• Aucun résultat trouvé

II. Aspects méthodologiques

II.2. Problématique et objectifs de la recherche 1. Problématique

II.2.2. Objectifs et hypothèses de la recherche

141 SHELTON D., Remedies in International Human Rights Law, 3rd Ed., op. cit., p. 254.

142 SCELLE G., Précis du droit des gens: principes et systématique, op. cit., p. X.

143 Les contextes de justice transitionnelle sont caractérisés par des compromis mettant souvent en péril l’application des règles de droit dans un objectif de reconstruction et de sauvegarde de la paix, des intérêts tout aussi légitimes que l’application du droit.

Le juriste est-il en mesure d’exiger une application rigide du droit dans de tels contextes ou devra-t-il se résoudre à accepter ce mélange politico-juridique qui caractérise les PRJT ? Dans la mesure où des droits internationaux sont tout de même en cause, il convient également de s’interroger sur l’influence que le droit international a ou devrait avoir sur la mise en œuvre des PRJT : dans quelle mesure les règles juridiques qui régissent la société internationale contemporaine pourraient-elles être d’une quelconque utilité dans le cadre de la réparation des crimes de masse dans un contexte national ? En effet, certaines pratiques qui ont cours dans les contextes de justice transitionnelle peuvent faire penser que la part du droit international dans la mise en œuvre des PRJT est sacrifiée sur l’autel de compromis politiques. Ce qui conduit à se poser les questions spécifiques suivantes :

• Quel est le degré d’influence du droit international sur les PRJT et comment peut-on juridiquement les qualifier ?

• Que prévoit le droit international contemporain pour l’individu en matière de réparation, pouvant constituer la base juridique des PRJT ?

• Les PRJT développent-ils une pratique contradictoire aux principes et règles du droit international en matière de réparation ?

• Le droit international permet-il une interprétation plus large de ses principes et règles en matière de réparations individuelles permettant de fonder juridiquement certaines pratiques dans les PRJT ?

• Les exemples de pays dans lesquels les victimes sont en attente d’une éventuelle réparation sont nombreux. Peut-on, en l’état actuel du droit international, contraindre les Etats à respecter leur obligation de réparation à l’égard des victimes dans un contexte interne ? Est-il possible de conclure à l’existence d’une coutume internationale dans la mise en œuvre du droit individuel à réparation à travers la pratique des Etats en matière de PRJT ?

II.2.2. Objectifs et hypothèses de la recherche

Les objectifs ci-dessous décrits constituent également les hypothèses qui seront vérifiées tout au long de la recherche. Les exemples de violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire de grande ampleur ne sont malheureusement pas rares de nos jours. Dans une tentative nécessaire de

réconciliation avec leur passé douloureux, les sociétés ont dû créer diverses formules pour surmonter les terribles maux auxquels elles ont été confrontées. Parmi ces formules, le droit international y tient une place fondamentale même s’il faut tenir compte du contexte et des réalités imposées. Par ailleurs, l’individu a indéniablement acquis une place importante en droit international contemporain grâce aux droits et devoirs que lui reconnaît ce droit. Néanmoins, la question de savoir si les réparations qui lui sont octroyées lorsque ces droits sont violés coïncident avec une obligation correspondante de l’Etat en droit international ne suscite pas beaucoup d’intérêt chez les internationalistes. A cet effet, Tomuschat fait le constat suivant:

[i]f today in South Africa special victims of the Apartheid system receive some kind of compensation or if victims of the socialist system in the German Democratic Republic […]

are similarly granted some more symbolic payments in the recognition of their plight, nobody really inquires into the legal background, asking whether such compensatory damages may have been owed to the beneficiaries also on account of a corresponding duty under international144.

L’étude vise principalement à situer les PRJT dans le paysage normatif du droit international, en analysant leurs pratiques à la lumière des principes et normes de ce droit portant sur le droit individuel à réparation. En d’autres termes, il s’agit de mettre en lumière la pertinence du droit international dans l’élaboration des PRJT qui ne sont pas qu’une simple question de droit interne. Les hypothèses suivantes constituent dès lors l’arrière-plan argumentatif de la réflexion :

Les PRJT ne constituent pas de simples arrangements politiques nationaux, mais une mise en œuvre du droit individuel des victimes à réparation affirmé en droit international. En effet, on a parfois vite fait d’assimiler les PRJT à de simples arrangements politiques, cherchant à évacuer rapidement la question de la prise en charge des victimes par la mise en place de procédures ad hoc donnant l’impression que les droits de ces victimes ne font pas l’objet d’attention suffisante. Il s’agit dans cette étude de tenter d’établir le lien entre le discours juridique international sur le droit individuel à réparation et les PRJT. Cela consiste à montrer d’une part, que les PRJT sont fondés en droit international même si leur mise en œuvre se fait au niveau interne des Etats et, d’autre part, que la mise en œuvre du droit individuel à

