III LES EFFETS DES FLUCTUATIONS CLIMATIQUES SUR LA FORÊT JURASSIENNE MEDIEVALE
III.3 LA FORÊT DU HAUT-DOUBS A LA FIN DU MOYEN ÂGE: CONCLUSIONS
III.3.1 Limpact des changements climatiques sur la forêt
III.3.1.1 Létat de la forêt
En ce qui concerne létat des forêts du Haut-Doubs à la fin du Moyen Âge, il est fort peu probable de découvrir un jour des documents écrits révélateurs : une description assez suggestive de la forêt primaire nous est certes donnée dans la Vie de St Romain222 : « Dautre part si quelquun décidait, avec une téméraire audace, de couper à travers les solitudes sans chemin pour gagner le territoire des Equestres, sans parler de la densité de la forêt et des amas darbres tombés, les crêtes très élevées où vivent les cerfs et les vallées escarpées des daims permettraient à peine à cet homme, même robuste et agile, deffectuer le trajet en une longue journée de solstice. » Mais les sources sont bien avares de détails précis... Cette indigence de la documentation nous incite à solliciter le secours des sciences.
On peut penser, en opérant là encore une projection dans le passé qui ne semble pas trop aléatoire, que lépisode de climat chaud et sec des XIe-XIIIe siècles ainsi que la période froide et humide des débuts du Petit Âge glaciaire ont dû modifier la forêt dans son état sanitaire.
Quel est limpact des extrêmes climatiques sur le fonctionnement de la forêt ?
Il apparaît, à lobservation, que les épisodes caniculaires (fortes températures estivales) auraient une incidence limitée sur la physiologie des arbres, le fonctionnement foliaire nétant affecté de manière irréversible quà partir de seuils supérieurs à 40°- 45° centigrades. Mais si la sécheresse interagit avec la chaleur, la réduction, voire larrêt de la transpiration foliaire,
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Vita Patrum Jurensium, Introduction, texte critique, lexique, traduction et notes, F. MARTINE, Paris : CNRS,éd. du Cerf, 1968, p.9. « Ceterum, si quis solitudinem ipsam inviam contra Aequestris territorii loca ausu
temerario secare deliberet, praeter concretionem silvestrem sive congeries arborum caducarum, inter iuga quoque praecelsa cervorum platocerumve praerupta convallia, vix validus expeditusque poterit sub longa solstcii die transcedere difficultatem inaccessibilis naturae »
donc la diminution du refroidissement par le processus dévaporation, peut élever la température des feuilles de 5 à 7° au-dessus de la température de lair. La sécheresse édaphique affecte fortement le fonctionnement et la croissance des arbres puisque cest le potentiel hydrique du sol qui détermine le potentiel hydrique de larbre et agit sur ses fonctions physiologiques (conductance stomatique, transfert de leau dans le système conducteur de la sève brute, assimilation photosynthétique, respiration, élongation cellulaire, mise en réserve des composés carbonés et azotés)223.
Ainsi une forte sécheresse agit-elle dans les arbres sur lensemble des processus primaires (transpiration, photosynthèse, respiration) et secondaires (croissance, développement, mises en réserve). Des stimulations montrent que les résineux, en particulier, qui transpirent de la fin de lautomne au début du printemps sont plus affectés par la sécheresse. Une plus forte interception des précipitations chez les résineux réduit la quantité deau arrivant au sol et donc les réserves hydriques224. Le déficit dassimilation de carbone limite la croissance avec des effets différés les années suivantes.
Même si les écosystèmes sadaptent à la disponibilité en eau comme cest le cas pour la végétation méditerranéenne dont la morphologie -enracinement, indice foliaire- et la physiologie -ajustements osmotiques, photosynthétique, hydraulique- permettent de résister aux fortes chaleurs, les espèces en équilibre avec leur milieu sont-elles assez plastiques pour résister à des sécheresses prolongées et renouvelées ? Comment ne pas penser, pendant des périodes de sécheresse intense, aux risques dincendie multipliés encore par le volume de combustible sec au sol que les tempêtes, laction des ravageurs et les dépérissements ont accru 225?
