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C- ARRET DE LA POUSSEE MISSIONNAIRE

3. NOUVEAUX OBSTACLES

Les ressources matérielles et humaines fai­ saient toujours tragiquement défaut. Les dettes s'élevaient à plus de 22,000 livres, et l'on n'arri­ vait pas à les payer. L'abbé Dudouyt prêchait l'éco­ nomie, et recommandait fortement de "s'abstenir de faire aucun bastiment sous quelque pretexte que ce soit". On devrait même "vendre ou loller L'isle de

Jésus et la baye S^ paul", disait-il à M. de Maizerets, et se garder de ne "faire aucune augmentation ny défri­ chement au Cap tourmente ny ailleurs quelque necessaire quil paroisse, que les debtes ne soient payées"(1). Au sujet des missions, les recommandations du grand vicai­ re s'inspiraient de la même prudence:

1. Dudouyt à l'abbé de Maizerets, 17 avril 1687, ASQ, Lettres, O, 1: 4s. Mgr de Laval ne tenait pas un autre langage:"Il est dune nécessite absolue de Retrancher de toute maniéré toutes Les occa­ sions de dépenses afin de pouvoir payier Les debtes." Mgr de Laval à l'abbé de Dernières, 9 juin 1687, ASQ, Lettres, N, 87: 9.

Quoy quil faille occuper de nos Eccle­ siastiques aux missions des Sauvages, il faut neanmoins se mesurer sur le nombre des Sujets que nous aurons, et Sur les moyens que nous aurons de sou­ tenir ces missions et il ny apas d’ap­ parence quil faille faire pour cela des habitations aux lieux de ces missions comme M de St Vallier la projetté a

l’habitation de Richard Denis(2),

Ce n’était pas, non plus, sans raison que M. Dudouyt conseillait aux directeurs du Séminaire de "se mesurer sur le nombre des Suj'ets” a leur dispo­ sition, car le problème du recrutement sacerdotal était devenu aussi aigu que celui des finances. Mgr de Saint- Vallier, lors de son premier voyage au Canada, n’avait pas manqué de constater avec peine que ”la perte d’un seul Prêtre est considérable dans un temps où l'on n’a pas encore assez d’ouvriers évangéliques, tant pour établir de nouvelles Missions parmi les Sauvages, que pour desservir les Cures dans les habitations Françaises, et pour remplir tous les devoirs de la Cathédrale et de la Paroisse de Québec"(3)* En 1687, à l’Acadie qui

2. Dudouyt à de Maizerets, 17 avril 1687, p. 7.

3. Mgr de Saint-Vallier, Lettre de Monseigneur l'évêque de Québec, où il rend compte à un de ses amis de son premier voyage de Canada, et de l'état où il a laissé 1'Eglise et la Colonie, dans Mandements des Evêques de Québec, I: 194.

réclamait de l’aide, Mgr de Laval proposa de donner deux prêtres canadiens, les frères Volant et de Saint- Claude, avec l’espoir que ”Le Séminaire faisant ce

sacrifice pour La conversion des sauvages qui est son principal esprit et obligation principale et essentiel­ le, nostre seigneur et Sa S^e famille y donneront Béné­ diction"; mais il se demandait aussi comment "Les

destacher tous deux et Remplacer Les Lieux ou ils sont"(4). C’est que la France n'envoyait plus personne. Mgr de

Laval, si confiant en 1685, déplorait un an après, dans un mémoire à Mgr de Saint-Vallier, la quasi-impossibilité où l'on était, même à Saint-Sulpice, de trouver des can­ didats pour la Nouvelle-France. "Lon a apporte tous Les soins imaginables pour en obtenir quelques uns de tou­ tes Les personnes et communautés (...) auxquels vous aves mis toute vostre confiance ce qui na pas produit quoy que ce soit"(5). Quant au Séminaire des Missions-

4. Mgr de Laval aux directeurs du Séminaire de Québec, 18 mars 1687, ASQ, Lettres, N, 86: 3. Mgr de La­ val recommandait en outre de déplacer M. Thury de Miramichi à Pentagoulât, auprès du baron de Saint- Cas tin et de ses Abénaquis "auquel Lieu apres

avoir conféré avec Mr dudouyt et nos amis iay cru quil estoit de très grande importance destablir une mission de Sauvages, avant quaucun autre y allast.” Loc. cit,

