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2.3 Objectifs du travail de modélisation

Bien que de nombreuses études aient été réalisées afin de déterminer les conséquences d’une exérèse de la langue sur la déglutition, la mastication ou l’articulation, il est à l’heure actuelle très difficile de prévoir, pour un patient donné, les conséquences d’une chirurgie.

Les chirurgiens maxillo-faciaux se posent de nombreuses questions quant à la meilleure ma-nière de reconstruire la langue après amputation linguale. Devauchelle et al. (2005) mentionne quelques uns des problèmes rencontrés :

– quelle doit être la taille minimum de l’amputation pour qu’il y ait volonté de reconstruc-tion ?

– quel tissu est le mieux à même de remplacer les tissus excisés : la peau, la muqueuse ou un lambeau composite (musculo-cutané par exemple) ?

– quel est le lambeau adéquat pour une chirurgie donnée ?

– quelle doit être la taille du lambeau à utiliser pour ne pas freiner la mobilité linguale ? A ces questions s’ajoutent, dans le cas d’une macroglossie congénitale, celle de la forme de l’exérèse la plus à même de permettre à un patient d’avoir une vie la plus normale possible.

Afin d’apporter des éléments de réponse à ces questions, notre objectif est donc, à terme, de développer un système permettant de reproduire un acte chirurgical donné (schéma de découpe particulier et lambeau dont les propriétés biomécaniques peuvent être modifiées), et de prédire les conséquences de cet acte sur la mobilité linguale.

De plus, des opérations similaires semblent produire des résultats parfois très différents d’un patient à autre. Devauchelle et al. (2005) résume ici parfaitement ce problème :

Chacun conviendra que nous sommes en matière de langue mobile inégaux : tel naîtra avec une petite langue et une petite mandibule ; tel autre avec une macro-glossie ; tel autre verra sa langue appuyée sur l’arche mandibulaire et susciter une promandibulie ; tel autre, au contraire, aura une agilité linguale hors de l’ordinaire.

A couper la langue des uns et des autres obtient-on les mêmes conséquences fonc-tionnelles ? La langue sectionnée, reconstruite, a-t-elle selon les sujets la même capacité d’adaptation ? Voilà autant de questions auxquelles il est difficile de ré-pondre.

Un modèle patient-dépendant semble donc indispensable pour pouvoir prévoir les conséquences d’une chirurgie.

A terme, le but de ce projet sera donc développer un outil logiciel qui permettrait à un chirurgien :

1. de créer un modèle biomécanique 3D de la cavité buccale respectant l’anatomie du pa-tient, dont la structure interne de la langue

2. de simuler les modifications anatomiques induites par la chirurgie et la reconstruction éventuelle

3. de prédire quantitativement et estimer les conséquences de ces modifications anatomiques sur la mobilité linguale et la production de parole après la chirurgie.

Dans ce mémoire, le modèle développé est adapté à un locuteur spécifique et les chirurgies modélisées se limiteront à des résections des tissus linguaux, sans atteinte de la mandibule.

30 CHAPITRE2 : Chirurgie de la langue

CHAPITRE 3

Modélisation de la langue : l’état de l’art

Dans ce chapitre, nous évoquerons les principaux modèles de langue développés ces qua-rante dernières années. Deux types de modèles seront évoqués : les modèles statistiques et les modèles physiologiques. Le but recherché pour les modèles les plus complexes est générale-ment de mieux connaître la production de parole, en exploitant ces modèles pour confirmer ou infirmer une théorie. Ces modèles sont destinés à l’étude du contrôle des gestes de la parole ; au modèle de langue s’ajoute donc généralement une modélisation des autres articulateurs (la mandibule, les lèvres, la voûte palatine, le palais mou, les parois pharyngées et le larynx) qui déterminent la forme du conduit vocal et la fonction de transfert acoustique. Les modèles les plus simples sont davantage destinés au domaine de l’animation. A notre connaissance, rares sont les modèles destinés à un usage dans le domaine médical.

