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Le Jura est le pays des Joux.

La toponymie atteste l’omniprésence de la forêt sur le massif du Jura.

En effet « Jura » et « Joux » proviendraient d’une même racine celtique jor, juris, relayée par le bas-latin « juria » et le latin médiéval « juria, jurim, joria.»

Comme le rappelle Yves Jeannin60, le terme « jura » préromain, dériverait du gaulois « juris », « hauteur boisée »61, tandis que pour F. Lot62 « joux » signifie « forêt de sapins » mais tous deux « dérivent du même prototype juris » dont le « r » s’est tantôt conservé tel quel , tantôt s’est muté en « l » avant de tomber ; la graphie « joulx » dont on a plusieurs occurrences, en témoigne.

La racine se décline de multiples façons dans la toponymie 63:

joux, jeur, jeurasse, jeure, jeuro, jeux,

joix, jor, jora, jorasse, jorat, joratel, joretta, joragne, jorraz, jorette

jours, joux, juero, jur, jura, jurasse, jurat, jure, juret, juria… auxquels il faudrait peut-être

ajouter « juga » plus directement dérivé du latin « jugum » le sommet, la montagne, le mont, mais aussi ce qui relie, associe, comme le joug – et donc pourquoi pas le « col » ? Ce qui pourrait bien être l’étymologie de « Jougne » …

Les anciens mots locaux « joure, jeure, joie, joux, jure » désignent tous une forêt de haute futaie des régions montagneuses. Dans la seule vallée de Chamonix se rencontrent, et parfois à plusieurs reprises, les toponymes La Joux, Jorasse, le Jorat, les Jeurs, la Jeureuma, le Joret, désignant toujours des lieux situés sur des versants d’ubac, c’est à dire à l’ombre et donc recouverts de forêts le plus souvent de résineux.

Dans la région qui nous occupe, le toponyme « joux » est omniprésent : Joux, La Joux, la Combe de Joux (Les Fourgs), Lajoux, la Noire Joux, la Joux de la Bécasse, Mijoux, la Haute Joux ; Dom Benoît64 rappelle que, dans le langage ordinaire, on disait Saint-Germain

60

Y. JEANNIN, « L’Homme et le Jura dans l’Antiquité », Congrès des Sociétés Savantes, Besançon, 1972, p.139-143

61

A. DAUZAT, CH. ROSTAING, Dictionnaire étymologique des noms de lieux de France, Paris, 1963.

62

F. LOT, La Gaule, Paris, nouvelle édition, 1967, p.187.

63

H.SUTER, Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs,

64

BENOÎT (Dom), Histoire de l’Abbaye et de la Terre de Saint-Claude, Montreuil-sur-Mer, 1890-1891, 2 vol., p.4.

de Joux, Châtel-de-Joux, Saint-Oyend de Joux comme on dit aujourd’hui Saint-Laurent-du-Jura. Yves Jeannin précise que « le terme est encore usité » car « on distingue les joux vertes ou blanches, forêts où les hêtres se mêlent aux résineux et les joux noires, forêts opaques de résineux purs. » 65

L’oronyme « Jura », quant à lui, est mentionné pour la première fois par César pour désigner la montagne qui sépare la cité des Séquanes de celle des Helvètes66 : « undique loci

natura Helvetii continentur : una ex parte, flumine Rheno latissimo et altissimo (…) ; altera ex parte, monte Jura altissimo, qui est inter Sequanos et Helvetios ».

L’oronyme est cité aussi par d’autres auteurs antiques comme Strabon (« Joras »), Pline l’Ancien, Julius Solinus, Ptolémée (« Jurassos ») ; mais on désignait le plus souvent ces montagnes par un adjectif « Jurenses », « montes jurenses ».

Les chartes médiévales offrent une gamme variée des dénominations de la forêt. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, le Cartulaire d’Hugues de Chalon67 donne « jours » pour « joux » (p.489), terre de « Jour » pour « Joux » (p. 615), loca jurensia, in Jura, les Jouz (p.625) ; « Jouz que li abbes et li covent de Saint-Oyend de Jou baillarent en fié et en chasement au Comte de Chalon » (p. 14).

Yves Jeannin constate en effet une confusion permanente entre les termes « joux » et « jura » : ainsi « Sanctus Eugendus Iurensis » est traduit en 1309 par « Saint-Oyand en Juerro » et en 1410, par « Sainct-Oyant de Joux ». Il semblerait pour lui que par métonymie (ici la partie pour le tout) « la joux », c’est à dire la forêt, désignerait la montagne qui porte les forêts, ou « jura ». En effet « Jura » pourrait être un collectif gaulois, de même racine que « joux » qui désignerait la montagne couverte de joux, et Yves Jeannin de développer la thèse qu’ « établir la carte des toponymes en Joux et en Jura revient à redécouvrir les traces de l’extension de la forêt résineuse primitive » et à redéfinir « le contour de cette marche inoccupée »68 qu’est la chaîne jurassienne (Fig. 12)

Quoi qu’il en soit, l’assimilation entre montagne et forêt qui s’exprime dans les mots « Joux » ou « Jura » et le grand nombre d’occurrences de toponymes de ce type montrent assez que la forêt constitue, au Moyen Âge, l’élément essentiel du paysage jurassien et en particulier de la haute vallée du Doubs, situation qui semble perdurer au moins jusqu’au XVIe

65

Y. JEANNIN, op. cit. p. 140.

66

Jules César, Commentarii de Bello Gallico,I,2, 6 et 7

67

B. PROST, S. BOUGENOT, Cartulaire de Hugues de Chalon (1220-1319), publié d’après le manuscrit original du British Museum, Société d’Emulation du Jura, Lons-le-Saunier, 1904.

68

siècle puisqu’en 1592 l’historien Gollut69 précise, en évoquant la région, « qu’on peut aller partout sous le couvert forestier. »

Ainsi sommes-nous renseignés sur la présence, au Moyen Âge, d’un manteau forestier continu et sur l’importance subjective de son étendue ; en l’absence de données métrologiques, il sera bien difficile d’en savoir plus…

Fig. 12 Limites des Joux : toponymes en Joux ou Jura. Yves Jeannin, L’homme et le Jura dans l’antiquité, 1972.

Mais, si nous voulons apprécier de plus près la constitution et l’état de cette forêt médiévale, nous devons nous interroger sur les éléments physiques qui ont conditionné son existence, et nous n’avons d’autre possibilité, au-delà des considérations purement historiques, que de nous adresser aux sciences naturelles.

69

GOLLUT (L.), Les Mémoires historiques de la République séquanoise et des princes de la Franche-Comté

de Bourgogne, Dijon, 1647, nouvelle édition corrigée par CH. Duvernoy, Paris, 1856.