Inversement, les excès deau affectent eux aussi fortement le fonctionnement des arbres : retard phénologique, mortalité des racines, réduction de croissance. Lennoyage produit un dysfonctionnement de la photosynthèse (conjonction dune fermeture des stomates et dimportants désordres cellulaires). Ainsi certaines espèces comme le hêtre et le sapin, sont sensibles à une immersion temporaire ou permanente.
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« Forêts et milieux naturels face aux changements climatiques », Rendez-vous techniques, HS n°3, INRA/ONF, ONF, Fontainebleau, déc.2007, p.82-84, daprès les travaux de N. BREDA et al., 2004, 2006..
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N. BREDA, A. GRANIER, G. AUSSENAC, « Evolution possible des contraintes climatiques et des conséquences pour la croissance des arbres », in Revue forestière française, 2000, vol.52, n° spécial « Conséquences des changements climatiques pour la forêt et la sylviculture », p.73-90.
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M. LEGAY, F. MORTIER, « La forêt face au changement climatique », synthèse de latelier ONF/INRA , 20 octobre 2005, Les dossiers forestiers, n°16, juin 2006, p.22-23.
On peut donc, sans trop savancer, affirmer que la forêt montagnarde a dû souffrir des perturbations climatiques médiévales et sen trouver fragilisée, dautant quelle en a vraisemblablement supporté aussi les effets indirects.
Quel est limpact des modifications climatiques sur les insectes forestiers ?
On sait surtout 226que le réchauffement a un effet direct sur les populations dinsectes dans la mesure où les conditions climatiques et surtout la chaleur exercent une influence importante sur leur physiologie (survie hivernale, vitesse de développement et stades larvaires, potentiel reproductif, envol des adultes etc.). Ces processus tendent à être modifiés par une augmentation, même minime, de la température mais les effets produits se différencient en fonction de la saison et du cycle biologique des insectes. En effet, le réchauffement hivernal élève les seuils létaux (au-dessus desquels il ny a pas de survie possible) et provoque une extension vers le nord et en altitude ; la moindre augmentation des températures hivernales peut augmenter sensiblement la survie dans des zones a priori défavorables et un déplacement vers le nord ou en altitude des isothermes correspondant aux seuils létaux minimaux peut entraîner une expansion concomitante des insectes ; cest ce quon constate actuellement à propos des dégâts occasionnés par les scolytes.
En fait, il savère quon ne connaît à lheure actuelle, ni lampleur ni toutes les composantes des modifications écologiques en cours. « De plus, ajoute Alain Roques227, les insectes sont des organismes à cycle court dotés de possibilités de déplacement considérables. Aussi, leurs très grandes capacités dadaptation et dévolution laissent planer de nombreuses interrogations sur lentomofaune forestière future ».
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B. MARCAIS, L.BOUHOT-LEDUC, F. LE TACON, « Effets possibles des changements globaux sur les microorganismes symbiotiques et pathogènes et les insectes ravageurs des forêts », in Revue forestière française, 2000, vol.52, n° spécial « Conséquences des changements climatiques pour la forêt et la sylviculture », p.99-118 ; D. PIOU, L.M. NAGELEISEN, M.L. DESPREZ-LOUSTAU, J.N. CANDAU, « Les risques sanitaires consécutifs à lété 2003, à la lumière de la littérature », Rendez-vous techniques, 2006, n°11, p.28-34.
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A. ROQUES, Unité de zoologie forestière, URO 633, Département de la santé des forêts, INRA, Champenaux des forêts, in Rendez-vous techniques, HS n°3 « Forêts et milieux naturels face aux changements climatiques », op. cit. p.46 ; B. MARCAIS, L BOUHOT-DELDUC, F. LE TACON, « Effets possibles des changements globaux sur les micro-organismes symbiotiques et pathogènes et les insectes ravageurs des forêts », in Revue forestière française, 2000, vol.52, n° spécial « Conséquences des changements climatiques pour la
forêt et la sylviculture », p.99-118 ; D. PIOU, L.-M. NAGELEISEN, M.L. DESPREZ-LOUSTAU, J.N.
