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CHAPITRE 4. APPROCHE RELATIONNELLE DE LA CONSULTATION

4.1. L’autonomie relationnelle

4.1.3 L’autonomie relationnelle dans la clinique

L’agent moral (ou la patiente) selon l’autonomie relationnelle

L’autonomie relationnelle encourage la conception d’un agent moral à la fois rationnel, émotionnel et social. Cette perspective normative est soutenue par des travaux empiriques démontrant que l’émotion influence la conception d’un enjeu moral et les délibérations qui s’ensuivent. En effet, un conflit moral semble causer plus d’inconfort quand nos principes moraux sont en désaccord avec nos émotions ressenties dans une situation éthique complexe. Walter et Ross ont récemment suggéré que « a relational account of autonomy envisages the self-in-dialogue as one who is emotional and embodied as well as rational. This method allows for the account to emphasize features of selves that are overlooked by the in-control agent conception, such as the role of imagination and emotional dispositions and attitudes in decision-making. » (Walter & Ross, 2014) Cette conception de l’autonomie permet de donner de l’importance au vécu particulier du patient et de sa famille, ainsi qu’à l’impact des émotions sur la santé et les prises de décisions.

De plus, l’approche relationnelle conçoit l’autonomie comme une qualité qui puisse se développer ; celle-ci n’est ni un état, ni statique. En fait, les pratiques sociales et les relations sociales participent au développement ou à l’oppression de l’autonomie des agents moraux. Ainsi, Donchin suggère que le monde biomédical doive permettre aux patientes d’examiner et identifier les éléments identitaires importants pour elles et, ainsi, les aider à développer leur autonomie. (Donchin, 2000) Les valeurs et préférences requises pour participer à des prises de décision ne sont souvent pas connues des patientes au moment où un choix doit être pris et celles-ci doivent être explorées : «Often patients do not fully recognize their own beliefs and values, so reaching an autonomous decision about their care may require extended exploration of their histories and motivational structures». (Donchin, 2000) Entre autres, les féministes se méfient des valeurs propres de la patiente, qui peuvent refléter des normes culturelles ou sociales oppressives, et elles encouragent les patientes à mener une réflexion critique de leurs propres préférences : « Personal autonomy involves acting and living according to one’s own choices, values, and identity within the constraints of what one regards as morally permissible.» (Friedman, 2000)

La relation de soin selon l’autonomie relationnelle

L’autonomie relationnelle féministe implique plusieurs responsabilités et obligations pour la soignante. D’abord, Susan Dodds souligne l’importance d’une relation qui s’intéresse au contexte de la patiente et de sa problématique de santé. Ainsi, la soignante n’a pas seulement le devoir de traiter la maladie, elle doit aussi considérer les conséquences de la maladie pour la patiente et son vécu, tout en lui apportant soin et soutien : « [This] will often better promote autonomy both in decision making and in the patient’s capacity to learn to accomodate or respond to the changes in their health, so they can learn to live with, resist, or accomodate their altered circumstances.» (Dodds, 2000) Une attention au vécu particulier de la patiente encourage la soignante à adapter chaque rencontre à la situation présente.

De plus, l’autonomie relationnelle reconnait l’existence d’une relation de soin et examine les enjeux inhérents à cette rencontre. D’une part, une exploration des hiérarchies de pouvoir entre soignée et soignante est de mise. En effet, les soignantes, porteuses de connaissance, d’expertise et en santé, sont dans une situation dominante par rapport aux soignées malades, vulnérables et en état de besoin. (McLeod & Sherwin, 2000) Natalie Stoljar, d’une perspective relationnelle, suggère que la clinicienne, consciente de ces enjeux de pouvoir, doit créer un environnement dans lequel la patiente se sent réellement empowered, c’est à dire, autorisée et capable de s’exprimer ouvertement. (Stoljar, 2011)

D’autre part, les féministes relationnelles soutiennent que les soignantes ont aussi l’obligation de faciliter le développement des capacités d’autonomie des patientes à travers la relation thérapeutique : «Respect for autonomy is not restricted to respect for choices of a certain kind but also requires promotion of the development of autonomous selves. » (Dodds, 2000) Le développement de l’autonomie des patientes au sein de la relation de soin permet, elle-même, de réduire les inégalités de connaissances et de pouvoir entre soignée et soignante. Par exemple, l’approche relationnelle encourage les soignantes à reconnaitre que l’information qu’elles transmettent n’est pas neutre ; cette information est porteuse de valeurs et peut influencer les patientes :

«The illusion that counselling is value-free conceals important moral dimensions of the interaction that if recognized and adressed directly,

would clarify everyone’s respective goals and empower the client to reorder her own moral priorities and assign them sufficient weight to counterbalance the competing interests of [others].» (Donchin, 2000)

Accorder trop d’attention à l’autonomie de chaque patiente pourrait renforcer certaines des conceptions individualistes contestées par les féministes. Friedman et Donchin nous rappellent qu’une perspective relationnelle implique aussi collaboration et réciprocité. (Donchin, 2000; Friedman, 2000) En effet, la soignante collabore avec sa patiente à travers les différentes étapes du processus de soin et la soutient dans la reconstruction de son identité, suite à la blessure causée par une atteinte à sa santé. De plus, cette relation implique une dynamique interpersonnelle de réciprocité, centrée sur un même projet, soucieuse du respect de l’autre. Dans cette relation de soin, il est reconnu que les identités, les valeurs, les désirs, les préférences des patientes sont continuellement construites et influencées dans un processus dialogique avec autrui. (Walter & Ross, 2014) Ainsi, la prise de décision éthique implique un processus d’échanges de la patiente avec ses proches et ses soignantes ; elle ne peut pas exister en isolation. « Dialogue with others about these interests and choices is not an affront to an individual’s autonomy in this relational account. It is, instead, the only way to allow autonomy to fully flourish. » (Walter & Ross, 2014)

