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II.1

LE CLIMAX

Le climax est l’état d’équilibre vers lequel tend tout groupement végétal soumis aux seules forces de la nature, « lois de la lutte pour la vie », selon « le degré de longévité ou d’exigence de ses composantes ». Si l’on observe à l’heure actuelle, dans la zone centrale du Jura, une ligne d’ouest en est, entre Besançon et Pontarlier, on constate une évolution de la composition de la forêt qui fait apparaître un « gradient d’affinité » entre les essences principales et les conditions d’altitude et de climat151. (Fig. 30 et Fig. 31)

Fig. 30 Vigueur de chaque essence en fonction de l’altitude. D’après R. A. Schaeffer, La Forêt comtoise, 1990.

Sur les courbes en cloche obtenues (dont l’étendue traduit la plasticité de l’essence), la limite supérieure est imposée par le froid, parfois le vent ; la limite inférieure traduit des

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R. MOREAU, R. SCHAEFFER, « La descente du Sapin dans le département du Doubs : phénomène naturel ou provoqué par l’homme ? » in Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs, 59, 1955, p. 149-169.

difficultés de réensemencement liées à une concurrence avec d’autres essences ou des conditions climatiques néfastes. Sapin et épicéa qui pourraient se développer à des altitudes plus basses, s’y trouvent en concurrence avec des espèces feuillues étouffantes ; de plus la sécheresse estivale détruit les semis de l’année ou l’année précédente ; les pivots ne pouvant atteindre la profondeur où ils puiseraient leur ration d’eau.

Fig. 31 Constitution probable de la forêt climacique en fonction de l’altitude, compte tenu de la concurrence vitale des espèces entre elles. D’après R. A. Schaeffer, La Forêt comtoise, 1990.

Comment connaître la composition de la forêt primitive qui recouvrait les pentes du Deuxième Plateau et de la Haute Chaîne du Jura ? Le mieux est de se référer aux quelques forêts primitives survivantes.

II.2

LES ENSEIGNEMENTS DES FORÊTS PRIMAIRES SURVIVANTES

L’étude des rares forêts vierges européennes comme la forêt vierge qui couvre le pied des Carpates ou le Karst yougoslave est riche d’informations. 152

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R. SCHAEFFER, « Comparaison entre les forêts jurassiennes et les forêts vierges yougoslaves », in Bull.

soc. Hist. Nat. Doubs, 57, 1955, p.55-71, et Annales des Sciences de l’Université de Besançon, 2e.s, Bot., fasc.4 ;

« La forêt résineuse comtoise », in Actes du Colloque sur la Forêt, Besançon, 21-22 oct. 1966, et Annales Univ.

La forêt qui pousse au pied des Carpates représente le climax des premières pentes du milieu de l’Europe et peut-être même de la plus grande partie du continent ; elle permet une approche vraisemblable, une fois opéré un réajustement altitudinal de 100 à 200 m de décalage. En effet, l’équivalent du Deuxième Plateau, à une altitude de 900 à 1000 m environ, se situe dans le Karst à une altitude de 1100- 1200 m ; la forêt s’y compose de 4/10 de sapin 3/10 d’épicéa, 3/10 de hêtre, sycomore, orme, avec une prédominance de hêtre dans la jeunesse. La régénération se fait convenablement grâce au mélange des résineux.

Il est probable que, compte tenu de la forte pluviosité du Jura, la forêt climacique se composerait ainsi :

- à 400 m d’altitude (bas du premier Plateau), de 80% de hêtre et grands érables, 10% de chêne rouvre, pédonculé et pubescent, 10% d’essences diverses (érable champêtre, charme, tremble, bouleau, fruitiers).

- à 800 m, 60% de sapin, essence de base, 10% d’épicéa descendant jusqu’à 600 m en se raréfiant, de 30% du total de feuillus dont 25% de hêtre et 5% de sorbiers et orme de montagne, etc.

- aux altitudes supérieures, d’une forêt mélangée d’épicéa et de hêtre ; aux altitudes situées entre 1430 et 1450 m d’altitude dans le Karst, le sapin forme les 4/10, l’épicéa les 3/10, avec un semis de sapin faible. On peut en déduire que la forêt-climax dans le Doubs, vers 1200 m, comporte une plus forte proportion de sapin que la forêt actuelle mais le sapin diminuerait peu à peu, alors que l’épicéa devient dominant et que le hêtre reprend de l’importance.

