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III LES EFFETS DES FLUCTUATIONS CLIMATIQUES SUR LA FORÊT JURASSIENNE MEDIEVALE

III.2 LE CLIMAT JURASSIEN MEDIEVAL

III.2.1 L’Optimum climatique médiéval

Après la péjoration climatique de l’Âge du Fer, une dégradation vers les VIIe – IXe siècles de notre ère189 fait que le haut Moyen Âge apparaît comme une période de calamités naturelles où la nature est ressentie comme « hostile »190, mais cet épisode s’inscrit dans une phase générale d’amélioration caractérisée par un net réchauffement qui s’amorce dès la période gallo-romaine et se confirme de l’an Mil jusqu’au XIIIe siècle durant lequel les températures d’été ont pu être supérieures de 1° à 1,5°C à celles de l’époque moderne.

On a donné à cet épisode le nom de période chaude médiévale ou « Petit » Optimum climatique (POM)191 par référence au « Grand » optimum Atlantique ou Wärmezeit, optimum climatique holocène des environs de 8000 BP192qui s’est étendu sur plus d’un millier d’années. Précisons toutefois que si le climat semble avoir été assez doux (peut-être plus doux qu’au XXe siècle), les associations floristiques du grand Optimum atlantique, décelées par l’analyse

189

C’est la phase du Petit Maclu 2 ou de Göschenen 2B d’après M. MAGNY, 1992, « Les fluctuations des lacs du Jura et des Alpes françaises du Nord entre 500 BC et 500 AD » in Le Climat entre -500 et +500, Table ronde

du Mt Beuvray, 23-25 mars 1992, Résumé de communication, 29.

190

G. FOURQUIN, 1975, « Le premier Moyen Âge » in Histoire de la France rurale, La formation des

campagnes françaises des origines à 1340, Paris, Le Seuil, vol. 1, 1975, p.291-371.

191

M.K. HUGHES, H.F. DIAZ, « Was there a « Medieval Warm Period », and if so, where and when ? », in Climatic Change, 26, 1994, p.109-142.

192

Deux botanistes Blytt et Sernander, avant même l’analyse pollinique, ont déterminé d’après la stratigraphie des dépôts tourbeux et lacustres, une succession de périodes chaudes (périodes boréales, atlantique, subboréale, qui s’intercalent entre la déglaciation postwürmienne (période préboréale) et le climat plus frais de l’époque récente « subatlantique », le maximum de réchauffement se situant entre 5000 et 3000 avant notre ère. Etant appelé « Optimum néolithique »

pollinique ne se rétablissent pas pour autant. Pour Emmanuel Le Roy Ladurie193, la période la plus favorable du Petit Optimum médiéval, période chaude et sèche, est à situer, en ce qui concerne l’Europe occidentale, entre les années 1080 et 1180 de notre ère.

D’après Pierre Alexandre 194 , la tendance générale de 1160 à 1400 est à l’adoucissement du climat hivernal et à l’accroissement de la pluviosité hivernale liée à la remontée des températures, tandis que, de 1200 à 1310, on constate une nette prépondérance des étés secs (outre quatre épisodes pluvieux). D’après l’examen des fluctuations décennales de la pluviosité estivale, une grande période sèche au XIIIe siècle (printemps chauds) s’oppose à la phase de pluviosité abondante de la seconde moitié du XIIe siècle (printemps froids). (fig.28 A et B). Les poussées de sphaignes hygrophiles qui enregistrent les épisodes humides, dans les tourbières allemandes, n’apparaissent pas.