3.1 Modèles géométriques et statistiques de la langue

Lors des gestes de la parole, la langue va subir des déformations complexes. Elle contient plusieurs milliers d’unités motrices (le noyau hypoglosse comporterait à lui seul plusieurs mil-liers de neurones moteurs (O’Kusky et Norman, 1992)), qui pourraient constituer autant de paramètres indépendants pour contrôler la forme et la position de la langue, même si ceci est très peu probable. La question que l’on peut se poser est de savoir combien de paramètres indé-pendants sont nécessaires pour représenter l’ensemble des déformations possibles qu’un tissu extrêmement déformable comme la langue peut subir pour adopter des formes aussi variées, et quels sont ces paramètres.

Les premiers modèles géométriques présentaient la langue comme un corps pouvant être subdivisé en deux segments indépendants : l’apex et le corps de la langue, dont le contrôle était supposé quasi indépendant (Mermelstein, 1973; Coker, 1976). Les modèles suivant se sont attachés à décrire la langue avec deux à quatre paramètres (Harshman et al., 1977; Maeda, 1979b, 1990; Maeda et Honda, 1994; Badin et al., 2000; Engwall, 2000; Slud et al., 2002), déterminés à partir d’une étude statistique reposant sur les coordonnées d’un nombre donné de points à la surface de la langue.

La première étape nécessaire pour établir un modèle statistique consiste à établir la forme

32 CHAPITRE3 : Modélisation de la langue : l’état de l’art

de la langue au repos ainsi qu’une base de données répertoriant les différentes formes que peut prendre la langue au cours des gestes de parole : les données peuvent représenter la surface de la langue ou se limiter à la forme de la langue dans le plan médiosagittal par exemple. De la qualité de cette base de données dépendra le résultat final : la sur- ou sous-représentation d’un phonème ou d’une forme particulière de langue affectera le résultat final. L’étape suivante consiste à extraire les principaux paramètres permettant d’expliquer la forme de la langue : les algorithmes utilisés reposent généralement sur une analyse en composantes principales ou une méthode dérivée. Chaque paramètre permet d’expliquer une partie de la variabilité des données : seuls les paramètres les plus représentatifs sont retenus. Les paramètres ainsi extraits sont utilisés pour déformer le corps de la langue à partir de sa position de repos. Avec leur modèle, Beautemps et al. (2001) se proposent par exemple d’expliquer 96% de la variance observée concernant les contours de la langue dans le plan médiosagittal avec seulement six paramètres articulatoires. La forme de la langue est obtenue à partir de sa position de repos et d’une combinaison linéaire des paramètres calculés.

L’intérêt de ces modèles réside dans leur simplicité : ils trouvent donc naturellement leur place dans le domaine de l’animation, par exemple pour le développement de têtes parlantes (Revéret et al., 2000). Ils permettent également d’effectuer des études :

– de couplages entre les articulateurs, que soit pour étudier la synergie entre articulateurs ou les mécanismes de compensation en cas de perturbation (Maeda, 1990; Savariaux et al., 1995; Badin et al., 2000; Serrurier et Badin, 2007) ;

– des principaux axes de déformation de la langue (Harshman et al., 1977; Jackson, 1988) ; – des régularités articulatoires au cours de la production de parole (Boë et al., 1992) ; – des relations articulatori-acoustiques (Rubin et al., 1981; Majid et al., 1987).

Ces modèles peuvent également être construits pour des patients ayant subi un acte chirurgical tel une glossectomie afin de pouvoir analyser en détail la manière dont la chirurgie altère les fonctions de la langue (Bressmann et al., 2005).

Ce type de modèle ne permet toutefois pas la prise en compte de la mécanique de la langue au cours des déformations, pas plus que la dynamique, ou la nature des commandes de contrôle.

Les paramètres permettant d’agir sur le modèle correspondent aux degrés de libertés des ar-ticulateurs, et ne correspondent donc pas directement aux commande émises par le SNC. Ce modèle ne pourrait par conséquent par prendre en compte une modification de la structure de la langue pour la planification d’un acte chirurgical par exemple, les commandes utilisées n’étant plus adaptées et les nouvelles commandes difficiles à prévoir.

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