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Chapitre III : Pensée traductionnelle humaine et Pensée traductionnelle machine

III.4 L’interaction homme-machine en traduction

III.4.3 La notion de transfert

Comme on l’a vu dans l’introduction au présent Chapitre, la notion de transfert a fait l’objet des conceptions de systèmes de traduction automatique basés sur une approche indirecte.

En traduction automatique, le transfert est conçu en tant qu’opération intermédiaire permettant de relier la première étape d’analyse morphologique de l’input linguistique de départ à l’étape finale de

génération de l’output en langue d’arrivée186, tout comme prévu par l’architecture d’Apertium.

En effet, Comme indiqué par Hutchins&Somers :

186 Parmi les modélisations du transfert, voir par exemple celle du « triangle de Vauquois » qui représente l’architecture d’un système de traduction basé sur des règles dans lequel l’on structure les niveaux traditionnels d’analyse linguistique : morphologie, syntaxe, sémantique.

Vauquois Bernard, « Modèles pour la traduction automatique », dans Mathématiques et Sciences Humaines (1971), vol. n° 34, p. 61-70.

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« The term 'transfer method' has been applied to systems which interpose bilingual modules between intermediate representations. Unlike those in interlingual systems these representations are language-dependent: the result of analysis is an abstract representation of the source text, the input to generation is an abstract representation of the target text. The function of the bilingual transfer modules is to convert source language (intermediate) representations into target language (intermediate) representations. » Hutchins&Somers (1992: 75)

Le transfert chez l’humain, par contre, ne se réduit pas simplement à une opération bilingue visant l’effacement des ambiguïtés présentes en langue de départ en vue d’une représentation linguistique de l’information contenue par le texte de départ et de sa restitution en langue d’arrivée. Comme

Pym l’a indiqué dans son article187, la notion de trasfert en traduction fait l’objet de deux

conceptions principales, l’une portant sur la nature interlinguistique du processus, l’autre sur le côté interprétatif et pragmatique du contenu transmis par le processus :

« Within translation studies, there are at least two distinct ways of thinking about this movement. On the one hand, the notion of “transfer mechanisms” (as found in Nida 1964: 146 ff.) would refer to sets of rules or procedures for adapting structures to new interpretative systems. On the other, “transfer” can be seen as the moving of a material object through time and space, quite independently of any rules for adaptation or interpretation. The first sense would describe something that happens within the brain or machine responding to moving objects; the second concerns the objects moving externally to brains and machines. Of these two uses, I suspect that system theory, which is more interested in structure than in substance, would tend towards transfer in the “internal” sense. […] It must nevertheless be admitted that both senses of transfer have their place, since the external aspect would not exist without the internal one, and vice versa. That is, internal transfer would be entirely unnecessary if external objects were not moved, and external objects would not be moved if there were not some mental prefiguration of how they will be interpreted in their destination or desired state. […] translation studies should perhaps keep its terminological ambiguities to a minimum by referring to the internal side of transfer as “translating” (the activity that goes from source-structures to target-structures), and then describing the external aspects as “material transfer”. » Pym ( : 172-173)

L’on peut donc attribuer à la notion de trasfert aussi bien un volet interlinguistique portant sur le processus traductionnel interne (que se soit dans le cerveau humain ou dans le système de TA) et un volet pragmatique naissant de l’ancrage du processus traductionnel au sein du monde extérieur et de ses exigences de médiation interculturelle (ayant également des implications de niveau économique).

Pourtant, si l’on considère le trasfert du point de vue du développement de la compétence traductionnelle chez un individu, l’accent est mis notamment au niveau du processus cognitif et du développement de la capacité de gestion consciente et inconsciente des deux sous-systèmes

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langagiers qui interagissent tout le long de l’opération traduisante, ce qui consiste d’après

Malmkjaer188 en :

« - a translator’s knowledge of their languages simultaneously as one system, and as at least separable, and as related (as distinct from their ability to use their languages individually);

- an “unconscious” mental state reached through a process of cognitive development. » Malmkjaer (2009 : 126). Toujours au sujet du transfert du point de vue de la compétence traductionnelle, il existe aussi une troisième position épistémologique à fondement pédagogique selon laquelle la notion de transfert devrait etre remplacée par celle de « bon sens », un concept typiquement humain (cela va sans dire).

