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Chercher la conclusion enchaînée à cet énoncé pour savoir de quelle orientation argumentative s’agit-il

La polyphonie dans la langue 1

B) Distinction entre l’auteur empirique du discours, le locuteur, l’énonciateur

6) Chercher la conclusion enchaînée à cet énoncé pour savoir de quelle orientation argumentative s’agit-il

C’est en se conformant à ces instructions qu’on peut construire le sens de l’énoncé : il s’agit d’un homme qui parle à la déesse de la mort lorsque celle-ci vient le contraindre au trépas présenté comme un départ du monde vers l’au-delà. Ce mourant qui ne veut pas mourir allègue des arguments afin de retarder autant que possible l’heure de sa mort. Il prétend que sa femme ne veut pas qu’il meure.

Il en résulte que la signification de la phrase, étant de nature instructionnelle (et non pas une combinaison d’un sens minimal avec d’autres éléments

provenant de la situation de discours) ne peut jamais, dans cette optique, être un contenu intellectuel susceptible d’être communiqué à autrui.

Pour voir comment la signification, servant d’hypothèse interne, pourrait fournir un modèle explicatif permettant de montrer pourquoi tel ou tel énoncé a

tel ou tel sens, Ducrot et Anscombre y introduisent les variables

argumentatives. Comment peut-on décrire sémantiquement une phrase contenant un morphème comme trop ?

Dans L’Astrologue qui se laisse tomber dans le puits1, le poète, brisant l’élan de son inspiration cosmique pour retomber sur la mésaventure de

l’astrologue, se lance à l’attaque des astrologues Quittez les cours des princes de

l’Europe ; Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps. S’apercevant qu’il

a arrêté un peu trop le fil de son histoire, il dit :

Je m’emporte un peu trop : revenons à l’histoire.

L’emploi du morphème trop a, entre autres caractéristiques, celle d’être réfutative. Le locuteur envisage une certaine conclusion fondée, à un certain niveau des lieux communs, sur un principe selon lequel plus on s’emporte contre quelqu’un, plus on se justifie de le critiquer. Ainsi en qualifiant une certaine attitude O d’emportement contre quelqu’un, on envisage une conclusion R du type On se permet de le critiquer. Or en utilisant le morphème trop qui tend vers une conclusion opposée -R, on donne pour raison décisive contre la conclusion

R, que l’attitude qualifiée d’emportement contre quelqu’un dépasse un certain

seuil ou un certain degré en dessous duquel on pouvait ou, peut-être, devait accepter la conclusion R. Si donc le poète, en s’emportant trop contre les astrologues, a dépassé ce seuil argumentatif, il ne sera plus autorisé de

poursuivre ses critiques contre eux, ce que montre l’énoncé-conclusion revenons

à l’histoire. Cet exemple montre que la signification d’une phrase du type O est trop P ne saurait jamais dire quel est ce degré au dessus duquel l’objet O serait

considéré comme trop P. Elle exige, pour interpréter le sens de l’énoncé de chercher quel pourrait bien être ce degré ou cette limite.

Contrairement à la signification de la phrase, le sens de l’énoncé est un objet de communication.

1

Le sens de l’énoncé, dans l’ADL, est la description de l’énonciation dont il est le produit. Tout énoncé ne se réfère qu’à son énonciation.

Il apporte des indications relatives aux sources de l’énonciation et aux voix qui s’y superposent.

Le sens de l’énoncé montre la force illocutoire de son énonciation. Un énoncé du type : Passez prononcé à l’aéroport par un officier à un passager montre son énonciation comme ayant la vertu ou le pouvoir de rendre licite ce qui ne l’est pas. De même un énoncé assertif du type Pierre est parti prête à son énonciation la vertu d’obliger l’interlocuteur à croire vrai le fait que Pierre est parti.

Pour interpréter un énoncé comme Il fait trop chaud ici, il faut chercher quel type d’acte illocutoire1 effectué afin de pouvoir en déterminer le sens. Il peut s’agir d’une demande d’ouvrir la fenêtre adressée par le locuteur à son

allocutaire.

Quant à l’énonciation, il s’agit, selon Ducrot, de cet événement historique que constitue le surgissement d’un énoncé.

Un énoncé peut décrire son énonciation comme déclenchée ou arrachée à son locuteur lorsque celui-ci est provoqué par un sentiment de joie ou de douleur, comme dans les exclamations et les interjections. Dans ce genre d’énonciation, le sentiment ne fait pas l’objet de l’énonciation, mais se présente comme étant sa cause ou son origine.