144 TOMUSCHAT CHRISTIAN, « Individual Reparation claims in Instances of Grave Human Rights Violations: The Position under General International Law», op. cit., p. 14.

réconciliation avec leur passé douloureux, les sociétés ont dû créer diverses formules pour surmonter les terribles maux auxquels elles ont été confrontées. Parmi ces formules, le droit international y tient une place fondamentale même s’il faut tenir compte du contexte et des réalités imposées. Par ailleurs, l’individu a indéniablement acquis une place importante en droit international contemporain grâce aux droits et devoirs que lui reconnaît ce droit. Néanmoins, la question de savoir si les réparations qui lui sont octroyées lorsque ces droits sont violés coïncident avec une obligation correspondante de l’Etat en droit international ne suscite pas beaucoup d’intérêt chez les internationalistes. A cet effet, Tomuschat fait le constat suivant:

[i]f today in South Africa special victims of the Apartheid system receive some kind of compensation or if victims of the socialist system in the German Democratic Republic […]

are similarly granted some more symbolic payments in the recognition of their plight, nobody really inquires into the legal background, asking whether such compensatory damages may have been owed to the beneficiaries also on account of a corresponding duty under international144.

L’étude vise principalement à situer les PRJT dans le paysage normatif du droit international, en analysant leurs pratiques à la lumière des principes et normes de ce droit portant sur le droit individuel à réparation. En d’autres termes, il s’agit de mettre en lumière la pertinence du droit international dans l’élaboration des PRJT qui ne sont pas qu’une simple question de droit interne. Les hypothèses suivantes constituent dès lors l’arrière-plan argumentatif de la réflexion :

Les PRJT ne constituent pas de simples arrangements politiques nationaux, mais une mise en œuvre du droit individuel des victimes à réparation affirmé en droit international. En effet, on a parfois vite fait d’assimiler les PRJT à de simples arrangements politiques, cherchant à évacuer rapidement la question de la prise en charge des victimes par la mise en place de procédures ad hoc donnant l’impression que les droits de ces victimes ne font pas l’objet d’attention suffisante. Il s’agit dans cette étude de tenter d’établir le lien entre le discours juridique international sur le droit individuel à réparation et les PRJT. Cela consiste à montrer d’une part, que les PRJT sont fondés en droit international même si leur mise en œuvre se fait au niveau interne des Etats et, d’autre part, que la mise en œuvre du droit individuel à

144 TOMUSCHAT CHRISTIAN, « Individual Reparation claims in Instances of Grave Human Rights Violations: The Position under General International Law», op. cit., p. 14.

réparation dans les PRJT résulte de l’obligation correspondante de réparation de l’Etat en cas de violation de ses engagements internationaux.

Ces programmes ne sortent pas du néant, ils s’inscrivent dans l’esprit de l’éthos de réparation qui agite le droit international depuis quelques décennies145. On parle aujourd’hui de l’ère des excuses (« age of apologies146 »). Dans cet esprit, le droit international en général, et le droit international des droits de l’homme plus particulièrement, y tiennent un rôle important. On se trouverait dans l’ère de l’application effective des droits de l’homme. On parle alors de « age of enforcement 147 » ou encore de « age of human rights accountability148 ». Les droits de l’homme ne constituent plus aujourd’hui une simple proclamation abstraite de droits.

On est passé de l’époque de simple proclamation de ces droits à celle de leur mise en œuvre effective :

[t]he international protection of the fundamental rights of individuals is developing along a path that goes from an initial phase of abstrat proclamation towards a phase of concrete realisation and enforcement. There exist a number of significant indications that seem to signal that human rights law is slowly but steadily, moving towards […] a new age; the age of enforcement149.

Le droit à réparation étant un droit attaché à tout droit de l’homme, les PRJT découlent donc de l’obligation des Etats d’appliquer, de respecter, de protéger les droits de l’homme. Par ailleurs, les violations prises en compte sont celles généralement connues en droit international, les prestations de réparations accordées sont faites sur la base des formes de réparations définies en droit international, etc.