Nous faisons référence ici notamment à l’article de Jean-Yves Le Disez de 2013189 dans lequel

l’auteur décrit sa propre méthode pour l’enseignement de la traduction qu’il adresse aux étudiants inscrits en première année de licence en Langues étrangères appliquées (LEA). D’après Le Disez,

dont la réflexion se base essentiellement sur l’ouvrage de Ernst-August Gutt Translation and

Relevance (que nous avons traité dans le Chapitre II à la page 128) et sur l’ouvrage de Mona Baker, In other words190, à laquelle nous ferons référence dans notre Chapitre IV, il faudrait en tant que pédagogues de la traduction guider les apprenants vers la résistance à l’illusion du concept de transfert, et ce, au profit du bon sens en traduction. L’idée exprimée par l’auteur est que la logique du transfert en tant qu’opération interlinguistique d’une langue de départ vers une langue d’arrivée réduit l’opération traduisante à un simple processus de mise en équivalence lexicale (et sytaxique et discursive) au détriment du naturel dans la restitution en langue d’arrivée. Afin de surmonter le péril dérivant d’une notion qui nous a été transmise par la traductologie dès ses débuts, il faudrait guider les apprenants non pas vers la recherche d’équivalents en langue d’arrivée, mais surtout vers la recheches des indices communicationnels qu’Erst-August Gütt appelle « communicative clues »

ainsi que vers les « scenes and frames » de Fillmore191. Les indices communicationnels sont,

d’après Le Disez, les éléments du texte « qui guident le destinataire vers l’interprétation voulue par le communicateur » (2013 : 17), tandis que les « scenes and frames » concernent plutôt « la façon dont la surface linguistique des productions verbales structure et exprime des représentations mentales sous-jacentes » (2013 :18).

188 Malmkiaer Kirsten, « What is translation competence ? », Publications Linguistiques | Revue Française de Linguistique Appliquée 2009/1 - Volume XIV ISSN 1386-1204 | pages 121 à 134

http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RFLA&ID_NUMPUBLIE=RFLA_141&ID_ARTICLE=RFLA_141_01 21

189 Le Disez Jean-Yves, « Du Transfert au Trans-Faire: éléments d’une pédagogie de résistance à l’illusion référentielle », dans Le bon sense en traduction, Presses Universitaires de Rennes, pp. 13-23, 2013.

190 Baker M., In other words. A coursebook on translation, Londres/New York, Routledge, 1992.

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Tout en comprenant la pertinence de la réflexion pédagogique de Le Disez qui fait référence notamment aux apprentis traducteurs inscrits en première année de licence en LEA, nous estimons nécessaire surtout pour les apprentis traducteurs de niveau Master (auxquels nous avons adressé nos activités didactiques expérimentales) de structurer les connaissances et les compétences traductionnelles préalablement acquises au cours de leur formation (parmi lesquelles bien évidemment aussi les compétences pragmatiques évoquées par Le Disez) au profit du développement d’une méthode traductionnelle solide sur le plan et communicationnel et linguistique, ce qui leur permettra de faire preuve d’un haut niveau de compétences dans leurs langues de spécialisation sur le marché du travail.

En ce qui concerne l’interaction homme-machine au sujet du transfert, nous estimons que c’est notamment sur ce plan que les deux parties impliquées (l’humain et la machine) trouvent un terrain

commun (i.e. le transfert) : en fait, aussi bien pour l’humain, dans son acception de transfert interne

que pour la machine, ce concept correspond au processus de mise en équivalence bilingue entre le texte de départ et le texte d’arrivée. La démarche opérée par notre outil, qui ne sera qu’au stade prototypique, pourra certainement profiter de l’intervention humaine, mais à son tour, il forunira à l’humain une chaîne opérationnelle centrée sur le transfert (lexical et structurel) qui pourrait contribuer au niveau de l’entraînement chez l’humain du réseaux connaissances métalinguistiques explicites (CME) illustré par Paradis (p. 106) ainsi qu’au niveau de sa systématisation consciente et conceptuelle des connaissances linguistiques appliquées à l’opération traduisante.

