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Critiques féministes de l’autonomie et la théorie de l’autonomie

CHAPITRE 4. APPROCHE RELATIONNELLE DE LA CONSULTATION

4.1. L’autonomie relationnelle

4.1.2 Critiques féministes de l’autonomie et la théorie de l’autonomie

Plusieurs féministes reconnaissent que la notion du respect de l’autonomie, bien que porteuse de valeurs questionnables dans sa conception en bioéthique nord- américaine, soit néanmoins prometteuse. (Mackenzie & Stoljar, 2000) En fait, les notions d’autonomie et d’autodétermination seraient incontournables pour définir et comprendre l’agent moral et son oppression dans une approche féministe. L’autonomie relationnelle a été proposée pour désigner un ensemble de perspectives partageant la même prémisse suivante :

«Persons are socially embedded and (…) agents’ identities are formed within the context of social relationships and shaped by a complex of intersecting social determinants, such as race, class, gender, and ethnicity. Thus the focus of relational approaches is to analyze the implications of the intersubjective and social dimensions of selfhood and identity for conceptions of individual autonomy and moral and political agency.» (Mackenzie & Stoljar, 2000)

Une conception relationnelle de l’autonomie implique donc une analyse des contextes influençant les identités des agents moraux et l’autonomie réfère à la capacité d’auto-détermination – et non à l’autosuffisance ou l’indépendance –, en tant que qualité définissant un agent moral libre.

Nedelsky et Keller, partant d’une perspective de care, ont été parmi les premières féministes à encourager cette nouvelle conception de l’autonomie. (Keller, 1997; Nedelsky, 1989) Inspirées de la relation entre mère et enfant, ces auteures formulent une interprétation de l’autonomie qui soit dynamique, reconnaissant le rôle des relations entre personnes et l’existence simultanée d’autonomie et de dépendance. Toutefois, selon plusieurs féministes, les approches du care seraient insuffisantes pour adresser l’ensemble des enjeux sociaux oppressifs envers les femmes et pour défendre leurs intérêts. (Mackenzie & Stoljar, 2000) Ainsi, le paradigme théorique dans lequel s’ancre

l’autonomie relationnelle est encore source de débats entre féministes intéressées par le pouvoir et féministes du care qui, toutes deux, cherchent à développer une conception interpersonnelle, interdépendante et sociale de l’autonomie. (Verkerk, 2001) En fait, selon Dodds, la perspective relationnelle pourrait servir de théorie cohérente, conciliante et complète pour l’ensemble des approches féministes. (Dodds, 2000) De fait, dès 1997, Rosemarie Tong envisageait que les bioéthiques féministes pourraient s’unir autour d’une éthique relationnelle :

«Most feminist bioethicists appear to be steering a midcourse between an ethics of care and an ethics of power, each of which is relational in its own way. Whereas an ethics of power focuses on the macrocosmic relationship between the two gendres, an ethics of care emphasizes microcosmic relationships.» (Tong, 1997)

Ainsi, l’autonomie relationnelle sera préoccupée par les deux problématiques essentielles à toute méthodologie féministe, l’enjeu de genre et la visée politique. Plus précisément, l’autonomie relationnelle défend une conception riche de l’agent moral, en tant qu’être émotionnel, créatif et rationnel. Selon elles, les conceptions classiques de l’autonomie encouragent une vision atomiste, asociale et abstraite de l’agent moral. D’abord, elles réfutent la prémisse de base suggérant que la délibération morale puisse être un processus purement individuel, abstrait et rationnel. (Dodds, 2000; Mackenzie & Stoljar, 2000) L’influence des sentiments ou perceptions de soi – tels le «self-respect, self-worth, and self-trust» - sur la capacité de l’agent moral d’être autonome est une des questions d’intérêt particulier de ces perspectives. (Mackenzie & Stoljar, 2000) En effet, Sherwin défend que les émotions soient tout aussi importantes dans les prises de décisions. (Sherwin, 1989) Les délibérations morales sont non seulement basées sur une réflexion rationnelle, elles sont aussi informées par nos sentiments. Ces deux éléments doivent jouent un rôle et doivent être considérés lors de l’analyse d’un enjeu éthique.

Par ailleurs, en considérant l’agent moral comme situé et existant dans un contexte particulier, les féministes ont pu identifier les nombreuses forces sociales, institutionnelles et politiques qui augmentent ou limitent la capacité d’un agent moral d’exercer son autonomie. (Sherwin, 1989) Une approche qui considère ces facteurs influents permet d’identifier les normes et pratiques qui restreignent les options

disponibles pour les femmes. En effet, la capacité d’agir de façon autonome requiert aussi que des options réelles existent, parmi lesquelles l’agent moral peut choisir. Les théories défendant que le consentement éclairé soit suffisant pour respecter l’autonomie du patient seront incapables de considérer l’ensemble des forces et influences qui forgent réellement la capacité d’agir comme agent autonome. (Dodds, 2000)

Ainsi, les approches relationnelles analysent l’influence de relations sociales, des pratiques sociales et des processus de socialisation sur l’autonomie de l’agent à trois niveaux interdépendants. Premièrement, certaines normes sociales ou culturelles oppressives peuvent moduler les préférences de l’agent moral et être éventuellement adoptées comme ses propres perspectives. Par exemple, le recours de plus en plus fréquent à des chirurgies esthétiques par les femmes représente souvent une tension entre le désir authentique de maintenir une apparence de jeunesse et une obligation – implicite soit-elle – de se conformer aux normes de beauté contemporaines sexistes. (McLeod & Sherwin, 2000)

Deuxièmement, l’agent moral doit être capable de développer les compétences et capacités pour être autonome, telles que la connaissance de soi ou l’autoréflexion. Dans un environnement social oppressif, les femmes développent un manque de confiance en soi, alors que celle-ci est requise pour qu’une femme puisse exercer son autonomie.

Troisièmement, des décisions institutionnelles ou politiques peuvent limiter les options pour les patientes, restreignant leurs choix réels et substantiels et, donc, diminuant leur capacité d’exercer l’autonomie. De fait, les institutions de soin refusant d’offrir l’avortement ou la contraception d’urgence limitent les options thérapeutiques pour plusieurs femmes en situation de besoin. Ainsi, une vision large du contexte social et politique influençant l’autonomie de l’agent moral est préconisée, dans une vision d’émancipation et de changement des pratiques. Enfin, pour Dodds, les préoccupations soulevées par les conceptions relationnelles de l’autonomie ne sont pas uniques aux femmes ou aux patients opprimés. (Dodds, 2000) L’autonomie relationnelle pourrait et devrait servir de cadre conceptuel guidant les problématiques de soin, pour tous les patients – qui, lors d’un problème de santé, se retrouvent en situation de besoin, dépendance et vulnérabilité.