• Aucun résultat trouvé

II L’ ECOSYSTEME FORESTIER JURASSIEN

II.5 L'ETAGEMENT ACTUEL DE LA VEGETATION

L’étagement morphologique du Jura, des plaines à la haute chaîne en passant par les plateaux, ainsi que les conditions écologiques afférentes (sol, relief, climat etc.) permettent de distinguer actuellement cinq types de forêts correspondant à cinq zones bien déterminées. (Fig. 17)

Les étages, caractérisés par une « composition floristique globale plus ou moins liée aux altitudes » sont :

- l’étage collinéen moyen : plaines (200 à 300 m d’altitude)

- l’étage collinéen supérieur : versant du Premier Plateau (300 à 450 m) - l’étage submontagnard : Premier Plateau (450 à 650m)

- l’étage montagnard inférieur : versant du Deuxième Plateau (650 à 800 m)

- l’étage montagnard supérieur : Deuxième Plateau (800 à 950m) et versants inférieurs de la haute-chaîne (950-1100 m)

- l’étage subalpin inférieur : versants supérieurs de la Haute- Chaîne (1100 à 1500 m).

La terminologie peut différer : certains désignent par « étage montagnard moyen » la zone du Deuxième Plateau, et « étage montagnard supérieur » la haute chaîne, de 1100 à 1500m. L’étage subalpin supérieur (pinède à lycopode) n’existe pour ainsi dire pas dans la région étudiée.

La description classique adoptée par les forestiers ne prend pas en compte les zones de transition où le passage de l’une à l’autre se fait insensiblement101 ; elle s’écarte de la classification phytosociologique. La phytosociologie définit des « associations végétales » c'est-à-dire des groupements de plantes de composition fixe, déterminées par des plantes « caractéristiques » qui, « par leur biologie se rangent à l’intérieur de l’amplitude écologique d’une association végétale précise, mais peuvent ne pas ou ne plus s’y trouver »102.

101

P. GUINIER, « Les Associations végétales et les types de Forêts du Jura français », in Actes du Congrès des

Sociétés Savantes, Besançon, et Annales de l’Ecole Nationale des Eaux et Forêts, Nancy, 4, 2, 1932, p.263-281.

Cette description s’écarte de la théorie phytosociologique selon laquelle une formation végétale est « un groupement de commensaux ayant les mêmes goûts ».

102

H. GAUSSEN, « La Hêtraie sans hêtre », Revue Forestière Française, 10, 1953, p.650-652. Cette doctrine a été contestée pour sa systématisation excessive et une logique « poussée jusqu’à l’absurde ».

Nous n’entrerons pas dans le débat qui oppose cette doctrine phytosociologique à la théorie typologique mais nous renvoyons à une étude réalisée par J.-C. Rameau, A. Schmitt, M. Bidault, M. Gaiffe 103 des phytosociologues et des pédologues qui affinent la description des « étages de végétation » en prenant en compte des « mésoclimats » liés à la topographie (fond de vallon, bordure de falaise…) et l’exposition (adret ou ubac) , ainsi que la nature des sols forestiers (acidité et humidité) ; nous n’en retiendrons d’ailleurs que ce qui concerne les étages montagnard supérieur et subalpin inférieur. (Fig. 18)

Fig. 17 Etagement actuel de la végétation, tiré de E. Gauthier, Evolution de l’impact de l’homme sur la

végétation du massif jurassien au cours des 4 derniers millénaires, 2001.

103

J.-C. RAMEAU, A. SCHMITT, M BIDAULT, M. GAIFFE, « Végétation et écologie des forêts comtoises », in Nos Forêts comtoises, n° spécial Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs et de l’Association Univers, Besançon, février 1980.

Fig. 18 Répartition des unités forestières M. Gaiffe, A. Schmitt, in La haute vallée du Doubs, CUER, 1981

A

Photo 33: Hêtraie-sapinière où domine l’épicéa (massif du Mont d’Or) Photo B. Renaud

Photo 34: Pessière à Doradille (Asplenio-Piceetum), massif du Risoux (Doubs). Type de forêt fréquent à l’étage subalpin inférieur mais présent localement dans des stations à sol froid et rocheux de type lapiaz à fissures profondes, à plus basse altitude. Le peuplement est essentiellement composé d’épicéa (on reconnaît ici l’épicéa columnaire caractéristique de cette forêt d’altitude), mais il peut s’y ajouter du sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) ou du sapin (Abies alba). Cliché ONF .

Photo 35: Epicéa (Picea abies) ; la branche est inclinée vers le sol et a tendance à se relever aux extrémités ; l’écorce à écailles est d’un gris-marron ; les aiguilles dont la section est en losange, piquent, elles partent tout autour de la branche en forme d’écouvillon ; le cône, ferme et lisse pend sous la branche ; les racines sont traçantes.