III.5 Conclusion

Nous précisons reconnaître le caractère plus figé et limité de la démarche machine par rapport à celle humaine, dès l’identification du ségment à traduire, en passant par l’application de la règle relative jusqu’à la restitution en langue d’arrivée. Pourtant, nous estimons que la « pensée traductionnelle machine » peut s’avérer exploitable par l’humain qui pourrait en bénéficier dans le but d’une systématisation et d’une structuration plus efficaces des connaissances linguistiques et métalinguistiques qui sont à la base de sa méthode traductionnelle.

Afin de constituer un support pédagogique utile pour l’apprentissage de la traduction, l’amélioration des modèles de transfert et des « algorithmes de transfert » doit se faire dans deux directions :

- l’intégration d’autres composantes que les composantes cognitives et linguistiques dans le modèle de transfert, comme par exemple des composantes de type « ontologie des connaissances » ;

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- une analyse plus fine des stratégies traductionnelles adoptées par les traducteurs humains, leur modélisation et leur implémentation sur machine.

Enfin, si la valeur ajoutée de l’humain par rapport à la machine se situe au niveau de sa créativité, nous croyons qu’une meilleure systématisation des connaissances métalinguistiques chez l’individu pourrait également contribuer de manière indirecte à sa créativité, un talent que le traducteur arrivera à dévoiler au moment opportun au cours du processus traductionnel, notamment là où ses connaissances métalinguistiques n’arriverons pas à répondre aux besoins communicatifs et pragmatiques du projet de traduction donné, tout comme Élisabeth Lavault-Olléon l’indique dans

son article « Créativité et Traduction spécialisée »192 :

« je parlerai de créativité chaque fois qu’il y a écart par rapport à des solutions préétablies relevant de la seule prise en compte des correspondances linguistiques (ou stylistiques). Mais cette créativité trouve ses limites dans la fidélité au sens tel qu’il est défini par la théorie interprétative (Lavault, 1985 : 50), à savoir « exprimer le vouloir-dire de l’auteur avec l’effet voulu en respectant les contraintes de la langue cible » Lavault-Olléon (1996 : 4).

Nous précisons d’ailleurs qu’il ne s’agit pas tout simplement dans notre cas de l’étude sur les avantanges ou les désavantages liés à l’intégration de systèmes de TA en situation d’apprentissage

basée sur l’observation des limites préstationnelles de la machine193 . Au cœur de notre réflexion,

ne se situe pas la « prestation » traductionnelle de la machine. Notre intérêt concerne, au contraire,

l’interaction entre la « pensée traductionnelle » propre à la machine et celle qui caractérise la

démarche humaine.

Compte tenu du caractère figé de la démarche machine, notre question est finalement la suivante : la machine, arrive-t-elle à poser des contraintes efficaces au processus traductionnel humain ? Nous essairons de répondre à cette question dans nos Chapitres IV et V, dans lesquels nous présenterons respectivement les étapes de notre phase expérimentale et l’analyse des résultats obtenus.

192 Lavault-Olléon E., « Créativité et Traduction spécialisée », ASp 11-14 (1996) Actes du 17e colloque du GERAS, pp. 1-10 http://asp.revues.org/3460

193 Ce qui est traité par de nombreuses études récentes, parmi lesquelles :

0HKPHWùDKLQ©8VLQJ07SRVW-editing for translator training», Tralogy [En ligne], Tralogy II, Session 6 - Teaching around MT / Didactique, enseignement, apprentissage, mis à jour le : 25/08/2014,URL :

http://lodel.irevues.inist.fr/tralogy/index.php?id=255

Niño, Ana. (2009), Machine translation in foreign language learning: language learners’ and tutors’ perceptions of its advantages and disadvantages. ReCALL, 21 , 241-258.

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