Le contexte dans l’autonomie relationnelle

Les analyses bioéthiques féministes s’intéressent aux forces contextuelles – relationnelles, sociales, culturelles, économiques et politiques – qui oppriment l’autonomie de la patiente et agissent sur sa santé. (Sherwin, 1989) Ainsi, tous les enjeux de contexte adressés par les courants féministes ne peuvent être décrits ici, mais certains objets d’analyse sont essentiels à ces perspectives, et à l’autonomie relationnelle, dont la place de la famille et des relations intimes, l’influence et le pouvoir des systèmes de santé et la situation socioéconomique des patientes.

Anne Donchin s’est beaucoup intéressée au rôle de la famille dans les prises de décisions médicales, signalant que la famille influence l’autonomie des patientes, leurs choix ou décisions thérapeutiques. (Donchin, 2000, 2010) Par exemple, en tant que mère, une patiente doit prendre en compte les conséquences de ses choix sur l’organisation et la

santé de sa famille ou de ses enfants. Les approches relationnelles ne proposent pas toutes les mêmes solutions aux liens entre autonomie de la patiente et place de la famille, mais elles obligent que les relations personnelles de la patiente soient prises en compte dans l’analyse d’un enjeu moral, s’opposant aux conceptions individualistes qui ont plutôt tendance à se méfier des familles, perçues comme menaçant l’autonomie de la patiente. (Donchin, 2001; Ells, Hunt, & Chambers-Evans, 2011)

Trois autres considérations de contexte sont essentielles à une analyse féministe en bioéthique, en lien avec une conception relationnelle de l’autonomie. Premièrement, l’organisation des soins de santé est source d’oppression. Ainsi, plusieurs féministes soulignent que l’expérience hospitalière est contraignante et réductrice d’autonomie ; elles encouragent qu’une attention particulière soit portée non seulement aux traitements des patientes, mais aussi aux pratiques institutionnelles qui pourraient aider au développement des capacités à l’autonomie. (McLeod & Sherwin, 2000) «Health-care settings are social environments that can play a socializing role in the development of autonomy competency. Some health-care settings can significantly inhibit the development of the skills that constitute autonomy competency. » (Dodds, 2000)

Deuxièmement, les approches féministes sont, depuis longtemps, intéressées par les effets oppressifs des politiques de santé qui forgent l’état de santé des populations. Plusieurs condamnent que des biais existent au niveau du financement en recherche et des politiques de santé, favorisant la santé des hommes et des classes dominantes. (McLeod & Sherwin, 2000; Sherwin, 1992) Ainsi, les effets des médicaments ont longtemps été étudiés de façon préférentielle chez l’homme, les femmes étant exclues de ces recherches pharmaceutiques – sous prétexte de les protéger des torts de l’expérimentation. Ainsi, les éthiques féministes relationnelles permettent d’exposer les enjeux de pouvoir et de domination liés aux politiques de santé. Elles ne prétendent pas offrir de solution globale à ces problématiques, bien qu’une éthique relationnelle pour la santé publique ait récemment été proposée par certaines féministes, encourageant la solidarité relationnelle et un équilibre entre autonomie relationnelle et justice. (Baylis et al., 2008)

Troisièmement, Sherwin et McLeod proposent qu’une conception féministe et relationnelle de l’autonomie permette d’identifier systématiquement l’ensemble des

conditions socioculturelles qui déterminent la santé des patientes, et qui sont source d’oppression. (McLeod & Sherwin, 2000) Des considérations de classe économique, de race, de genre sont toutes importantes pour comprendre la complexité de l’oppression. Une analyse relationnelle encourage ensuite des changements à large échelle, à la défense des patients opprimés : «the best way of responding to oppression’s restrictive influence on an individual’s ability to act autonomously is to change the oppressive conditions of her life, not to try to make her better adapt to (or simply manage to ‘overcome’) those conditions privately.» (McLeod & Sherwin, 2000) Aussi, les soignantes, reconnaissant les contextes complexes forgeant la santé des patientes, peuvent agir pour promouvoir l’autonomie de leurs patientes, tant au niveau de la relation de soin et qu’auprès d’initiatives d’advocacy à la défense de leurs intérêts. (Ells et al., 2011) Néanmoins, aux yeux des féministes, agir au niveau des soignants et des systèmes de santé demeure insuffisant pour mener aux changements sociopolitiques qu’elles revendiquent pour une réelle équité en santé. « Much of this work is beyond the scope of health-care providers; it requires broadscale social and political change. Health care by itself cannot, of course, correct all of the evils of oppression. It cannot even cure all of the health-related effects of oppression.» (McLeod & Sherwin, 2000) Ici, l’autonomie relationnelle permet de déployer la visée politique des approches féministes en suggérant qu’une approche globale et cohérente en santé doit restaurer l’autonomie de la femme et permettre son empowerment, dans une vision émancipatoire : « The mutual empowerment of a sufficient number of women engaged in collective action seems necessary to bring about, for example, culturewide economic or legal change. » (Friedman, 2000) En effet, la construction d’une communauté informée et outillée – empowered – pour répondre aux enjeux sociaux et politiques forgeant leur santé est une des méthode d’activisme prônée par plusieurs féministes. (Friedman, 2000; McLeod & Sherwin, 2000; I. M. Young, 1994)

4.2 Une réflexion féministe normative basée sur l’autonomie