Tout énoncé véhicule des indications relatives aux aspects argumentatifs de son énonciation, notamment lorsqu’il comporte des morphèmes susceptibles de restreindre, de renforcer ou d’inverser le potentiel argumentatif immanent.

1

La notion d’acte de langage peut être tenue pour la notion fondatrice de la pragmatique (pragma signifie

action en grec). Cette notion s’est développée dans le cadre des travaux de la philosophie analytique dans les

années 1950, à partir des conférences de John langshaw Austin (1911-1960), et publiées en 1962 sous le titre how to do things with words (Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 1970). Les actes de langage ont fait de très nombreux travaux, parmi lesquels ceux de John Ray Searle (Les Actes de langage, Paris, Hermann, 1972 et Sens

et expression, Paris, Minuit, 1982), qui ont apporté une contribution décisive à la réflexion sur la notion. Sur les

actes de langage ; voir aussi : F. Récanati, Les énoncés performatifs, Paris, Minuit, 1981 et C. Kerbrat-Orecchioni, Les acte de langage dans le discours : Théorie et fonctionnement, Paris, Nathan, 2005.

Ainsi, lorsqu’un énoncé est produit, il donne une représentation de son

énonciation, représentation qui constitue le sens de l’énoncé.1 En effet, il donne, non seulement des indications illocutoires, i.e. des indications sur l’acte

illocutoire accompli par l’énoncé, mais aussi des indications argumentatives, i.e. des indications sur les orientations argumentatives de l’énoncé, et sur les causes de la parole. Etant une qualification de son énonciation, l’énoncé véhicule aussi des indications sur l’origine de son énonciation. Mais, il n’est pas nécessaire qu’elles soient toujours marquées dans le sens de l’énoncé. Ce genre

d’indications relatives à la source de l’énoncé est absent dans les énoncés historiques.2

On voit bien que les distinctions théoriques entre : phrase, énoncé et

énonciation s’inscrivent dans une perspective qui, comme celle de Benveniste, ne réduit pas les relations intersubjectives inhérentes à la parole à la

communication prise au sens étroit, i.e. à l’échange de connaissance, mais elle contient aussi « une très grande variété de rapports interhumains, dont la langue fournit non seulement l’occasion et le moyen, mais le cadre institutionnel, la règle. La langue n’est plus alors le lieu où les individus se rencontrent, mais elle impose à cette rencontre des formes bien déterminées. »3

1

Sur la réflexivité de l’énonciation voir : F. Récanati, La transparence et l’énonciation, Seuil,1979, p. 91.

2

E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard, 1966.

3

O. Ducrot, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972, p. 4. Voir aussi C. Kerbrat-Orecchioni, l’énonciation.

De la subjectivité dans la langue, Paris, Armand Colin, 2002, 4ème édition ; l’auteur décrit systématiquement les traces du sujet parlant dans l’énoncé, c'est-à-dire la subjectivité du sujet parlant dans la perspective de

B. Les instances de discours

Le sujet parlant possède les propriétés suivantes :

1. Il est la source de toute l’activité psycho-physiologique nécessaire à la

production de l’énoncé. En d’autres termes, le sujet parlant est responsable, non seulement de l’activité musculaire qui engendre l’énoncé, mais aussi de

l’activité intellectuelle qui s’exprime à travers la formation de tout jugement véhiculé par l’énoncé. C’est lui qui choisit les mots et met en œuvre les règles de la grammaire pour former son énoncé.

2. Il est aussi responsable de l’acte illocutoire effectué par l’énoncé (ordre, demande, promesse, assertion, concession….etc.)

3. Il a aussi la propriété d’être désigné par les marques de la première personne

(Je, me, le mien, nous….).

Si la thèse de l’unicité du sujet parlant attribue toutes ces activités à un sujet unique, l’ADL les distribue aux instances particulières : l’auteur empirique, le locuteur et l’énonciateur.

L’auteur empirique du discours est son producteur physique dont le rôle est extralinguistique. C’est l’écrivain qui a écrit le texte ou produit ses mots dans leur matérialité.

Quant au locuteur, il réfère à une instance linguistique de premier ordre, puisque c’est lui qui a la propriété d’être désigné par les marques de la première

personne et qui est responsable des actes illocutoires accomplis dans et par l’énonciation. Le locuteur, selon Ducrot, est un metteur en scène qui, dans son discours, distribue les rôles joués par les autres instances discursives. Pour expliciter le rapport entre le sujet parlant et le locuteur, Ducrot s’appuie sur la