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Il n’est pas improbable qu’au moment d’exercice des actions interrogatoires, leurs titulaires s’interrogent sur l’opportunité d’un tel mécanisme. La question de l’opportunité se pose concernant les interpellations en matière de pacte de préférence et de conformation de nullité. Les conditions de ces actions interrogatoires sont en effet telles qu’il pourrait sembler plus sécuritaire pour leur leurs titulaires de ne pas les exercer. D’une part, ils pourraient ainsi pallier la difficulté de la double preuve de la connaissance et de l’intention du bénéficiaire par le tiers (A). D’autre part, la partie à l’origine de la cause de nullité pourrait vouloir ne pas prendre le risque de révéler l’existence d’une cause de nullité relative du contrat (B)

A- LA DIFFICULTE DE LA PREUVE DU PACTE DE PREFERENCE :

L’IMPOSSIBILITE DE LA DOUBLE PREUVE DE LA CONNAISSANCE ET DE L’INTENTION DU BENEFICIAIRE PAR LE TIERS.

L’interpellation qui a son siège à l’article 1123 du code civil tend à prémunir le tiers d’une éventuelle sanction de la violation d’un pacte de préférence. En effet « lorsqu’un contrat est conclu en violation d’un pacte de préférence » c’est-à-dire sans que la conclusion du contrat définitif ait été d’abord proposée prioritairement au bénéficiaire de la préférence, l’alinéa 2 de l’article 1123 du code civil offre trois possibilités à ce dernier. En effet il peut demander

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85 l’allocation de dommage et intérêts, l’annulation du contrat conclu avec le tiers, la substitution au tiers318. Cet éventail de sanction légale de la violation du pacte de préférence participe d’une codification à droit constant. En effet en l’absence d’existence légale du pacte de préférence avant la réforme du droit des contrats, l’essentiel des sanctions était d’origine prétorienne. Il a depuis longtemps été admis que si la nullité et la substitution sont envisageables, c’est à une condition quelque peu difficile d’accomplissement. Il faut en effet démontrer que le tiers a été de mauvaise foi. La perspective de l’annulation du contrat conclu en violation d’un pacte de préférence par un tiers était admise sans difficulté bien avant la substitution319. La possibilité de la substitution est apparue avec l’arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation, le 26 mai 2006320321. Cet arrêt a reconduit l’exigence de la preuve de la mauvaise foi du tiers en vue de l’application des sanctions prévues. Cependant il a été décidé dans cet arrêt que « si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir ». L’administration de cette double preuve n’est cependant pas facile322. De fait l’action interrogatoire pourrait se heurter à cette exigence probatoire. En effet, le titulaire de l’interrogation, conscient de cette difficulté, pourra en l’absence de toute obligation, préférer miser sur l’échec du bénéficiaire à rapporter la preuve de sa connaissance de l’existence du pacte et de son intention de s’en prévaloir. Il est vrai que cette solution serait plus profitable pour le tiers qui n’a pas à cœur la sauvegarde des intérêts du bénéficiaire, en ce sens qu’il ne s’exposerait pas au risque de se voir reconnaitre de mauvaise foi et ainsi, subir les conséquences de son comportement. Il aurait fallu que législateur n’exigeât pas cette double

318 Art. 1123 al. 2, C.Civ., « Lorsqu'un contrat est conclu avec un tiers en violation d'un pacte de préférence, le

bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l'existence du pacte et l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu. »

319 Cass. 3e civ., 26 oct. 1982, Bull. civ. 1982, III, n° 208 ; Cass. 3e civ., 10 févr 1999, Bull. civ. 1999, III, n° 37,

RTD civ. 1999, p. 856, obs. P.-Y. GAUTIER

320 Cass., ch. mixte, 26 mai 2006, AJDI 2006. 667 ; D. 2006. 1861, note GAUTIER, note MAINGUY ; Ibid.

2638, obs. AMRANI MEKKI, FAUVARQUE-COSSON ; RDS 2006. 808, note BARBIERI ; RTD civ. 2006. 550, obs. MESTRE et FAGES.

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La chambre commerciale a pu cependant laisser miroiter cette substitution en cas de collusion frauduleuse dans un arrêt en 1989, Cass. com., 7 mars 1989, Bull. civ. 1989, IV n° 79 ; D. 1989, p. 231, concl. M. JEOL ; JCP G 1989, II, 21316 ; RTD civ. 1990, p. 70, obs. J. MESTRE.

