépendante de toute conclusion argumentative (comme l’opposition entre le prédicat X et le syntagme XY où Y est modificateur déréalisant par rapport à X) se pose ici comme hypothèse externe commandant l’observation des faits, i.e. les faits tels qu’ils sont interprétés par le regard de l’observateur. Car cette hypothèse externe, intimement liée à la théorie de l’ADL, permettra de faire intervenir les concepts de celle-ci (servant d’hypothèses internes) pour rendre compte des faits observés et les expliquer de manière systématique. On choisit d’observer les faits de la manière qui permettrait d’en rendre compte.

Ceci dit, si l’on refusait par exemple d’admettre la distinction entre opposition immédiate sans intention argumentative précise et opposition indirecte amenant aux conclusions discursives opposées, les faits servant à construire la théorie des modificateurs disparaîtraient. Il en est de même pour la notion d’exception à une règle (exception au moyen de Pourtant), dont Ducrot s’est servi pour distinguer l’opposition immédiate au moyen du modificateur déréalisant. Cette notion sert, elle aussi, d’hypothèse externe.

Néanmoins, il est des cas où il est fort possible d’utiliser Mais pour relier deux segments co-orientés vers la même conclusion de telle sorte que le second renforcerait l’orientation argumentative du premier et que tout l’enchaînement serait directement interprétable sans imaginer une situation discursive complexe. Il s’agit d’un Mais de co-orientation argumentative.

Considérons cet extrait de la fable « Le Rat et l’Eléphant »1 :

Se croire un personnage est fort commun en France. On y fait l’homme d’importance,

Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois : C’est proprement le mal françois. La sotte vanité nous est particulière.

Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière. Leur orgueil me semble, en un mot,

Beaucoup plus fou, mais pas si sot.

Le mal français, selon le poète, consiste à se prendre pour une personnalité importante tout en n’étant qu’un homme peu spirituel ou peu galant. Comparant la vanité des Français à celle des Espagnols, La Fontaine qualifie la première de

sotte et la seconde de folle.

Si l’on paraphrase l’énoncé La sotte vanité nous est particulière par l’énoncé suivant :

Les Français ont de la vanité, mais une sotte vanité, quel type d’opposition

s’établit entre le prédicat vanité dans le premier segment et le syntagme sotte

vanité dans le second ?

En effet, il n’y a pas d’opposition entre eux bien qu’ils soient reliés par mais qui, selon sa description argumentative, sert à relier deux arguments anti-orientés en accordant une supériorité au second. De plus, on n’a même pas besoin, pour

1

interpréter tout l’enchaînement, de recourir à un mouvement discursif complexe ou à un scénario indépendant des topoï intrinsèques du prédicat vanité1. Par contre, la conjonction mais relie deux arguments co-orientés dont le second

sotte vanité renforce l’argumentativité du premier vanité.

On est donc en présence d’un modificateur de type réalisant, mais qui échappe à la caractérisation argumentative qui en fait un articulateur d’argumentations anti-orientées.

De quel type de modificateur est-il question dans Les Français ont de la vanité,

mais de la sotte vanité.

Il s’agit ici d’une troisième classe de modificateurs « les modificateurs surréalisants ». Tout comme le modificateur réalisant, le modificateur surréalisant (M.S) « renforce l’applicabilité du prédicat sur lequel il porte, mais il s’en distingue du fait qu’il est possible d’énoncer une phrase X, Mais (X) M.S. sans avoir à chercher une intention argumentative lointaine pour pouvoir l’interpréter.2 »

Le modificateur surréalisant est donc renforçateur de l’orientation argumentative du prédicat auquel il s’applique. Mais à la différence du modificateur réalisant, il ne peut pas être soumis au critère de Même, étant donné qu’il fait allusion au degré extrême de l’échelle argumentative. Il impose aussi certaines contraintes syntaxiques que nous étudierons plus loin dans notre analyse d’une fable de La Fontaine.

1

Il faudrait noter que la seule opposition possible qui puisse exister entre vanité (X) et sotte vanité (XY) serait fondée sur la thèse de gradualité. Imaginons deux énonciations prononcées successivement par le même locuteur et co-orientées vers la même direction, la seconde constituant un surenchérissement par rapport à la première jugée insuffisante par le locuteur pour l’appréhension argumentative de la situation, i.e. l’application de la forme topique appropriée à la situation en question.

2

M.M.Garcia Negroni, « Scalarité et Réinterprétation : les Modificateurs Surréalisants », in Théorie des topoï, kimé, 1995, p. 101-144.

Nous allons tout d’abord étudier les phénomènes linguistiques qui servent ou à réaliser ou à déréaliser l’argumentativité des prédicats, puis nous aborderons à travers nos analyses le phénomène surréalisant pour savoir s’il s’agit d’une classe indépendante ayant ses propres caractéristiques linguistiques qui imposent de la séparer des deux autres.

Il nous faudrait toutefois signaler quelques observations théoriques importantes :

1. La distinction entre la notion de situation argumentative complexe et la notion d’agrammaticalité est à prendre en considération.