CANDAU,2006, « Les risques sanitaires consécutifs à lété 2003 à la lumière de la littérature », in Rendez-vous
Photo 43: Résineux victimes dattaques de Bostryches (Scolytes) favorisées par les sécheresses de 1976 et 2003 (Remoray-Doubs). Photos B. Renaud.
Les effets du réchauffement touchent également les antagonistes des insectes, prédateurs et parasitoïdes ; le réchauffement permet une période dactivité plus longue des prédateurs. Si la synchronie entre période dactivité des proies et des antagonistes est respectée, le réchauffement a peu deffet ; mais si proie et antagoniste ont des seuils de développement différents, le réchauffement a des conséquences sur la dynamique des populations dinsectes phytophages. Lexemple donné est éclairant : les chenilles de tordeuse de lépicéa (Canada), Choristoneura fumiferana, ont une température optimale de développement de 26,6°, bien supérieure à celle de leurs ennemis naturels ; quand lété est plus chaud, elles se développent plus vite et sont moins longtemps exposées aux prédateurs.
Ainsi, pendant lOptimum médiéval, fragilisée par la sécheresse, la forêt a pu être victime dattaques de parasites (bostryches) et présenter des taux de dépérissement importants. Inversement, à partir du XIVe siècle, labondance de précipitations, a pu être un facteur bénéfique ; certes, la neige a en soi des effets destructeurs (chablis), mais elle joue un rôle protecteur sur le sol. La durée de lenneigement, en maintenant de basses températures, exerce une action retardatrice sur la végétation et provoque le développement dun petit champignon Ascomycète (Herpotrichia nigra) qui défolie les branches dépicéa mais sans compromettre pour autant létat général de la forêt.
Les changements climatiques ont-ils eu un impact sur les maladies forestières ?
Là encore, les forestiers apportent des réponses prospectives nuancées sur cet impact. Ils pensent que les changements climatiques globaux (qui englobent aussi laugmentation du taux de CO2 atmosphérique ainsi que les apports anthropiques dazote), risquent daccroître le rôle des agents pathogènes, aux fortes capacités dadaptation. On constate déjà 228des modifications notables des « cortèges parasitaires » ; sévérité accrue des attaques, apparition de maladies nouvelles sur des hôtes dépourvus de résistances Les champignons, par exemple, sont capables de résister à des potentiels hydriques beaucoup plus bas que ceux qui affectent leurs plantes hôtes. Des maladies en augmentation semblent dues à une augmentation des agents pathogènes à tendance thermophile.
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« Forêts et milieux naturels face aux changements climatiques », in Rendez-vous techniques, H.S. n°3, INRA/ONF, ONF Fontainebleau, déc. 2007, p.47.
Les conditions de température et dhumidité influencent fortement le développement épidémique de nombreuses maladies (dissémination, infection ou multiplication) 229 . Toutefois, les modifications de la phénologie des plantes peuvent atténuer leffet de ces maladies ; en effet certains agents pathogènes ne sont capables dattaquer la plante hôte quà un stade précis de son développement ; une avance ou un retard par rapport à ce développement compromet lattaque.
La sécheresse en elle-même a pour conséquence de provoquer un affaiblissement des arbres et de diminuer leur capacité de résistance ; le nombre darbres affaiblis, stressés ou dépérissants, victimes de parasites risque donc daugmenter. La seule année 2003 a eu, sur la croissance et létat sanitaire des peuplements, des répercussions défavorables qui se prolongeront encore pendant plusieurs années.
Une projection rétrospective permet donc de supposer que le réchauffement médiéval, même limité dans le temps, ainsi que le refroidissement et lhumidité du Petit Âge glaciaire ont pu faire évoluer le paysage phytosanitaire forestier et peut-être provoquer des dépérissements massifs. Mais les études contemporaines prouvent la capacité dadaptation des espèces forestières sous leffet de la sélection et de réactivité aux stress écologiques. La résilience de la forêt observée après des perturbations écologiques importantes laisse penser quelle a pu panser ses plaies avec le temps. Il nen reste pas moins quon peut se demander si, sous leffet des modifications climatiques, les aires de répartition des espèces nont pas évolué.