322 GAUTIER P-Y., « Le leurre de la double preuve, supposée non diabolique, pour l'opposabilité du pacte de

86 preuve dans l’article 1123 du code civil pour que cette question d’opportunité de l’interpellation en matière de pacte de préférence ne se pose pas. Exiger d’une part que le tiers ait eu « connaissance du pacte est naturel, puisque seul cet élément signe sa mauvaise foi323 ». Cependant exiger d’autre part, que le tiers ait su que le bénéficiaire ait connu l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, en plus d’être un frein à l’action interrogatoire en raison de son impossibilité324 et « non pertinente325 ». Cette absence de pertinence est établie par un auteur sur le fondement de l’absence de notification. En effet et cela tombe sous le sens, lorsque le promettant décide de conclure le contrat définitif avec un tiers, le bénéficiaire ne peut être au courant que si l’acte lui a été notifié par ce dernier. A défaut le droit de priorité du bénéficiaire est inactif et son intention de se prévaloir du pacte est inconnue. A ce stade donc, « il l'ignore lui-même. Comment le tiers pourrait-il alors connaître une intention qui n'est pas encore arrêtée ?326 »

Par ailleurs on serait tenté d’établir cette preuve obstacle de la connaissance par le tiers de l’intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte à travers la publicité de ce dernier. Cependant même la publicité foncière ne serait pas d’une grande aide. Car « le pacte de préférence, n'emportant pas une restriction au droit de disposer, n'est pas soumis à la publicité obligatoire qu'organise l'article 28, 2° du décret du 4 janvier 1955 pour les actes constatant de telles restrictions, mais qu'il peut faire l'objet de la publicité facultative que prévoit, pour certains actes, l'article 37327 ». Cette publicité facultative n’existe que pour l’information des tiers quant à l’existence d’un pacte de préférence. Elle n’est donc nullement de nature à faire naitre une présomption de connaissance de l’intention du bénéficiaire328. Toutefois il n’est pas question de montrer ici que la mauvaise foi du tiers ne peut jamais être démontrée à ces conditions, de sorte que l’action interrogatoire en matière de pacte de

323 Ibid.

324 Ibid., selon cet auteur, la preuve de l'intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte est « impossible,

diabolique, comme toute preuve psychologique, c'est à dire de l'état d'esprit d'une personne : qu'on pense à l'intention criminelle en droit pénal, à la volonté libérale en matière de donations, au mobile illicite dans le contrat, à l'intention frauduleuse dans l'action paulienne, à la démence dans tous les actes juridiques, etc. »

325 Ibid. 326 Ibid. 327

LEVENEUR L., « La violation du pacte de préférence peut être sanctionnée par la substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur de mauvaise foi » loc.cit., n° 36, II 10142. ; en ce sens, Cass. 3e civ. 16 mars 1994, n° 91-19.797, JCP G 1994, IV, 1328 ; Bull. civ. 1994, III, n° 58

328 DESIRE J-P., « Le droit immobilier » in Pacte de préférence, liberté ou contrainte, Droit et patrimoine,

87 préférence s’opposera toujours à cet obstacle d’opportunité. En effet la jurisprudence a eu à montrer le contraire329.

En toute hypothèse il faudrait sans doute que le législateur infléchisse cette double condition afin que le tiers contractant ne puisse pas se cacher derrière des considérations d’opportunité pour refuser d’exercer l’interpellation.

Par ailleurs l’action interrogatoire en matière de confirmation de nullité s’oppose également à ce type de considération.

B- LE RISQUE DE REVELATION D’UNE NULLITE INCONNUE DU

CONTRACTANT

Si l’action interrogatoire en matière de nullité permet à son titulaire d’exiger de l’autre partie qu’elle confirme l’acte nul ou qu’elle agisse en nullité dans un délai de six mois, c’est à la condition évidente que celle-ci ait été informée de la cause de nullité en question. La partie interpellante doit donc nécessairement, même si l’article 1183 du code civil ne le prévoit pas, faire figurer dans l’écrit l’élément en considération duquel l’acte est entaché de nullité330. A défaut aucune confirmation ne peut être effectuée331. C’est dire donc que l’exercice de cette action interrogatoire impose à la partie interpellante de révéler à son contractant l’existence d’une cause de nullité dont elle est elle-même à l’origine « sauf à faire de l’action interrogatoire un mécanisme de contournement de l’article 1182332 ». Dans ces conditions, le doute quant à l’opportunité d’une telle action s’installe. En effet en l’absence de toute obligation, pourquoi une partie prendrait le risque d’user du nouveau mécanisme et ainsi provoquer une action en nullité que son contractant n’aurait jamais exercée ? En outre ce serait donner à l’interpellé le pouvoir de maintenir pendant un délai de six mois un moyen de pression sur la partie qui exerce l’action, afin de s’assurer de l’exécution conforme des prestations. En conséquence celui envers qui est ouvert ce mécanisme préventif serait bien avisé de mesurer les conséquences d’une telle action avant d’en poursuivre l’exercice. Car, il serait inopportun de mettre en œuvre le nouveau mécanisme dans les cas où la cause de nullité ne serait pas flagrante.