Un énoncé du type C’est un ami, mais il est fidèle n’est pas un énoncé argammatical, il faudrait pour pouvoir l’interpréter chercher l’intention argumentative qui se cache derrière l’opposition établie par Mais entre le prédicat ami et le syntagme ami fidèle, opposition qui n’est pas à chercher dans les topoï intrinsèques au prédicat ami, mais plutôt dans la situation discursive.

2. Tous les modificateurs sans exception s’attachent à modifier les formes topiques constituant le sens du prédicat auquel ils sont associés, mais ils ne vont pas jusqu’à introduire dans le sens un topos nouveau.

Dans « Le Lion et le Moucheron 1», lorsque le Moucheron a harcelé le Lion en le piquant à plusieurs endroits de son corps, le poète, pour décrire la réaction du Lion et l’attitude du Moucheron, dit :

La rage alors se trouve à son faîte montée.

L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

1

L’adjectif invisible est un modificateur déréalisant par rapport au prédicat

ennemi, ce que révèle le test de Mais dans :

Ce moucheron est un ennemi, mais un ennemi invisible.

Bien que l’invisibilité de l’ennemi rende difficile tout combat mené contre lui, l’ennemi déclaré ou visible est PLUS ennemi que l’ennemi invisible qui, le plus souvent, n’ose pas manifester son hostilité ou sa haine. Le fait d’expliciter son animosité rend celle-ci plus forte. En revanche, pouvoir cacher son animosité la fait plus ou moins apparaître comme maîtrisable.

Si l’on applique à cet énoncé le test de Même, on aura :

Ce moucheron est un ennemi, et même un ennemi invisible.

Pour interpréter cet énoncé, il faut chercher une intention argumentative particulière qui justifie l’emploi du syntagme même un ennemi invisible, intention qui n’a pas de rapport avec les topoï intrinsèques du prédicat ennemi. Il pourrait s’agir par exemple de certains hommes d’affaires qui, pour recueillir des informations au sujet de leur concurrent fort puissant, envoient un agent qui répond aux conditions suivantes : il est lui-même ennemi de leur concurrent et, de plus, il est connu pour son habileté à collecter les informations sans se faire traquer.

Cet agent est un ennemi de notre concurrent, et même un ennemi invisible. Cependant, l’invisibilité de l’ennemi est fort liée à la difficulté de le poursuivre ou de le tuer, ce qui est le cas du moucheron qui profite de son invisibilité pour harceler le lion sans permettre à celui-ci de l’avoir. Ceci dit, l’adjectif visible met en œuvre une forme topique du type :

Plus l’ennemi est visible, moins il est difficile de le combattre

Quant à l’adjectif invisible, il met en œuvre la forme topique converse : Moins l’ennemi est visible, plus il est difficile de le combattre.

Ainsi, les modificateurs se contentent de modifier les formes topiques sans introduire un topos nouveau.

3. L’utilisation de Mais et de Même comme deux critères permettant de découvrir respectivement le modificateur déréalisant et le modificateur réalisant repose sur la description argumentative de leur comportement dans les propositions où l’on peut déceler une intention argumentative particulière. Cette description qui attribue à Mais la propriété d’anti-orientation et à Même celle de co-orientation s’est étendue vers l’emploi des modificateurs. Le type d’emploi de Mais et celui de Même, en ce qui concerne les modificateurs, suppose cependant l’absence de toute intention argumentative précise, étant donné qu’il ne s’agit pas, dans le cas des modificateurs, de justifier une conclusion déterminée.

L’intention argumentative dirigée vers telle ou telle conclusion n’est qu’un cas, parmi d’autres, de l’argumentativité. Autrement dit, dans le cas des modificateurs, on est en présence d’un autre type d’argumentativité, argumentativité inhérente à la langue.

4. Il faudrait rappeler que les adjectifs ou les adverbes dénommés modificateurs sont uniquement ceux qui « explicitent des caractères dont la présence diminue ou augmente l’applicabilité d’un prédicat »1.

On remarque, notamment dans l’usage contemporain, que l’adjectif peut marquer aussi bien une qualité qu’une relation. Selon certains grammairiens2, l’adjectif marquant une relation s’accommode assez mal de l’expression de

1

O. Ducrot, « Les modificateurs déréalisants », Journal of Pragmatics, 1995, vol. 24, n° 1- 2, p. 145-146.

2

J. C.Chevalier et al, Grammaire du français contemporain, Larousse, 1997, p. 190. Notons que conformément à la théorie des topoï, la gradualité des topoï, constitutifs de tout prédicat, implique la possibilité d’une

application plus ou moins forte de ce prédicat, seulement cette gradualité n’est forcément pas exprimable au moyen du comparatif plus ou l’adverbe très. Il est possible, par exemple, de dire : cette décision est

degrés comme des constructions attributives : il est difficile par exemple de parler d’un décret très présidentiel ou d’une procédure très administrative.