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5 QUATRIÈME CHAPITRE : ANALYSE DU CORPUS

5.2 Deuxième et troisième discours : la concrétisation du rôle de médiateur de

5.2.3 Une Europe réaliste et sage

Nous allons maintenant voir que Nicolas Sarkozy adopte souvent un ton modéré marquant un sens des responsabilités et une vision réaliste de la situation. Nous remarquons cette facette du discours dès les premières lignes de sa prise de parole lors de la conférence de presse de Moscou :

« Je pourrais résumer [la situation] de la façon suivante : nous ne pensons pas résoudre en 4 heures de discussions la totalité des questions qui préoccupent le Caucase depuis des années » (l. 107 à 109, discours de Moscou)

Comme Nicolas Sarkozy l’indique, cette première déclaration est un résumé de la situation aux yeux du président. Il est intéressant de noter qu’il déclare alors son incapacité à résoudre entièrement le conflit. Cette limite est le premier élément déclaré par le président avant même de montrer les solutions qui ont été trouvées à court terme pour mettre fin à la guerre. Par ce propos, Nicolas Sarkozy semble prendre les devants : il explique que les décisions prises apaiseront les tensions à court et moyen terme mais qu’elles ne permettent pas une résolution durable du conflit latent qui existe entre les deux pays depuis plusieurs années. Il gère ainsi les attentes de l’auditoire en adoptant une vision modérée et raisonnable face à la situation. Au cours de ces deux discours nous retrouvons plusieurs procédés de ce genre.

Le premier consiste à minimiser les actions de l’Europe tout en montrant le caractère incroyable de ces dernières. Plus concrètement, cela consiste à former une déclaration en deux parties bien distinctes : la première sert à modérer voire à minimiser les actions de l’Europe et la seconde consiste à vanter les mérites de ces

69 mêmes actions. Ces deux parties de phrase sont toujours associées par la conjonction « mais ». Cette conjonction de coordination a pour effet d’unir deux éléments tout en marquant leur opposition. Dans le discours de Moscou, nous lisons par exemple : « J’admets bien volontiers que tout n’est pas résolu, mais ce qui a été résolu aujourd’hui est assez considérable » (l. 184 – 185, discours de Moscou). La conférence de presse de Tbilissi présente également ce type de formulation :

« Loin de moi l’idée de dire que le travail que nous avons fait avec M. Barosso, M. Kouchner et M. Solana est parfait mais ce travail-là qui a permis d’arrêter une guerre en moins de 10 jours » (l. 77 à 79, discours de Tbilissi)

Nous lisons également plus loin dans ce discours :

« Nous n’avons pas tout résolu. Qui peut prétendre résoudre les problèmes en un mois ? Mais nous aurons montré la volonté politique de l’Union européenne au service de la paix » (l. 113 à 115, discours de Tbilissi)

Dans chacun de ces exemples, la déclaration commence tout d’abord par minimiser les résultats obtenus (« j’admets bien volontiers que tout n’est pas résolu », « loin de moi l’idée de dire que le travail que nous avons fait […] est parfait » et « nous n’avons pas tout résolu ») pour ensuite amplifier ces mêmes actions. En atténuant le succès des actions de l’Europe, Nicolas Sarkozy montre que cette dernière agit en étant totalement consciente de la complexité de la situation. Ces phrases produisent deux effets distincts. Le premier consiste à penser que l’Europe n’a pas entièrement accompli la mission qu’elle s’était fixée et montre qu’elle est consciente de ses limites. Le second rend les paroles de Nicolas Sarkozy beaucoup plus raisonnables et objectives face à la situation. En effet, il admet être conscient de la gravité de la situation et de l’incapacité de l’Europe à résoudre l’intégralité des problèmes. Il gère donc les attentes de l’auditoire et adopte un ton mesuré et précautionneux. En cela, il

montre que le rôle de médiateur de l’Europe n’est pas pris à la légère et que l’Europe agit de façon sensée et objective. Elle est consciente de ses limites et des difficultés qui se posent à elle. Puis, dans chacun des exemples, nous remarquons une gradation (« ce qui a été résolu aujourd’hui est assez considérable », « ce travail-là qui a permis d’arrêter une guerre en moins de 10 jours » et « nous aurons montré la volonté politique de l’Union européenne au service de la paix »). C'est-à-dire que nous notons une nette progression des conséquences positives des actions et du rôle de l’Europe.

