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CHAPITRE 2. MÉTHODES DE RECHERCHE ET CADRE THÉORIQUE

2.2 Cadre théorique éthique informé des données empirique

2.2.1 Notions empiriques identifiées

L’étude qualitative exploratoire a permis d’identifier trois thèmes importants pour les femmes à risque d’un accouchement prématuré, soit une expérience stressante et impuissante, leur besoin de stratégies d’empowerment pour répondre à cette situation, et leur recherche d’une relation de soin de confiance avec le néonatalogiste. Une analyse plus approfondie de ces notions théoriques a permis de choisir le cadre théorique qui sera employé pour analyser les données empiriques générées dans le présent travail. En effet, les approches féministes en bioéthique adressent régulièrement le vécu et de l’expérience de l’agent moral, les notions

d’empowerment et d’autodétermination, ainsi que l’influence des relations sur l’autonomie des patientes. Toutefois, des recherches approfondies sur la notion d’empowerment ont permis d’identifier que les cliniciens et les féministes l’emploient différemment. En effet, dans le contexte clinique, l’emphase est mise sur l’amélioration de la capacité d’autodétermination du patient, alors que les féministes s’intéresseront plutôt à l’émancipation politique de la femme par l’empowerment. Un survol de cette notion permettra de mieux démontrer ces distinctions, et d’expliquer pourquoi, méthodologiquement, la notion d’empowerment a été écartée de cette thèse de doctorat, pour favoriser d’autres approches clés en bioéthique féministe.

La notion d’empowerment

Dès 1994, la philosophe féministe influente Iris Marion Young remarquait que : « empowerment is like democracy: everyone is for it, but rarely do people mean the same thing by it.” (I. M. Young, 1994) En effet, elle identifie deux niveaux d’empowerment. L’empowerment personnel représente la conception fréquemment adoptée par les soignants, correspondant au développement de l’autonomie individuelle, du contrôle et de la confiance en soi. L’empowerment collectif évoque plutôt le développement d’un sentiment d’influence collective sur les conditions sociales de sa vie. L’empowerment personnel serait un prérequis à l’action politique. En bioéthique féministe, la seule analyse approfondie de la notion d’empowerment à ce jour demeure le texte de Virginia Warren « From Autonomy to Empowerment : Health Care Ethics from a Feminist Perspective ». (Donchin, 2010; V. Warren, 2001) Warren définit l’empowerment ainsi :

« The basic features of becoming empowered are these : 1) it is an on-going process involving, 2) developing and exercising a capacity for shaping one’s life, 3) a feeling of energy and wholeness, 4) an integration of different aspects of the self, and, 5) being social in one or more of the following senses (a) being supported by others while (b) developing community and (c) attending to the social and political context, including how power affects relationships. » (V. Warren, 2001)

Pour Warren, une éthique de l’empowerment cherche à remplacer la notion d’autonomie dans les soins de santé car l’autonomie génère une relation thérapeutique qui se limite aux problématiques médicales et qui n’est pas attentive aux besoins réels du patient.

Aussi, l’autonomie ne permettrait pas d’examiner les enjeux extérieurs à la relation de soin, qui produisent et perpétuent la subordination du patient. Warren remarque que les options thérapeutiques pour les patientes sont d’emblée restreintes par des décisions institutionnelles, gouvernementales et politiques prises en dehors de la relation thérapeutique. Ainsi, pour qu’une patiente puisse réellement décider pour elle-même, elle devrait être capable d’examiner ces enjeux et agir en réponse à ces contraintes. La notion de pouvoir est centrale à l’éthique de l’empowerment de Warren. En fait, l’empowerment sert de réponse à une inégalité de pouvoir et le concept est proposé pour contrer l’approche paternaliste traditionnelle, selon laquelle le médecin exercerait son pouvoir sur le patient. Cette conception du pouvoir implique nécessairement un lien au monde politique.

Au contraire, pour les cliniciens, l’empowerment ne s’intéresse que rarement au rôle du politique. C’est plutôt un processus physique, psychologique ou social, permettant un meilleur contrôle sur sa vie ou sur sa qualité de vie, sans référence explicite à des enjeux politiques. (Aujoulat, d'Hoore, & Deccache, 2007; Tengland, 2008) Cette conception de l’empowerment a été développée pour examiner la notion en tant que pratique professionnelle (soins infirmiers, médecine, travail social, psychologie, etc.). Dans ces contextes, un praticien entre en relation avec un individu pour faciliter son empowerment.

Warren s’intéresse peu au rôle la relation de soin pour favoriser l’empowerment individuel. En fait, elle semble méfiante du système de santé actuel et encourage l’éducation des patients par tous les moyens sauf la relation de soin, qui serait elle-même contrainte à d’autres forces oppressives et incapable de réellement promouvoir l’empowerment des patients-agents. Ainsi, l’éthique de l’empowerment selon Warren se situe à l’extérieur de la relation de soin et n’implique pas nécessairement l’empowerment individuel ou psychologique encouragé par les théories professionnelles de l’empowerment. Enfin, l’action politique exigée par l’empowerment collectif des patients impose vraisemblablement une exigence de trop sur les patients. Au contraire, une approche permettant aux patients d’acquérir les prérequis à et favorisant l’émancipation politique, sans pour autant l’exiger, pourrait être d’un plus grand intérêt.

Vu les limites identifiées au sujet de la notion d’empowerment – ses définitions et conceptions variables, son intérêt préférentiel pour le politique en bioéthique féministe –, celle-ci sera écartée du reste de l’analyse actuelle. D’autres approches féministes en

bioéthique, comme l’autonomie relationnelle, permettent une analyse systématique et riche des problématiques éthiques de santé. (Mackenzie & Stoljar, 2000) Les approches relationnelles ont l’avantage de réfléchir aux enjeux éthiques en santé à plusieurs niveaux, c’est à dire non seulement dans la relation de soin, mais aussi au niveau du contexte des patientes et des politiques institutionnelles et sociales forgeant l’autonomie des agents moraux. Les principales caractéristiques d’une analyse féministe en bioéthique seront d’abord présentées, tant au niveau théorique que méthodologique, car ces notions ont informé la construction du projet de doctorat, l’analyse des données empiriques et la réflexion proposée sur la relation de soin.