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2 / Les noyaux chauds :

Dans le document GANIL, Matière à Histoire (Page 144-146)

Lorsque deux noyaux entrent en collision, ils peuvent s’interpénétrer et se fondre temporairement en un système composite. Une telle réaction de fusion laisse l’objet ainsi formé dans un état fortement excité. C’est un système très particulier, dans lequel

une quantité énorme d’énergie est stockée sous forme désordonnée, sous forme de chaleur, que l’on nomme noyau chaud. Dans ce type de noyau, les nucléons sont animés d’une agitation qui se superpose au mouvement lié à leur nature quantique. Ce surcroît d’énergie donne à certains nucléons la possibilité d’explorer des états d’énergie très élevés dans lesquels ils ne sont pratiquement plus liés au noyau. Un noyau chaud est donc par essence un objet instable et cette instabilité est d’autant plus marquée que la température est élevée.

Pour imaginer une agitation thermique des nucléons à l’intérieur de noyau, telle qu’un nucléon puisse être évaporé à la façon des molécules de l’eau qui bout, il faut considérer des températures colossales à notre échelle capables de rompre les liens très forts qui unissent les nucléons entre eux. L’unité de température est le MeV qui correspond à environ dix milliards de degrés, soit dix mille fois plus que la température régnant au cœur du soleil, et avoisinant celle atteinte au cœur des supernovae durant leur effondrement gravitationnel. En laboratoire, les collisions d’ions lourds permettent de réaliser des conditions analogues au moins pendant de très courts instants, environ 10-20 s ! De telles échelles de temps sont inaccessibles à la mesure directe. Etudier la désexcitation d’un noyau chaud permet de reconstruire, a posteriori, la façon dont se déroulent les collisions et d’accéder aux propriétés du noyau chaud. Ceci suppose le développement tant d’appareils de mesure adaptés que de théories décrivant la dynamique de collision. Ce n’est qu’au travers de ces filtres expérimentaux et théoriques que l’on peut comprendre les phénomènes physiques fondamentaux qui régissent le comportement des noyaux chauds.

Au delà des propriétés factuelles des noyaux chauds, il s’agit de dresser, comme on le ferait pour un liquide avec sa température d’ébullition ou de solidification à une pression et une densité données, une « carte d’identité » des noyau. De fait, pression, température et densité ne sont pas indépendantes, et la relation qui les lie constitue l’équation d’état du système. Cette équation n’est pas la seule composante de la carte d’identité du noyau. Elle n’en donne en quelque sorte qu’une image statique. Les propriétés dynamiques du noyau, c’est-à-dire la façon dont il évolue durant une collision, sont également fondamentales. On peut par exemple essayer de le caractériser par sa viscosité, comme on le ferait pour un fluide. Rechercher les caractéristiques thermodynamiques des noyaux est essentiel car ces propriétés permettent de décrire leur comportement dans une large gamme de conditions physiques, sur la base d’un petit nombre de caractéristiques globales comme la température. Elles permettent également d’établir des liens avec des systèmes physiques différents mais présentant des comportements macroscopiques similaires. Ce n’est qu’au travers d’études systématiques des noyaux chauds que l’on peut atteindre leurs caractéristiques thermodynamiques.

C’est en exploitant leur caractère instable et éphémère, en recueillant les produits émis en séquence lors de leur désexcitation, que les noyaux chauds sont étudiés. Le

nombre de particules émises et leur fréquence d’émission sont caractéristiques de la température du noyau : plus le noyau est chaud, plus l’émission est importante et rapide. La physique statistique prédit certaines des caractéristiques des produits ainsi émis telles leurs abondances relatives et leurs distributions de vitesse. Il n’existe cependant pas de méthode universelle pour déterminer la température du noyau. Ce n’est qu’en comparant les résultats de différentes approches tant au plan expérimental qu’à celui des modèles théoriques sous-jacents que l’on peut déterminer la température d’un noyau ou d’un ensemble nucléaire. Le détecteur ORION installé au GANIL à la fin des années 80 est un outil précieux pour comprendre ces mécanismes. Les calculs théoriques prédisent que les noyaux ne pourraient être chauffés au-delà d’une certaine température limite, propre à chaque espèce nucléaire. On essaye expérimentalement au GANIL d’atteindre ces températures limites.

Avec l’augmentation continue de l’énergie des faisceaux, des modifications sensibles dans les modes de décroissance des systèmes chauds ainsi formés apparaissent. La cassure en plusieurs fragments massifs devient probable, et le système nucléaire se trouve décomposé en un nombre important de petits noyaux. Le noyau peut-il être à la fois visqueux et cassant ? Un tel changement de comportement rappelle la transition de phase associée à la transformation de l’eau qui bout en vapeur. Mais dans le système nucléaire, les choses sont plus complexes : les noyaux sont des systèmes finis dans lesquels il ne peut donc pas exister à proprement parler de transitions de phase. Il est cependant fondamental de comprendre le mécanisme de production des fragments. Ainsi, l’étude des phénomènes critiques pourrait aider à la compréhension de la multifragmentation. Elle est interprétée comme le résultat d’une compression initiale importante de la matière nucléaire, suivie d’une expansion rapide et irréversible causant la fragmentation violente, en plusieurs noyaux, du système initial. La chambre Nautilus associée à ses 4 multidétecteurs permet de réaliser des expériences dans ce domaine.

Une meilleure compréhension du processus de multifragmentation constitue l’un des défis des années 1990. Le détecteur INDRA, capable de mesurer de façon simultanée les caractéristiques de fragments massifs dans la totalité de l’espace, doit répondre à cet enjeu. Comprendre la multifragmentation suppose également la mise au point de théories dynamiques adaptées. L’expérience acquise dans la description des collisions d’ions lourds constitue une base solide pour ces développements théoriques.

Dans le document GANIL, Matière à Histoire (Page 144-146)