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SECTION I : La nécessité d’une action interrogatoire contraignante à l’égard de son titulaire

A- L’OBLIGATION POUR LE TITULAIRE D’EXERCER L’ACTION INTERROGATOIRE : UNE INCOMBANCE

1- L’application de la déchéance au titulaire de l’action interrogatoire

Si l’on assimile les actions interrogatoires à des incombances en considération de leurs titulaires, c’est parce que le manquement de ces derniers à l’exercice de telles actions ne doit pas être impuni. La sanction attachée au manquement à une incombance est assez spécifique. En effet, parce que le titulaire d’une action interrogatoire a été négligent à son propre détriment, la particularité de l’incombance impose qu’il soit déchu du droit ou de la prorogation qui aurait découlé de l’exercice d’une telle action. Cette déchéance aura pour but d’éviter que le titulaire d’une action interrogatoire qui n’agit pas dans son propre intérêt alors que rien ne l’en n’empêche, ne nuise de ce fait à celui qui aurait dû en être le destinataire.

La déchéance d’un droit – La déchéance désigne les hypothèses dans lesquelles une

personne subit la « perte d’un droit, d’une fonction, d’une qualité ou d’un bénéfice (…) à titre

93 de sanction »352. Il s’agit donc du fait de ne plus pouvoir obtenir la reconnaissance d’un droit en justice. Cependant ce n’est pas parce que la déchéance d’un droit ou d’une prérogative est la sanction d’un manquement à une incombance qu’elle est applicable seulement à ce type de comportement. En effet « déchéance » et « incombance » sont des « notions non bijectives353 ». Une telle conception conduirait à réduire convenablement le champ de la déchéance mais aussi à dénaturer la notion d’incombance. Néanmoins la déchéance qui nous préoccupe ici est celle qui sanctionne l’inobservation d’une exigence comportementale préalable à l’exercice d’un droit. Dans le cadre du non-exercice volontaire d’une action interrogatoire, la déchéance pourrait être vue comme une sanction de l’incohérence de son titulaire mais aussi sa punition en ce que ce dernier ne mérite pas le droit qui lui été reconnu. En effet la déchéance a ici une double fonction : prévenir et punir.

D’une part, la perspective de la perte d’un droit par le titulaire de l’action interrogatoire serait de nature à le dissuader de ne pas manquer à l’incombance lorsque les conditions en seront réunies. On y voit dès lors une nature menaçante de la déchéance qui opère en amont. Cela peut se justifier par le fait que la personne sur qui pèse une incombance accomplira la diligence comportementale attendue d’elle. Pour cette raison, il faut la dissuader de toute défaillance. De fait, la déchéance intervient comme une « épée de Damoclès suspendue au- dessus de la tête du sujet dont est attendu le respect d’une incombance, et qui viendrait s’abattre en cas de manquement354 ».

D’autre part, la déchéance, sanction de l’incombance a une nature punitive en ce qu’elle vient sanctionner une exigence comportementale. Cette punition n’en est nullement une réparation. Elle est une sanction en ce qu’elle est toujours négative pour celui qui la subit. La peine se traduit ainsi par sa « dimension punitive »355. Elle ne vient pas également sanctionner une faute. Car si celle-ci est « l’action volontaire ou non, ou encore l’omission qui porte atteinte au droit d’autrui en lui causant un dommage »356, le tort causé par le manquement à l’incombance n’est qu’à l’endroit de celui-là même qui devait s’y conformer. C’est dans son propre intérêt donc que le titulaire d’une action interrogatoire doit la mettre en œuvre. A défaut de la caractérisation de la faute, il s’agirait d’une négligence qui est sanctionnée mais pas avec la même force que l’aurait été la sanction d’une faute. Cette négligence n’en est pas

352 Ibid., no415 353

Ibid., no416

354 Ibid., no422

355 V. en ce sens, PAUL F., « L’ampleur de la décharge directe de la caution en raison de la faute du créancier »,

Droit et Patrimoine, 2002, no105, p.40 et s.