En somme, par ce premier procédé, Nicolas Sarkozy présente le portrait exemplaire du médiateur : avoir un comportement raisonnable et responsable tout en parvenant à accomplir le maximum considérant la situation. En cela, l’Europe occupe parfaitement sa position de médiateur de la crise et montre qu’elle gère son rôle de façon exemplaire.

Nicolas Sarkozy semble également vouloir montrer le caractère « sage » de l’Europe. En effet, dans le discours de Moscou nous lisons par exemple :

« Monsieur le Président Medvedev, que le monde ne retrouve pas une guerre froide dont nous n’avons pas besoin. Il y a suffisamment de foyers de guerre, d’incompréhension et d’opposition pour que l’on ne se lance pas dans des aventures de cette nature sans réfléchir et sans tout faire pour essayer de faire prévaloir la paix » (l. 179 à 183, discours de Moscou)

Nous remarquons en premier lieu que Nicolas Sarkozy s’adresse directement au président russe. Il emploie une formulation de phrase qui laisse sous-entendre qu’il donne une leçon de sagesse à son homologue russe. En effet, en déclarant « que le monde ne retrouve pas une guerre froide dont nous n’avons pas besoin » ou encore : « Il y a suffisamment de foyers de guerre, d’incompréhension et d’opposition », il ne laisse pas d’autre choix à son auditoire que d’adhérer à ses propos. Ces derniers

71 correspondent à des idéologies acceptées par la plupart des pays occidentalisés et donc difficilement réfutables par l’auditoire. Il nomme ensuite les comportements les plus sages à adopter : « réfléchir » et « faire prévaloir la paix ». L’association des différents éléments de cette déclaration montre le caractère particulièrement sage et empathique de Nicolas Sarkozy.

Nous retrouvons également la présence de cette sagesse un peu plus loin dans son discours lorsqu’il déclare :

« Nous voulons un partenariat et nous voulons la paix mais qui peut imaginer que cela arrangerait les affaires du monde qu’il y ait une opposition entre l’Union européenne et la Russie ? Vraiment, a-t-on besoin de cela ? » (l. 241 à 244, discours de Moscou).

Encore une fois, nous remarquons le comportement sage et réfléchi de Nicolas Sarkozy. Pour ce faire, il utilise d’une part un lexique qui montre son idéologie exemplaire : vouloir le partenariat et la paix. D’autre part, il emploie la forme interrogative : « Vraiment, a-t-on besoin de cela ? » après avoir parlé d’opposition entre l’Union européenne et la Russie. L’éloquence de cette déclaration se trouve dans le terme « vraiment ». En effet, ce mot est employé de façon à accentuer la force de sa déclaration. L’utilisation du terme « vraiment », associé au reste de la déclaration, renvoie à l’idée qu’il souhaite faire prendre conscience à l’auditoire des conséquences néfastes de certains actes. Il se conduit comme la personne incarnant la sagesse et souhaitant la faire naître chez les autres.

En somme, Nicolas Sarkozy présente une Europe qui a le contrôle de la situation et qui la gère de façon réfléchie, modérée et sage. L’Europe incarne donc le candidat exemplaire pour remplir cette mission de médiateur.

Dans l’analyse de ces deuxième et troisième discours, nous avons vu trois procédés majeurs: l’identification de l’Europe comme un acteur de paix ; une Europe qui semble être particulièrement efficace dans son rôle, mais qui n’en n’oublie pas pour autant de garder un certain sens du réalisme et de la sagesse.

La prochaine section est consacrée à l’émergence de l’Europe comme acteur clé de la scène politique mondiale. Cette vision apparaît déjà discrètement dans la dernière partie du discours de Moscou, dans laquelle nous lisons : « Dans cette crise, on a vu l'émergence d'un acteur de poids, l'Union européenne pour essayer de trouver les voies de l'apaisement dans une guerre au Caucase » (l. 322 à 324, discours de Moscou)

Nous allons donc maintenant nous intéresser aux procédés rhétoriques, présents dans le quatrième discours, qui participent à mettre en évidence l’émergence de ce nouvel acteur de poids qu’est devenue l’Union européenne.