• Aucun résultat trouvé

Logique computationnelle et ambiguïté

Chapitre II : Le processus de traduction humaine

II.5 Le processus traductionnel : un processus logique et ambigu

II.5.4 Logique computationnelle et ambiguïté

Kowalski procède dans son analyse du rapport entre logique computationnelle et communication humaine en s’arrêtant également sur la nature ambiguë des langues naturelles.

D’après l’auteur (2011 : 35-36), c’est justement en raison de l’ambiguïté des langues naturelles que le lecteur se retrouve souvent à choisir parmi de formes logiques alternatives afin d’identifier la représentation du sens envisagé par l’auteur du texte. Comme remarqué par Kowalski, parmi les facteurs-clés déterminant l’identification du sens envisagé par l’auteur d’un texte, l’on peut citer :

148

ƒ la cohérence avec les objectifs et la position déjà exprimés par l’auteur ;

ƒ la forme logique de ses énoncés précédents ;

ƒ l’interprétation déjà construite par le lecteur-même à l’égard de la position envisagée par

l’auteur du texte ;

ƒ les attentes du lecteur envers l’auteur.

Contrairement aux phrases en langues naturelles, les phrases en logique « disent » exactement ce qu’elles « entendent ».

Pourtant, Kowalski reconnaît qu’une même phrase dans sa forme logique possède de significations différentes pour de personnes différentes puisque les objectifs ainsi que les croyances varient d’une personne à l’autre. L’auteur explique, donc, que la logique computationnelle concerne, plus généralement, la représentation de ces objectifs et de ces croyances dans leur forme logique, et plus spécifiquement, le raisonnement portant sur ces représentations afin de résoudre les problèmes émergeant dans le monde réel.

Bien évidemment, la transparence des représentations logiques s’applique difficilement au contexte réel de la communication humaine, et surtout en situation de communication bi- ou multilingue.

En effet, l’ambiguïté des langues naturelles constitue l’un des majeurs défis en traduction, aussi bien pour les traducteurs humains que pour les traducteurs automatiques. Il faut souligner que malgré le progrès technologique remarquable dans la conception des outils de traduction automatique les plus récents, l’intervention humaine dans la résolution de problèmes linguistiques et traductionnels de nature sémantique reste indispensable.

À cet égard, nous faisons référence en particulier à la thèse de doctorat de Marianna

Apidianaki156 qui met en évidence la problématique principale caractérisant la gestion automatique

de la désambiguïsation lexicale en vue de traduction :

« La notion de sens peut être conçue de diverses manières, selon le cadre théorique adopté. Outre cette diversité, les principes sous-jacents à une modélisation de la sémantique lexicale sont fortement influencés par les besoins auxquels une telle modélisation est supposée répondre. Dans un cadre automatique, par exemple, des inventaires sémantiques sont requis pour la désambiguïsation lexicale dans des applications précises. Au sein de ces applications, la désambiguïsation ne constitue qu’une tâche intermédiaire de traitement, qui facilite leur objectif final. Ainsi, les besoins des applications en matière de désambiguïsation divergent et sont définis par leur finalité. Cependant, la plupart des

156 Apidianaki M., Acquisition automatique de sens pour la désambiguïsation et la sélection lexicale en traduction. Linguistics. Université Paris-Diderot - Paris VII, 2008. French. <tel-00322285>. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00322285 (dernière date de consultation : 28/10/2014).

149

méthodes de désambiguïsation existantes sont indépendantes d’un cadre applicatif précis. Et servent, souvent, à éprouver la validité de la théorie de traitement linguistique sur laquelle elles se fondent, sans prendre réellement en considération les enjeux d’ordre pratique. Ainsi, tout en considérant cette tâche intermédiaire de traitement comme importante pour pouvoir atteindre un objectif final, l’évaluation de ses résultats ne tient, bien souvent, pas compte de cette finalité. L’incohérence constatée entre le statut de la tâche de désambiguïsation et le cadre dans lequel les méthodes sont développées et évaluées a comme résultat la non-conformité des méthodes à des applications précises. […]La nécessité d’élaborer des méthodes de désambiguïsation lexicaleorientées vers des applications précises s’est donc, récemment et progressivement, imposée et de telles méthodes ont désormais vu le jour ». Apidianaki (2008 : 8-9). La thèse de Marianna Apidianaki concerne notamment les applications de traduction automatique et de traduction assistée par ordinateur, pour lesquelles la modélisation doit suivre (comme elle l’explique) la perspective du traitement en contexte bilingue :

« L’analyse de la sémantique lexicale effectuée se situe donc dans une perspective de modélisation conforme au traitement dans un contexte bilingue. Cette modélisation définit des correspondances inter-langues à un niveau plus élevé que le niveau lexical, celui du sens ». Apidianaki (2008 :9).