329 V. en ce sens, Com. 7 janv. 2004, n° 00-11.692, Bull. Joly, 2004. p. 544, note Le CANNU P., l’intention du

bénéficiaire avait ici été démontrée par une notification par acte d’huissier.

330 BENABENT A., « Les nouveaux mécanismes » loc.cit. 331 Art. 1182, C.Civ.

332 DESHAYES O., GENICON T. et LAITHIER Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de

88 Par ailleurs à ce risque s’ajoute un autre : celui de l’impossibilité de l’interpellant de se défendre ultérieurement. En effet, lorsqu’après avoir ou non mesuré les conséquences de cette action interrogatoire son titulaire décide malgré tout de l’exercer, il pourrait être considéré à son encontre que la cause de nullité qu’elle soulève est bien réelle. En ce sens on a pu s’interroger en doctrine sur la question de savoir si l’interrogation ne serait pas analysée « sinon comme un aveu, du moins comme un indice de la réalité du vice de nullité333 ». Cette interrogation est possible car l’aveu émanant d’une partie au contrat peut être produite en dehors de toute procédure judiciaire. On pourrait de ce fait creuser la piste de l’aveu. Car, si celui-ci « est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques334» on peut considérer que le fait de révéler une cause de nullité de son propre chef en vue d’exiger la confirmation du contrat en est un. En effet si une partie prend l’initiative de mettre en action l’interpellation interrogatoire, c’est parce qu’elle a la conviction que la cause de nullité est avérée. Néanmoins il parait qu’il faille écarter la piste de l’aveu335 car s’il peut être contenu dans l’écrit interrogatoire, il ne peut point porter que sur une question de fait336. En effet, l’aveu extrajudiciaire ne peut point porter sur une question de droit337. Cette règle est somme toute logique. Elle s’explique en effet par le fait que « la qualification juridique d'une situation de fait relève du pouvoir du juge338 » et non des parties au contrat. Ainsi donc, l’exercice de l’action interrogatoire ne devrait pas lier l’interpellant de sorte qu’il pourra se contredire et défendre l’inexistence d’une cause de nullité devant le juge.

Néanmoins cette possibilité pour l’interpellant de changer de discours ne devrait pas être admise dans l’absolu. En effet, il est des causes de nullité relative dont la révélation ne serait de nature à être retenue contre l’interpellant. A tout le moins elle pourrait réduire la force de ses arguments de défense. Il en est ainsi par exemple s’agissant du dol ou de la violence. « Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre

333 BENABENT A., « Les nouveaux mécanismes », loc.cit. 334 Art. 1383 al 1, C.Civ.

335 VEYRE L., « l’action interrogatoire en matière de nullité : personnes intéressées, soyez vigilantes », loc.cit. 336

Civ. 2e, 12 mars 2009, n° 07-20.212, « Mais attendu que la déclaration d'une partie portant sur des points de droit, tels que l'existence d'un droit de propriété, ne constitue pas un aveu, lequel ne peut avoir pour objet qu'un point de fait »

337 HALLARD R., « L'aveu ne peut concerner un point de droit », AJDI, 2014, p. 276 338

89 partie339 ». Quant à la violence, elle est caractérisée « lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable340 ». Lorsque l’interpellant indique ces causes de nullité, il devra mentionner dans l’écrit des éléments de fait afin de permettre à son contractant de bien comprendre qu’en l’absence de telles manœuvres, il n’aurait pas contracté ou à tout le moins il l’aurait fait dans d’autres conditions. Dans ce cas, si l’intention dolosive ou la pression exercée sont reconnues par l’interpellant, de quel moyen disposerait-il pour convaincre le juge de l’inexistence d’un dol ou d’une violence341 ? En toute hypothèse, il nous semble peu probable que l’interpellant puisse dans ces cas considérés se dédire à succès. Ce qui et sur c’est qu’il faut faudra veiller à ce que le nouveau mécanisme soit opératoire au risque de faire beaucoup de bruit pour rien.

CHAPITRE II : LA CONSTRUCTION DU CARACTERE OPERATOIRE DES