5. Mgr de Laval à Mgr de Saint-Vallier, 15 février 1686, ASQ, Séminaire, I, 47 : 1.

Etrangères de Paris, son zèle s’était beaucoup

refroidi pour avoir accueilli trop d’abbés mondains et des pensionnaires sans vocation. Heureusement, un nouveau supérieur, l’abbé de Brisacier, était en train d’opérer un redressement salutaire, et l’on n’admettait plus que des séminaristes qui voulaient vraiment se donner aux "missions estrangeres, et avec indétermination de La chine, de perse ou du canada et une entière soumission a aller au Lieu ou Lon iugera apropos de Les envoyer"(6). Aussi le saint évêque se défendait-il de désespérer, sachant bien que

cest au grand maistre de La moisson denvoyer des ouvriers en sa vigne toute nostre industrie humaine et nos soins empressés navancent point Loeu- vre du Bon Dieu il nous fault mourir aux trop grands désirs des Bonnes cho­ ses mesme de La gloire de Dieu et du salut des âmes nostre seigneur nous en a donné Lexemple estant en ce monde

(...) quoy que il faille mettre tout nostre appuy et nostre confiance en Luy nous ne perdrons pas un moment de travailler a trouver quelques suiets dicy au départ des vaisseaux(7).

L’évêque de Québec, en écrivant ces réflexions empreintes d’un si grand esprit surnaturel, ne laissait

6. Loc. c it. 7. Ibid., 2.

pas d’éprouver en même temps la plus vive inquié­ tude. Plus que jamais, il le prévoyait, le parfait abandon aux volontés de la Providence serait son seul recours. D’autres difficultés surgissaient, en effet, et non moins graves que les précédentes, suscitées par celui-là même qui était désigné pour le remplacer a la tête de l’Eglise canadienne. Jean- Baptiste de La Croix de Chevrière de Saint-Vallier était arrivé dans la Colonie le 23 juillet 1685, en qualité de grand vicaire de Monseigneur de Québec, Il exprima aussitôt son admiration pour tout ce que son prédécesseur avait si bien réglé, et proclama bien haut son intention de n’y rien changer. Mais, après quelques jours, son ”zele trop précipité”(8), lui fit réaliser plusieurs changements, ”augmentant de 30 enfans jusqu’à soixante et soixante dix tant a Quebec qu’a une terre du Séminaire qui en est a Sept Lieues, et faisant faire sans mesure, et sans consulter Personne, des aumônes Excessives, et des Etablissemens prematurez aux dépens de son clergé,

se regardant comme le Maître et le Dispensateur

absolu, de "tous les biens Eccles(ias) tiques”(9) • La conduite intempestive du futur évêque produi­ sit en France une fâcheuse impression, et Mgr de Laval n’hésita pas a le lui faire savoir:

Mr. dudouyt et moy avons este tout consternés a Laveue de Lexcessive dépense a Laquelle vous vous estes

engagé par La multiplication des enfans et des nouvelles entreprises et establissemens que vous aves iugé devoir faire.magna est fides tua et plus grande de Beaucoup que La sienne et La mienne, nous voyons que tous nos Mrs y ont correspondu avec La mesme confiance et Lentiere soumission quils ont cru et deu estre obliges davoir a vos sentimens en quoy ie Les approuve fort (<>.•) ie espere que puisque La très sainte famille de nostre seigneur vous a inspiré tous

ses oeuvres elle donnera des moyens et des ouvertures pour soustenir ce qui est si fort a la gloire de dieu et pour le salut des âmes mais selon toute apparence (...) il sy treuvera de grandes difficultés(10).

Une mésentente se dessinait qui, hélasl allait prendre rapidement les proportions d'un véritable con­ flit. Mgr de Saint-Vallier, une fois devenu évêque,

9. De l'Eqlise de Canada depuis l'arrivée du nouvel évêque, suite du Mémoire sur l'Etat de 1'Eglise de Canada sous 1'Ancien évêque, ASQ, Lettres, O, 58: 14.

10. Mgr de Laval à Mgr de Saint-Vallier, 15 février 1686, ASQ, Séminaire, I, 47: 2s.

adoptera a l’égard du Séminaire une attitude et des procèdes dont le but était rien moins que le "ren­ versement total" de l’oeuvre de Mgr de Laval(ll).