Il est intéressant de noter que Marianna Apidiaki souligne l’importance de la distinction entre

repérage de sens automatique dans un cadre monolingue et repérage de sens automatique dans un

cadre bi- ou multi-lingue :

« L’hypothèse sous-jacente aux méthodes monolingues de repérage de sens est l’hypothèse distributionnelle du sens (Harris, 1954), selon laquelle les différents sens des mots sont reflétés dans leurs usages au sein des textes. Les sens sont repérés à un niveau d’abstraction supérieur à celui des occurrences. Pour atteindre ce niveau, les usages présentant certaines régularités sont regroupés. Les groupes générés sont supposés décrire les différents sens des mots en question. La discrimination des sens lexicaux est ainsi souvent réduite au problème de repérage de classes (ou de clusters) de contextes similaires telles que chaque classe représente un sens. Etant donné un mot polysémique utilisé dans un ensemble de contextes différents, le processus d’acquisition des sens consiste à regrouper les instances du mot, en déterminant ses contextes qui présentent la plus grande similarité entre eux » (2008 : 56).

Si dans un cadre monolingue, le sens est repéré par le moyen de méthodes d’identification de régularités (classes et/ou clusters) dans les usages des mots au sein des textes, notamment par rapport à leurs contextes d’usage différents, dans un cadre bilingue ou multilingue au contraire, on a recours à des indices sémantiques visant l’étiquetage des instances des mots identifiés :

« Les hypothèses sous-jacentes au fonctionnement des méthodes d’acquisition de sens développées dans un cadre bilingue ou multilingue diffèrent de manière importante de celles sur lesquelles se basent les méthodes monolingues. En effet, les méthodes bi- ou multilingues exploitent généralement des informations de traduction ; d’où leur dénomination comme méthodes traductionnelles. Le principe fondamental gouvernant ces méthodes est que les différents équivalents de traduction d’un mot polysémique de la langue source constituent des indices des distinctions sémantiques du mot. Par conséquent, les équivalents peuvent être utilisés pour repérer les sens du mot polysémique, en en révélant

150

les sens « cachés » et, éventuellement, pour étiqueter les instances de ce mot à l’aide des sens rendus évidents par l’analyse sémantique ». (2008 : 72).

L’observation des principes sous-jacents aux méthodes de repérage de sens nous permet de réfléchir davantage sur le rôle ainsi que la définition du « contexte » en traduction. En situation de traduction, le contexte assume en effet une dimension double qui est indissociable du texte de départ, mais également de sa reproduction fonctionnelle en langue d’arrivée. Il faut remarquer, en particulier, que cette bi-dimensionnalité contextuelle comprend tous les niveaux de l’analyse sémantique, allant du mot à la réalité socio-communicative, en passant par l’identification et la sélection des éléments pertinents à la tâche traductionnelle en cours.

II.6 Conclusion

Les contributions issues des études neurocognitives nous permettent d’abord de définir avec une majeure exactitude pragmatique la nature de l’opération traduisante en tant que processus complexe.

Une telle complexité s’explique par l’analyse des connaissances et des compétences conscientes et subconscientes qui sont impliqué en traduction, un processus intélligent issu d’une condition de bilinguisme et consistant en un raisonnement logique, émotionnel, analytique et conceptuel dirigé vers la prise de décision, notamment l’identification, la désambiguïsantion et la sélection de choix

traductionnels pertinents par rapport au projet de traduction donné.

Au cours de notre prochain chapitre nous analyserons de plus près les composantes essentielles au processus traductionnel en faisant référence aussi bien à la modélisation de ce processus en traduction automatique (TA) qu’aux éléments propres à l’approche traductionnelle humaine.

151