Ainsi, comme tous les autres mécanismes de la justice transitionnelle, les

145 L’expression « ethos de la réparation » est empruntée à Richard Falk, selon qui, l’on assiste aujourd’hui en droit international à l’émergence d’une culture de la réparation qui veut que tout individu qui subit un préjudice du fait de la violation de ses droits puisse recevoir une réparation aussi complète que possible. FALK R., « Reparations, International Law, and Global Justice… », op. cit., p. 485.

146 Voir par exemple: BROPHY A.L., Reparations, Pro & Con, Oxford, Oxford University Press, 2006, p.

40; GIBNEY M. and AL. (eds.), The Age of Apology: Facing up to the Past, Philadephia, University of Pennsylvania Press, 2008.

147 ROMBOUTS H.and AL. « The Right to Reparation for Victims of Gross and Systematic Violations of Human Rights », in DE FEYTER K.,PARMENTIER S. and LEMMENS P. (eds.), Out of the Ashes. Reparation for Victims of Gross and Systematic Human Rights Violations, Antwerpen-Oxford, Intersentia, 2005, p. 355.

148 LESSA F. and PAYNE L.A. (eds.), Amnesty in the Age of Human Rights Accountability, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.

149 ROMBOUTS H.,SARDARO P. and VANDEGINSTE S., « The Right to Reparation for Victims of Gross and Systematic Violations of Human Rights », op. cit., p. 355.

programmes de réparations trouvent leur fondement juridique dans le droit international.

Le droit international contient des dispositions sur le droit individuel à réparation (et le droit au recours) dans ses différentes branches qui permettent de déduire une base légale internationale des PRJT. Dire du droit international qu’il constitue le cadre légal des PRJT n’est pas une affirmation exempte de toute critique, car les obligations contenues dans les instruments contraignants du droit international concernant les réparations en faveur des individus sont jugées vagues et abstraites, ce qui fait qu’elles peuvent difficilement être mises en œuvre, surtout dans les contextes de violations massives150. Antkowiak parle de "right-remedy-gap151" :

[w]hile deliberation on rights occupies a privileged place in judgements and scholarship, remedies have been set aside as mundane concerns – unworthy of much theorizing or judicial research and only […] ordered. As a result, the reparative schemes commonly deployed across the globe are […] inadequate152.

Toutefois, au-delà de ces considérations, le droit international joue un rôle pertinent dans l’élaboration des PRJT. En effet, n’étant pas élaborés selon des fondements juridiques internationaux expressément définis pour eux, les PRJT sont mis en place sur la base des principes et standards du droit international relatifs aux réparations en faveur des individus, principes et standards qui n’ont pas cessé de se développer au cours de ces dernières décennies grâce à l’action progressive de l’éthos de la réparation en droit international. On peut ainsi trouver des bases légales des réparations mises en œuvre dans le cadre des PRJT dans le droit international de la responsabilité des Etats (dans une certaine mesure), le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, le droit international pénal.

Plusieurs instruments de soft law en matière de droits de l’homme contiennent également des dispositions plus ou moins précises allant dans ce sens153.

150 FALK R., « Reparations, International Law, and Global Justice», op. cit., p. 485.

151 ANTKOWIAK T.M., « Remedial Approaches to Human Rights Violations: The Inter-American Court of Human Rights and Beyond », Columbia Journal of Transitional Law, Vol. 46, 2008, p. 354.

152 Ibid.

153 La Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir; l’Ensemble de principes actualisés pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité; les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.

programmes de réparations trouvent leur fondement juridique dans le droit international.

Le droit international contient des dispositions sur le droit individuel à réparation (et le droit au recours) dans ses différentes branches qui permettent de déduire une base légale internationale des PRJT. Dire du droit international qu’il constitue le cadre légal des PRJT n’est pas une affirmation exempte de toute critique, car les obligations contenues dans les instruments contraignants du droit international concernant les réparations en faveur des individus sont jugées vagues et abstraites, ce qui fait qu’elles peuvent difficilement être mises en œuvre, surtout dans les contextes de violations massives150. Antkowiak parle de "right-remedy-gap151" :

[w]hile deliberation on rights occupies a privileged place in judgements and scholarship, remedies have been set aside as mundane concerns – unworthy of much theorizing or judicial research and only […] ordered. As a result, the reparative schemes commonly deployed across the globe are […] inadequate152.

Toutefois, au-delà de ces considérations, le droit international joue un rôle pertinent dans l’élaboration des PRJT. En effet, n’étant pas élaborés selon des fondements juridiques internationaux expressément définis pour eux, les PRJT sont mis en place sur la base des principes et standards du droit international relatifs aux réparations en faveur des individus, principes et standards qui n’ont pas cessé de se développer au cours de ces dernières décennies grâce à l’action progressive de l’éthos de la réparation en droit international. On peut ainsi trouver des bases légales des réparations mises en œuvre dans le cadre des PRJT dans le droit international de la responsabilité des Etats (dans une certaine mesure), le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, le droit international pénal.

