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SECTION I : La nécessité d’une action interrogatoire contraignante à l’égard de son titulaire

A- L’OBLIGATION POUR LE TITULAIRE D’EXERCER L’ACTION INTERROGATOIRE : UNE INCOMBANCE

2- Les conditions de la déchéance

La déchéance qui est la sanction de la méconnaissance d’une contrainte comportementale peut être assujettie à certaines conditions en raison de son caractère punitif.

La légalité de la déchéance – Un principe fondamental du droit veut que les peines soient

prévues par la loi ou le règlement. En effet, « nullum crimen, nulla poena sine lege »360. En vertu de ce principe constitutionnel361 reconnu par la Déclaration des Droits de L’homme et

360 Art. 111-3, C.P., « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis

par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention ».

361 C.C., D° 127, 19-20 janv., 1981, D, 1982, p. 441, note DEKEUWER A.; C.C., 10-11 oct., 1984, RSC, 1985,

96 du Citoyen362, le pouvoir de fixation des normes répressives est donné au parlement ou à l’autorité compétente en matière règlementaire. L’esprit de ce principe est que le sujet de droit ne puisse pas se voir appliquer une sanction punitive sans qu’un texte ne prévoie au préalable la condamnation qu’il encourt. La connaissance du risque encouru détermine ainsi la peine car « ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient le plus surement les crimes [mais] la certitude du châtiment »363. La conséquence de cette règle est qu’en l’absence de sanction prévue par la loi ou le règlement, le juge est tenu de ne pas en créer. Or la déchéance qui résulte de la méconnaissance d’une incombance, si elle n’est pas comprise dans la matière pénale, n’en est pas moins une peine susceptible de se voir appliquer la même règle en raison de son objectif coercitif. En effet les « les déchéances civiles trouvent leur source dans un texte, en vertu d’une disposition légale ou réglementaire. Il n’y a point de déchéance sans texte : sa mise en œuvre suppose qu’elle soit préalablement prévue par une loi ou un règlement. Ce postulat procède de la gravité des effets attachés à la déchéance : le sujet doit être averti avant d’être frappé par la déchéance »364. Néanmoins la règle parait assouplie en matière civile. En effet la déchéance peut y être prévue par contrat. Les parties peuvent ainsi dans leurs stipulations contractuelles prévoir la mise en œuvre d’une déchéance en guise de sanction du manquement d’une partie. En pareil cas, la règle de la légalité des peines se traduira par les exigences de clarté et de précision qui assortissent la clause de déchéance. C’est ainsi qu’en matière d’assurance la stipulation de la clause de déchéance « doit être spéciale, claire et précise »365. Cependant la déchéance du titulaire d’une action interrogatoire ne découle pas de stipulations contractuelles. Elle ne peut donc être constatée que par le juge. Or, le principe de la légalité des peines est de nature à interdire au juge de créer des déchéances. Il est donc en principe impuissant en l’absence de texte ou à tout le moins d’un contrat qui la prévoit. Pour autant cette (…) n’est pas appliquée dans son sens plein. En effet selon un auteur, « il peut sembler [parfois] qu’une incombance se trouve implicitement et à posteriori, imposée aux parties par les juges »366. A l’appui d’une telle dérogation, un arrêt rendu en matière de clause de mobilité a pu laisser comprendre qu’il était exigé de l’employeur le respect d’un devoir comportemental, donc une incombance portant sur

362 Art. 8 DDHC., « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut

être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

363 BECCARIA C., Des délits et des peines, Flammarion, 1979, p. 105 364

GARS A. LE, la déchéance des droits en droit privé français, thèse, Toulouse 1, 2003, no76, citée par FRELETEAU B., Devoir et incombance en matière contractuelle, op.cit. no438

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Art. L 113-11, C. assur. « Sont nulles : 1° Toutes clauses générales frappant de déchéance l'assuré en cas de violation des lois ou des règlements, à moins que cette violation ne constitue un crime ou un délit intentionnel »

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97 l’information du salarié à l’occasion de la mise en œuvre de cette clause, sous peine de déchéance du droit de l’invoquer367. Dans (…) arrêt la Cour de cassation énonce la sanction d’une incombance qui n’est prévue dans aucun texte. Il est à noter cependant que le risque d’une telle décision est d’ébranler la sécurité juridique du contractant sur qui s’abat la déchéance imprévue. Car le juge s’est substitué à la loi, ce qui peut pousser le déchu à ne pas accepter la décision rendue. Une telle application au titulaire d’une action interrogatoire risquerait de heurter des principes fondamentaux. Ce risque serait ainsi de nature à réduire l’efficacité de la sanction et partant de l’action interrogatoire en ce que la décision qui serait rendue, ne serait ni comprise ni acceptée par le titulaire de l’action interrogatoire. C’est pourquoi il faut éviter qu’une telle situation se produise, il faut faire de la déchéance du titulaire d’une action interrogatoire du droit de se prévaloir de moyens de défense une incombance légale.

La nécessité d’une sanction légale – la codification actuelle des actions interrogatoires ne

prévoit pas la déchéance de leur titulaire négligent. Il le faudrait pourtant. En effet quitte à faire l’usage du nouveau mécanisme une incombance, il est impératif que la déchéance soit prévue par la loi. Ainsi à l’instar de l’incombance légale qui pèse sur le destinataire de l’interrogation, la déchéance de celui à qui est reconnu droit d’interpellation, sera revêtue d’une certaine certitude et d’une prévisibilité qui lui permettra de se conformer au principe de légalité. Ainsi elle sera sans contestation acceptée. Dans cette lancée nous pensons que les dispositions interpellatoires gagneraient à être modifiées, notamment l’usage du verbe « pouvoir » qui en fait en l’état actuel une faculté. Ainsi lorsque le tiers qui s’apprête à conclure un contrat soupçonne l’existence d’un pacte de préférence, il « doit » demander au bénéficiaire de le lui confirmer en même temps que son intention de s’en prévaloir. De la même manière, le tiers contractant qui doute de la réalité des pouvoirs du représentant « doit » se renseigner sur son habilitation auprès du représenté connu. Celui qui connait l’existence d’une cause potentielle de nullité relative dont il est à l’origine n’est pas en reste. Il « doit » demander à son contractant soit de mettre en œuvre l’action en nullité, soit de confirmer le contrat potentiellement nul.

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Cass. Soc., 11 mai 2005, n°03-43040, «Mais attendu […] que, nonobstant un motif erroné faisant état de la nécessité pour l'employeur d'expliquer les raisons de sa décision et de justifier des nécessités de service invoquées, il ressort d'autres motifs, propres ou adoptés, que les conditions dans lesquelles la clause de mobilité avait été mise en œuvre procédaient d'une précipitation abusive justifiant le refus de la salariée ; que le moyen ne peut, dès lors, être accueilli dans aucune de ses branches »

98 Ainsi donc pour une efficacité certaine des nouvelles interpellations interrogatoires, la sanction par la déchéance de leurs titulaires est de rigueur en raison de l’incombance qui doit être attachée à leur exercice. Cette sanction à la nature punitive doit cependant être conforme au principe de légalité. Par ailleurs, cette « obligation » qui pourrait être une voie d’achèvement de l’efficacité des interpellations nouvelles pourrait trouver sa justification dans diverses causes au vu de l’évolution actuelle du droit des contrats.