356

94 moins un comportement anormal qui traduit l’absence d’intérêt pour le titulaire d’une action interrogatoire de sécuriser son contrat, en empêchant avant le destinataire d’être en mesure de contester l’acte en cause avant tout contentieux. De fait parce que celui qui dispose du pouvoir d’interpellation ne s’est point soucié de son droit en amont et ce, peut-être dans une intention malicieuse, il ne devrait pas lui être permis de le faire en aval, d’où la déchéance. Celle-ci n’est pas non plus volontaire. En pareil cas elle ne serait pas analysée comme une peine. Le titulaire de l’action interrogatoire ne se l’applique pas, ce n’est pas une renonciation. « Elle est infligée de l’extérieur. Elle a une nature objective »357. « En effet, la déchéance est une sanction imposée de l’extérieur au titulaire, indépendante de sa volonté, sinon contrainte à cette volonté, tandis que la renonciation est un acte de sa volonté visant directement à produire un effet juridique déterminé, à savoir l’abdication d’un droit »358. Ainsi au gré des exigences comportementales, le titulaire négligent de l’action interrogatoire ne bénéfice pas du droit qui lui était reconnu légitimement. Reste à déterminer la teneur de ce droit.

Identification du droit objet de la déchéance – si la déchéance est requise en cas de

manquement du titulaire d’une action interrogatoire en raison de la reconnaissance de l’incombance, la question se pose de savoir sur quoi elle porte effectivement. De quel droit donc se trouve privé le tiers ou la partie défaillante ? Il faudrait ainsi identifier le droit ou la prérogative dont se retrouve déchu le titulaire de l’action interrogatoire défaillante. Pour ce faire, un petit parallèle avec la déchéance du destinataire de l’interrogation s’impose.

Lorsque l’action interrogatoire est régulièrement notifiée à son destinataire, celui-ci a l’obligation de répondre à l’interrogation sous peine d’être déchu du droit de dénoncer l’acte. Ainsi il perdrait par sa négligence le droit de se prévaloir des sanctions de la violation de son pacte de préférence, de l’inopposabilité ou de nullité de l’acte conclu sans pouvoir ou bien encore le droit de demander la nullité relative d’un contrat. En un sens on peut dire que le législateur a mis une incombance à la charge du destinataire de l’interrogation interpellatoire359. Car là aussi, la déchéance est la sanction du non-respect d’une formalité requise pour conserver le bénéfice d’un droit. Seulement il s’agit d’une sanction prévue par la loi, donc, une incombance légale à la différence de celle pesant sur le titulaire de l’aire de l’action interrogatoire. Néanmoins à l’instar du destinataire de l’interpellation, la déchéance de l’interpellant porterait sur le droit de se prévaloir de moyens de défense pour le cas où le bénéficiaire du pacte, le représentant ou le cocontractant déciderait d’agir en justice. En effet

357 FRELETEAU B., Devoir et incombance en matière contractuelle, op.cit. no424 358 GRAMMATIKAS G., Théorie générale de la renonciation, LGDJ, 1971, no33 bis. 359

95 dès l’instant que la loi met à la disposition du titulaire de l’action interrogatoire un mécanisme préventif, la contrainte comportementale qui s’y attache impose que celui-ci en fasse usage. De fait si, sans raison particulière il n’a pas tenté de prévenir les éventuels conflits, il ne lui sera plus possible de se défendre. Il s’agit là donc de la perte de l’exercice d’un droit processuel et ce, peu importe l’interpellation considérée. Que l’on soit en matière de pacte de préférence, ou représentations conventionnelles ou même de confirmation de nullité.

Par ailleurs l’incombance aurait le mérite de restaurer un certain équilibre entre interpellant et interpellé. En effet la consécration des actions interrogatoires est faite de façon unilatérale au profit des seuls tiers ou une seule partie au contrat. C’est ainsi leur donner le pouvoir de se créer unilatéralement un droit à l’encontre d’autre personne qui n’ont à leur disposition aucun moyen pour riposter. Or, avec la reconnaissance de l’incombance, chacune des parties à l’interrogation peut se prévaloir des mêmes droits à l’encontre de l’autre lorsque le défaut de diligence, eu égard aux exigences comportementales, sera avéré. De l’un et de l’autre côté la déchéance sera applicable. Alors que la déchéance de l’interpellé sera une sanction légale attachée à son défaut de réponse, la déchéance du titulaire de l’action sera la conséquence de son inaction.

Cependant aussi fort qu’est la nécessité de faire du nouveau mécanisme un outil contraignant à l’encontre du titulaire d’une action interrogatoire, le déchéance de celui-ci ne peut se faire que sous certaines conditions.