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5 QUATRIÈME CHAPITRE : ANALYSE DU CORPUS

5.1 Premier discours : la mise en place du rôle de l’Europe dans le conflit russo-

5.1.2 L’omniprésence du thème de l’unité

Le thème de l’unité constitue le deuxième principal procédé rhétorique employé par Nicolas Sarkozy dans son discours. En effet, comme nous venons de le voir dans la première partie de ce chapitre, la création d’un sentiment d’unité au sein de la population est l’un des composants essentiels dans le ralliement de l’auditoire à la cause défendue. De plus, nous avons vu lors de notre revue de la littérature que

l’unification de la nation en temps de crise est un procédé rhétorique essentiel. En effet, il permet de montrer que le président agit en ayant le soutien de sa population et que les décisions émanent d’une volonté commune. Ce faisant, c'est-à-dire en déclarant cette unité, le rhéteur participe littéralement à la créer. Dans la plupart des discours en temps de crise, l’un des objectifs de l’orateur est de créer ce sentiment d’unité auprès de la population concernant les décisions prises ou à prendre (Murphy, 2003 & Jamieson, 2007). Dans le cadre de notre analyse, nous allons plus particulièrement nous intéresser à la façon dont l’utilisation du thème de l’unité participe à mettre en place le rôle de médiateur de l’Europe, et de ce fait, à légitimer ce rôle. Dans le cas de ce premier discours, Nicolas Sarkozy utilise régulièrement des références à l’unité. Dès le début de sa prise de parole, nous pouvons comprendre que ce thème occupera une place essentielle tout au long de son discours.

« C’est un message d’unité très fort que l’Europe envoie au-delà des sensibilités diverses qui naturellement s’expriment entre ses membres. Vous vous souvenez certainement que le dernier conseil extraordinaire était en 2003, à propos de l’Irak, que l’Europe en était sortie désunie donc impuissante et inaudible. L’Europe est aujourd’hui unie autour de propositions que la Présidence a présentées au conseil » (l. 13 à 18)

Dans cette déclaration, nous pouvons souligner deux éléments importants. Le premier concerne la dichotomie qui est présente dans la première phrase. En effet, il exprime d’une part « un message d’unité très fort que l’Europe envoie » pour ensuite dire qu’il existe des divergences au sein même de cette Europe (« que l’Europe envoie au-delà des sensibilités diverses qui naturellement s’expriment entre ses membres »). Dans cette deuxième partie de la phrase, nous pouvons constater qu’il n’emploie aucun qualificatif se référant à ces divergences d’opinion. En effet, il parle de « sensibilités diverses » et utilise le mot « naturellement » qui est susceptible de

47 créer un sentiment de normalité et d’apaisement au sein de son auditoire. Il construit cette déclaration de façon à dire la vérité mais sans qu’elle ne porte un sens négatif. Ce faisant, Nicolas Sarkozy paraît honnête et objectif au vu de la situation tout en mettant l’emphase sur son principal message, l’unité de l’Europe. Le second élément concerne l’association que Nicolas Sarkozy fait entre la désunion et l’échec. En effet, il se réfère au comportement des dirigeants européens lors de la guerre en Irak (« l’Europe en était sortie désunie ») pour expliquer l’échec de leurs actions (« donc impuissante et inaudible »). Selon lui, en 2003, les dirigeants européens ont commis l’erreur de ne pas avoir su être unis face à la crise. Aujourd’hui l’Europe doit donc tirer des leçons du passé et montrer qu’elle a trouvé la voix du consensus. C’est d’ailleurs de cette façon qu’il poursuit sa déclaration en insistant sur le fait que « l’Europe est aujourd’hui unie ».

Nous constatons que Nicolas Sarkozy insiste sur le thème de l’unité au début de son discours mais que par la suite, ces références y sont de moins en moins fréquentes. Dès le début de son discours, Nicolas Sarkozy insiste sur l’union des pays européens en déclarant : « J’en ai pris l’initiative avec le soutien de tous les pays de l’Union » (l. 9). Quelques lignes plus loin nous lisons également : « C’est un message d’unité très fort que l’Europe envoie » (l. 13). De plus, il ajoute peu après : « l’Europe est aujourd’hui unie » (l. 17).

Les références à l’unité sont ensuite de plus en plus parsemées ou alors énoncées de façon plus discrète. Cela dit, le thème de l’unité reste omniprésent tout au long du discours. En effet, nous pouvons relever une utilisation permanente du champ lexical de l’unité (tous les pays de l’Union (l. 9) ; message d’unité (l. 13) ; désunie/unie (l. 16-17) ; chacun (l. 20 et 22) ; en accord (l. 32) ; l’unité (l. 50et 66) ;

consensus (l. 71) ; une seule voix (l. 181)). Ainsi, sans être le sujet principal du propos, la question de l’unité est omniprésente ; c'est-à-dire que Nicolas Sarkozy suggère l’unité de l’Europe à des moments précis, sous forme de références rapides mais sans y consacrer des paragraphes entiers.

De plus, nous pouvons aussi remarquer une évolution dans les sujets associés au thème de l’unité. Au commencement, il déclare : « C’est un message d’unité très fort que l’Europe envoie au-delà des sensibilités diverses qui naturellement s’expriment entre ses membres » (l. 13-14). Un peu plus loin dans son discours, nous lisons également : « En accord avec tous les membres de l’Union » (l. 32). L’utilisation du terme « membres » montre que ces premières références à l’unité concernent avant tout les gouvernements des pays européens. Puis, au cours de son discours, il développe petit à petit son propos pour inclure la population européenne en déclarant : « Je retiens de notre réunion l’unité de tous les Européens » (l. 50). Nous voyons également cet élément lorsqu’il dit que « l’unité des Européens mérite d’être soulignée » (l. 66).

Cette évolution semble marquer une volonté de la part du président d’inclure officiellement et inéluctablement la population européenne dans ses choix politiques. Cette stratégie lui permet de présenter l’Europe comme un État parfaitement uni devant la crise et ainsi renforcer considérablement son pouvoir aux yeux du monde.

Ces éléments présents tout au long de son discours nous laissent penser que la création d’un sentiment d’unité est un objectif central de ce dernier. Nous l’avons vu précédemment, Nicolas Sarkozy doit faire face à des Européens en perte de confiance

49 et qui se dissocient petit à petit de l’Europe. Cette insistance sur le thème de l’unité est donc primordiale pour l’essor de l’Europe.

Nous allons voir dans la prochaine section que le sentiment d’unité n’est pas suffisant pour légitimer le nouveau rôle de l’Europe. En effet, établir la crédibilité de l’Europe semble également être un élément majeur dans la mise en place de son nouveau rôle de médiateur.