Photo 36: Sapin (Abies alba) ; la branche a tendance à partir vers le haut ; chez les sujets anciens, la cime s’aplatit (il fait la « table », selon les forestiers) ; l’écorce, lisse chez les sujets jeunes et adultes, est gris argenté ; les aiguilles à section aplatie ne piquent pas, elles sont alignées sur le rameau comme un peigne ; la pomme ou cône pousse au-dessus de la branche comme une bougie et s’écaille ; les racines sont pivotantes. Photos B. Renaud.

Le « climat régional » propre à chaque étage est évidemment nuancé par la topographie et se décline en « mésoclimats » qui conditionnent la végétation. En ne retenant

que les étages qui intéressent la haute vallée du Doubs, nous en livrons ici une présentation très simplifiée104 :

sur le Second Plateau, entre 800 et 950 m d’altitude :

la majorité des espaces forestiers, sur les pentes moyennes et faibles, est occupée par la hêtraie-sapinière (Abieti-Fagetum), composée essentiellement de sapin (Abies alba) et d’épicéa (Picea Abies) ; le hêtre (Fagus sylvatica) est présent, ainsi que l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus), le sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia), et localement, le frêne (Fraxinus excelsior). Malgré la rigueur du climat, quelques chênes (Quercus) peuvent se développer. Cette région présente les plus beaux massifs forestiers (Forêts de Levier, de la Joux …).

Le sous-bois voit prospérer le chèvrefeuille des Alpes (Lonicera Alpigena) et l’églantier des Alpes (Rosa pendulina), le framboisier (Rubus Idaeus), le groseillier alpin (Ribes alpinum) et le camerisier (Lonicera xylosteum), tandis que le cortège herbacé, adénostyle (Adenostyles glabra), myrtille (Vaccinium myrtillus), centaurée des montagnes (Centaurea montana), prénanthe pourpre (Prenanthes purpurea), dentaire à feuilles pennées (Dentaria pinnata), séneçon de Fuchs (Senecio ovatus), oxalis petite oseille (Oxalis acetosella) etc., est très riche. Cette strate herbacée est dominée par la fétuque des bois (Festuca

altissima) et l’élyme d’Europe (Hordelymus europaeus).

Dans les stations de pente plus forte et en exposition froide, se rencontre sur les éboulis fins une hêtraie à dentaire (Dentario –Fagetum) constituée surtout de hêtre (Fagus

silvatica), d’érable sycomore (Acer pseudoplatanus) et de sapin (Abies alba) et de frêne

(Fraxinus excelsior) et dont la strate herbacée est dominée par la dentaire (Dentaria pinnata) et la mercuriale (Mercurialis perennis).

à partir de 950 m jusqu’aux sommets de la Haute-Chaîne :

104

J.C. RAMEAU, A SCHMIDT, M. BIDAULT, M. GAIFFE, « Végétation et écologie des forêts comtoises », in Nos forêts comtoises, Bulletin de la Société d’histoire naturelle du Doubs et bulletin de l’Association Univers, numéro spécial, 1980, p.100-116, voir en annexe l’article complet sur les étages concernés ; « Massif du Mont d’Or, du Noirmont et du Risol », Natura, Natura 2000, DIREN Franche-Comté, déc. 2004.

la hêtraie sapinière, Abieti-Fagetum, domine à cet étage, mais le milieu forestier se modifie (Fig.16) : le sapin (Abies alba) perd du terrain au profit de l’épicéa (Picea abies). Le hêtre (Fagus sylvatica) regagne localement de l’importance tandis que d’autres espèces feuillues comme l’érable faux-platane (Acer pseudo-platanus), l’orme des montagnes (Ulmus

glabra), le sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) sont bien présents.

La zone arbustive est dense : avec l’altitude, apparaissent l’églantier des Alpes (Rosa

alpina), le chèvrefeuille noir (Lonicera nigra L.), le chèvrefeuille à fruits bleus (Lonicera caerula) etc. …

Le tapis herbacé gagne de nouvelles espèces, aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum L.

aggr.), oseille de montagne (Rumex arifolius), pétasite blanc (Petasites albus L.), adénostyle à

tête blanche (Adenostyles leucophylla) pour les plus hautes.

Sur les lapiaz, s’est installée sur un sol à humus de type mor, lié à un micro-climat froid, la pessière à doradille (Asplenio-Piceetum) ; l’épicéa plus apte à envoyer ses racines dans les fissures rocheuses domine largement mais peut être accompagné de sapin (Abies alba) et de sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) ; les arbustes, disséminés, sont le rosier des Alpes (Rosa pendulina), le chèvrefeuille noir (Lonicera nigra) et le saule à grandes feuilles (Salix grandifolia). Le sol très humifère et acide en surface, recouvert de mousses, est propice au myrtillier (Vaccinium myrtillus) ; la strate herbacée est aussi composée de pyrole (Pirola secunda), mélampyre des bois (Melampyrum silvaticum), luzule fauve (Luzula

luzulina) etc., mais aussi le prénanthe pourpre (Prenanthes purpurea), l’adénostyle à feuilles

d’alliaire (Adenostyles alliariae), la doradille verte (Asplenium viride), la fougère mâle (Dryopteris filix-mas) etc. on y trouve une petite orchidée, la listère cordée.