- sur les crêtes soumises aux vents violents aurait régné la hêtraie subalpine après élimination de l’épicéa. On a vu en effet, que le hêtre qui réduit sa surface d’évaporation en perdant ses feuilles, résiste mieux en altitude à la violence des vents d’hiver que les autres essences.

- plus haut, le niveau du pin de Montagne, à l’étage supérieur dans le Sud du Jura est absent dans le Doubs ; il se limite aux tourbières où il pousse en compagnie du bouleau puis de l’épicéa. Pour la région qui nous intéresse, on parle donc globalement de « climax à sapin et épicéa dominants et hêtre subordonné ».

Photo 38: Forêt primaire d’Europe centrale (Carpates) L’implantation est naturelle ; les arbres présentent tous les âges. Cliché ONF

L’enseignement de la forêt primitive survivante est qu’elle se renouvelle par alternance des espèces ; le hêtre « sert de berceau aux jeunes résineux » dit René Schaeffer, alors que « la chute d’un gros résineux ouvre une clairière où germent les faînes ». La forêt reste globalement identique mais un roulement s’opère au sein des essences : « le Hêtre pousse sous l’épicéa, l’épicéa sous le hêtre et le hêtre gagne sur le sapin ». Le phénomène est cyclique : qu’un cataclysme naturel renverse une forêt d’épicéa, la surface déboisée se couvre non d’un semis d’épicéa mais d’une végétation herbacée, puis d’espèces ligneuses comme le bouleau, le sorbier, le sycomore. Mais l’épicéa ne se ressème qu’une trentaine d’années plus tard, et il faut soixante à quatre-vingt ans pour que les résineux éliminent les feuillus. Ainsi peut se former accidentellement une pessière pure à l’état naturel.

Comme le fait remarquer J. Froelich en 1947153, à partir des observations faites dans les Alpes, les Carpates et le Karst : « dans la forêt mixte, on constate que la distribution locale des essences est soumise à des changements perpétuels, en ce sens que le rajeunissement d’une espèce s’opère de préférence sous le couvert d’une autre essence. Dans les peuplements purs d’épicéa de l’étage subalpin, des dizaines d’années s’écoulent souvent jusqu’au repeuplement des vides ». Les difficultés de régénération ont fait l’objet d’études nombreuses ; elles ont mis en cause la fatigue du sol qui fait qu’une espèce se trouve dans l’impossibilité de venir sur son propre terrain après un certain nombre de générations sans assolement »154.

Photo 39: Régénération en zone découverte : « brosse » d’épicéas sous sapin. Photo B. Renaud

Seulement, nous l’avons compris, la forêt climacique n’est en quelque sorte qu’une construction intellectuelle, un équilibre idéal calqué sur ce qu’on peut supposer de la physionomie de la forêt primitive.

Si l’alternance de phases de réchauffement et de refroidissement au cours des âges géologiques a modifié sensiblement la physionomie de la forêt, il est permis de se demander quelle influence ont exercé, à une plus courte échelle, les fluctuations climatiques sur la forêt jurassienne à l’époque historique, et particulièrement au Moyen Âge.

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J. FROELICH, 1947, Pour plus d’information : W. FROEHLICH, « Les enseignements de la forêt vierge », in Journal Forestier Suisse, 98, 8/9,1947, p.318-323 (trad. R. Karschon)

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R. SCHAEFFER, R. MOREAU, 1958, « L’Alternance des essences », in Bull. Soc. For. de Franche-Comté, I, 29, 1, p. 3-12 ; II, 29, 2, p. 76-84 ; III, 29, 5, p. 277- 288, Post-scriptum déc. 1959 ;

B. BOULLARD, R. MOREAU, 1962, Sol, Microflore et Végétation. Equilibres biochimiques et concurrence

biologique, Paris : Masson, 1962, 172 p.

Complément bibliographique : G. WINTER, W. BUBLITZ, 1953, „Untersuchen über antibakterielle Wirkungen im Bodenwasser des Fichtenstreu“, Naturwissenschaft, 40, 12, 1953, p. 417-433.

III LES EFFETS DES FLUCTUATIONS CLIMATIQUES SUR LA