Les études glaciologiques associées aux données archivistiques confirment elles aussi l’existence d’une phase d’amélioration climatique concernant une période qui s’étend sur quatre siècles autour de l’an mil, des IXe au XIIIe siècles, attestée par une décrue glaciaire qui se manifeste de 750 à 1200-1230 ; le retrait des glaciers alpins corrobore la prédominance des printemps chauds et des étés chauds et secs des années 1220 à 1310 et d’hivers plus souvent doux que dans les périodes antérieures195. Les évaluations très précises des chercheurs helvétiques font apparaître que le glacier d’Aletsch présente un net retrait de 970 à 1300, et plus précisément de 1160-1190 à 1280 (malgré une poussée intermédiaire autour de 1130, liée à une très courte phase de fraîcheur). Le glacier du Gorner, d’après les travaux de Holzhauser, marque quant à lui un recul et un amaigrissement entre 800 et 1120 apr. J.-C avec une rétractation qui dure jusque vers 1280, attribués à une suite d’hivers pas trop neigeux en montagne et à de beaux étés au cours du XIIIe siècle. Simultanément, la courbe de l’englacement du Groenland affiche un minimum entre 1020 et 1200, la moitié sud de la côte orientale étant libre de glaces au XIIe siècle196.

On recense ainsi un certain nombre d’étés chauds (1208, 1228, 1232, 1235, 1244, 1248, 1252, 1262, 1266, 1267, 1272, 1277, 1282, 1284, 1285, 1287/88, 1295/96) voire

193

E. LE ROY LADURIE, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris : Flammarion, 1983, T.2, p.34-39

194

P. ALEXANDRE, Le climat en Europe…, op. cit. p.786

195

E. LE ROY LADURIE, Histoire humaine et comparée du climat, I Canicules et glaciers (XIIIe-XVIIIe

siècles), Paris : Fayard, 2005, p.9.

196

La teneur en O 18 des glaces déterminée par la température qui règne au moment des précipitations, pluie ou neige, donne des informations sur les conditions thermiques contemporaines des précipitations ; le réchauffement des VIIe-XIe siècles est avéré.

exceptionnellement chauds (1205, 1217, 1222, 1236, 1237 et 1241, l’année 1241 se caractérisant en plus par une grande sécheresse qui s’étend du 6 janvier au 20 septembre)197. Rappelons toutefois que les étés très chauds ne sont bénéfiques que si la pluie ne fait pas défaut aux céréales ; quand la chaleur estivale se double d’une sécheresse, un échaudage du grain dans l’épi est toujours possible ; nous verrons plus loin quels effets l’extrême chaleur peut avoir sur les forêts.

Il ne faut pourtant jamais négliger, en matière climatique, la notion de variabilité : les XIIe et XIIIe siècles ne sont pas uniformément chauds et secs. Le POM, en effet, n’exclut pas quelques épisodes pluvieux : le XIIe siècle est partagé entre le sec et l’humide et le XIIIe siècle, malgré une tendance dominante aux étés secs, présente des épisodes pluvieux (1258 par exemple est très pluvieux), mais ce qui entre en compte, c’est la somme de décennies pluvieuses-estivales ; or, de 1200 à 1309, seules deux décennies ( 1250-1259 et 1270- 1279) se caractérisent par un style estival aqueux-frais et cyclonique-dépressionnaire, alors que les neuf autres sont sèches-estivales198.

Certains historiens n’hésitent pas à considérer ces conditions climatiques du Petit Optimum médiéval, si favorables à l’agriculture, comme une cause du progrès économique et de l’essor démographique constatés en Europe occidentale à cette époque-là ; phénomènes qui auraient en eux-mêmes pour effet l’extension des défrichements199.

Le « Beau » Moyen Âge, une période chaude, faste pour l’agriculture.

197

E. LE ROY LADURIE, 2005, op.cit., p.12 cite des données relevées par Van Engelen (History and Climate, p.119)

198

ibidem p.26

199

Ainsi les différentes méthodes paléoclimatiques s’accordent-elles à situer le Moyen Âge central dans une phase de réchauffement (prédominance des printemps chauds et des étés secs) et à considérer le XIIIe siècle comme l’apogée de l’optimum climatique médiéval en Europe de l’ouest, du centre et du nord. Certes, les limites restent encore un peu floues ; on peut les fixer entre 800/900 jusqu’en 1200/1300200, comme le fait Pierre Alexandre201, pour qui l’Optimum climatique médiéval s’achèverait non pas vers 1150-1200 mais vers 1300 ; le XIIIe siècle en serait la phase finale.

Si les positions divergent quant aux limites précises de cette période d’amélioration climatique, un phénomène fait l’unanimité, c’est la brusque dégradation qui survient au XIVe siècle.