Ce groupement, climacique à l’étage subalpin, présente une certaine amplitude altitudinale qui fait qu’on le rencontre plus bas (Forêt de la Grand-Côte, Labergement-Sainte-Marie par exemple) sur certaines stations de lapiaz profonds, à sol froid, en exposition nord.

La hêtraie-sapinière est toutefois exclue de certaines stations :

-sur les pentes fortes à éboulis de haut de versant, surtout en exposition froide, pousse la hêtraie à adénostyle, Adenostylo-Fagetum ; la forêt y est constituée de hêtre (Fagus

silvatica), d’érable sycomore (Acer pseudoplatanus) et le plus souvent d’épicéa (Picea Abies)

La strate arbustive, plutôt réduite, se limite au chèvrefeuille des Alpes (Lonicera

alpigenum), au framboisier (Rubus Idaeus), au rosier des Alpes (Rosa pendulina) et du

camerisier (Lonicera xylosteum). L’adénostyle glabre (Adenostyles glabra) caractérise l’association au niveau herbacé, mais s’y développent aussi le polystic à aiguillons (Polystichum aculeatum), la fétuque des bois (Festuca altissima), la fougère mâle (Dryopteris

filix-mas), l’épervière des murs (Hieracum murorum), l’aspérule odorante (Asperula odorata)

- aux environs de 1200m d’altitude, aux versants supérieurs de la Haute-Chaîne, se développe, sur un sol acidifié en surface par les précipitations abondantes et sous un climat froid, la hêtraie-érablaie (Aceri-Fagetum) constituée de hêtre (Fagus sylvatica) accompagné de sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) ; l’érable sycomore (Acer

pseudoplatanus) y a souvent été éliminé par une sylviculture qui accordait la préférence aux

résineux, épicéa (Picea Abies) et sapin (Abies alba).

La strate arbustive, bien développée, comprend le chèvrefeuille noir (Lonicera

nigra), le rosier des Alpes (Lonicera alpigena), le groseillier alpin, (Ribes alpinum), le

framboisier (Rubus Idaeus) ; la patience (Rumex arifolius), la chicorée (Cicerbita alpina), le géranium des bois (Geranium silvaticum), la renoncule à feuille d’aconit (Ranunculus

aconitifolius) etc. forment la strate herbacée.

Mais il ne faudrait pas oublier d’évoquer, entre les différentes formations forestières, en particulier dans des combes fertiles, une organisation végétale qui est une caractéristique paysagère essentielle de l’étage montagnard jurassien : le pré-bois. Il mêle une forêt atrophiée de longue date par la dent du bétail, réduite à des bosquets de hêtre et de noisetiers et des épicéas isolés (cros), à la clairière pâturée. Quand le sol est plus superficiel, la pelouse montagnarde (pelouse à gentiane et brome) se substitue à la pâture. Grâce à la présence des bovins, le sous-bois clair est riche en espèces arbustives.

A l’étage subalpin, les dépressions sont souvent occupées par des mégaphorbiaies d’altitude (formation de hautes herbes des sols eutrophes)

Les conditions hivernales très rudes des zones sommitales (froid, neige, vent) entravent le développement de la forêt, de plus en plus claire. Seuls résistent quelques épicéas et hêtres rabougris auxquels le vent donne une forme caractéristique « en drapeau ».

Photo 37: Sommet du Mont d’Or : hêtres atrophiés et pliés par les vents dominants. Photo B. Renaud

Le niveau sommital est le domaine de la pelouse à seslérie bleue et sert de pâture d’estive ; les plantes subalpines sont nombreuses et diverses : pâquerette de montagne (Bellis

perennis), véronique à feuille d’ortie (Veronica urticifolia), valériane des montagnes

(Valeriana montana), homogyne des Alpes (Homogyne alpina), violette à deux fleurs (Viola

biflora)….

Un phénomène lié à l’étagement de la végétation a suscité des polémiques ; il s’agit de l’extension des pelouses à une altitude inférieure à la limite supérieure de la forêt. On devrait en effet trouver à cet étage des pins à crochets sur les calcaires diaclasés et des pelouses subalpines sur les calcaires en bancs compacts. Il est désormais établi que l’absence de forêt s’explique par une absence de fissures sur des calcaires en dalles non diaclasées conjuguée à la violence des vents. Les défrichements intervenant comme une cause secondaire105.

La notion d’étagement actuel de la végétation mise en place, tentons de cerner la physionomie de ce que put être, dans le Haut-Doubs, la forêt primordiale, c’est-à-dire une forêt dénuée de tout impact anthropique.

105

CHAPITRE III

VERS UNE DETERMINATION DE LA FORÊT DU