Plusieurs instruments de soft law en matière de droits de l’homme contiennent également des dispositions plus ou moins précises allant dans ce sens153.

150 FALK R., « Reparations, International Law, and Global Justice», op. cit., p. 485.

151 ANTKOWIAK T.M., « Remedial Approaches to Human Rights Violations: The Inter-American Court of Human Rights and Beyond », Columbia Journal of Transitional Law, Vol. 46, 2008, p. 354.

152 Ibid.

153 La Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir; l’Ensemble de principes actualisés pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité; les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.

Les PRJT pourraient être considérés dans une certaine mesure comme une voie de recours utile pour les victimes dans les contextes de violations de masse.

Comme de Greiff le fait remarquer,

[…] if there is such a thing as a ‘common’ or ordinary understanding of reparations, it is heavily influenced by a ‘juridical’ understanding of the term. […] the juridical approach to reparations is problematic ; it is so not because of its juridical nature per se, but because it is an understanding that has been developed, for good reasons, with an eye to the resolution of relatively isolated cases154.

Il est clair que les PRJT ne constituent pas des voies de recours judiciaires. Ces programmes remplissent toutefois dans une certaine mesure, les critères de l’effectivité des recours internes (disponibilité ou accessibilité, efficacité, satisfaction ou suffisance, existence en pratique et non seulement en théorie155) dans les contextes de violations de masse. En effet, même s’ils ne peuvent pas être analysés comme des instances juridictionnelles au sens premier du terme, les organismes chargés de la mise en œuvre des PRJT s’en apparentent en bien des points156.

La nécessité d’élargir la notion de « rendre justice » aux victimes dans les contextes de violations de masse. L’objectif ultime de la réparation est de rendre justice aux personnes qui ont souffert - et qui souffrent encore – de la violation de leurs droits. Mais à quoi renvoie le fait de « rendre justice » aux victimes ? En cherchant la réponse dans le droit international, on se rend compte que cela se traduit grosso modo par le principe de la réparation intégrale qui veut que le statu quo ante, c’est-à-dire la situation qui existait avant la survenance de l’acte illicite, soit rétabli157. Ce principe peut également signifier le fait d’établir ou de rétablir la situation qui existerait ou qui aurait existé si l’acte illicite n’avait pas été commis158. Si la justification d’un tel principe peut s’avérer discutable dans le cas de violations isolées des droits de l’homme, son application dans les contextes de violations massives paraît tout à fait irréaliste. Selon de Greiff,

154 DE GREIFF P., « Justice and Reparations », op. cit., p. 452.

155 Infra, pp. 196 et ss.

156 Infra, pp. 210 et ss.

157 Affaire relative à l’usine de Chorzów, (Demande en indemnité) (Compétence), Série A, n°9, 26 juillet 1927, p. 21; CDI, Commentaire de l’article 7 du projet d’articles sur la responsabilité des Etats (dans son état en 1993), A.C.D.I. 1993, Vol. II, 2ème partie, p. 64.

158 Ibid.

[…] there are circumstances in which this ideal is unrealizable, either due to insurmountable constraints such as the impossibility of bringing someone back to life, or due to constraints that although not absolute, are still severe, such as real scarcity of resources of the sort that makes it unfeasible to satisfy, simultaneously, the claims of all victims and other sectors of society that in fairness, also require the attention of the state159.

En tout état de cause, même dans les cas de violations isolées, l’application stricte du principe de la réparation intégrale peut conduire à des résultats absurdes. Comment en effet réparer de manière intégrale lorsqu’il y a privation de la vie ? Ou encore, comment savoir objectivement ce que serait devenue une victime si la violation n’avait pas été commise ? Le déroulement de la vie d’une personne ne suivant pas une trajectoire linéaire, plusieurs hypothèses sont envisageables. Face à ce constat, on peut préconiser, en s’appuyant sur la doctrine de l’interprétation évolutive de la norme de droit internationale160, que l’obligation de rendre justice aux victimes par l’application du principe de la réparation intégrale, soit interprétée de manière large, surtout dans les contextes de violations massives.

L’Etat n’est pas le seul acteur sur lequel doit peser la charge des réparations.

Même s’ils demeurent les acteurs dominants de la scène internationale, les Etats ne

Même s’ils demeurent les acteurs dominants de la scène internationale, les Etats ne