Pour comble de malheurs, pendant la même période, la Colonie subissait l’assaut des forces conjuguées de ses ennemis traditionnels. Les Cinq Cantons furent les premiers à rompre la paix sous le

gouverneur de La Barre. La région des lacs et la principale route pour y conduire, l’Outaouais, devin­ rent bientôt infestées de maraudeurs iroquois. Au temps de Denonville, la guerre indienne gagna le coeur même du pays. "Le Canada étoit menacé de toutes parts, il n’y avoit aucune sûreté dans le fleuve depuis Québec jusqu’à Montréal"(12). On était revenu aux pires jours de 1660. La Nouvelle-Angleterre, alors qu'en Europe

les deux métropoles entraient en guerre, crut elle aus­ si le moment venu de frapper à mort sa rivale abhorrée. Mais les Canadiens, courageux et aguerris, se défendi­

rent avec une vaillance intrépide qui répandit à la

fois l'admiration et la terreur sur toutes les frontières,

11. Mgr de Laval à M. de Denonville, 20 novembre 1690, ASQ, Lettres, N, 95: 7.

12. Bacqueville de La Potherie, Histoire de l’Amérique septentrionale, III: 177.

et jusqu’au sein des colonies anglaises. Cependant, cette guerre épuisante du "faible contre le fort"(13), en se prolongeant, entraînaient bien des ruines maté­ rielles et morales, dont la Nouvelle—France aurait bien de la peine à se relever.

Mgr de Laval, Mgr 1’Ancien comme on l’appe­ lait maintenant, plus que tout autre souffrait de ces malheurs accumulés. S’il était douloureusement affec­ té des calamités qui désolaient le pays, combien plus l’était-il de voir l’état de sa chère et "pauvre égli­ se qui est affligeant, disait-il, et duquel ie serois inconsolable si nostre seigneur et sa ste mère ne me donnoint une grande confiance quils en auront compas­

sion et quils La secoureront dans son extreme Besoin"(14). La situation était navrante, en effet. Aux avant-postes, les missionnaires parvenaient à peine à se maintenir au milieu des turbulentes tribus dont les belligérants se disputaient le concours. Et à l’intérieur, le nouvel

13. Lionel Groulx, Histoire du Canada français depuis la découverte, I: 174.

14. Mgr de Laval à de Brisacier, "a S1 Joachim ou cap Tournante ce 17 avril 1691”, ASQ, Lettres, N,

éveque, "incessamment occupé a brouiller et diviser les choses les plus unies"(15), avait réussi à con­ trarier tout le monde(16), et paraissait résolu plus que Jamais a réduire le Séminaire ”a la derniere extré­ mité"(17), Seule sa foi indomptable soutenait l'ancien pasteur, "Au milieu de toutes ces agitations, avait-il écrit au début de la crise, nous ne devons pas nous abbatre si Les hommes ont du pouvoir pour destruire La main de nostre seigneur est infiniment plus puissante pour édifier nous navons qua Luy estre fidelle et Le Laisser faire"(18), Tels étaient aussi les sentiments des prêtres de son Séminaire, et ils en firent souvent la preuve de la manière la plus édifiante. Quand, par exemple, le douloureux Reglement de 1692 eut brusquement rompu l’union d’avec les cures, et privé leur institut d'une de ses principales fonctions ainsi que d’une large part de ses biens, leur soumission fut entière, et l'on

15, Mgr de Laval, annotations marginales sur une lettre de l'abbé Henri-Jean Tremblay, du 10 mai 1695, ASQ, Séminaire, XV, 55: 5 (copie),

16. Frontenac au Ministre, 23 octobre 1694, AAQ, Eglise du Canada, VI: 49; Gosselin, Vie de Mgr de Laval, II: 444.

17, Mgr de Laval à Denonville, 20 novembre 1690, ASQ, Lettres, N, 95: 7,

18. Le même à l'abbé Milon, automne 1689, ASQ, Lettres, N, 91: 1.

préféra "tout souffrir que de donner le moindre scandale”(19). Sans négliger la défense de leurs droits, ces parfaits disciples de Laval n’attendi­

rent plus la fin de leurs maux que de la miséricorde divine.