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Partie A : Contextes et paramètres

1.2. Information et organisation

1.2.1. Notion d’organisation

L’existence, c’est la fragilité : l’être ouvert ou existant est proche de la ruine dès sa naissance, il ne peut éviter ou différer cette ruine que par le dynamisme ininterrompu de la réorganisation permanente et le secours d’un ravitaillement extérieur. C’est un étant transitif, incertain, qui a toujours besoin de réexister et qui s’évanouit dès qu’il cesse d’être nourri, entretenu, réorganisé, réorganisant…Son existence ne peut qu’osciller entre l’équilibre et de déséquilibre, qui l’un et l’autre le désintègrent. (Morin, E.)29

1.2.1.1 Généralités

Du fait que l’entropie doit toujours croître ou, au minimum, rester constante (d’une manière éphémère), il résulte que la néguentropie produite décroît régulièrement et de façon continue ; par conséquent, l’homme, en tant que structure dissipative (cf. 1.1.6), doit constamment reconstituer son état néguentropique pour assurer sa pérennité (par l’accès à l’énergie-nourriture et aux rayons solaires principalement, ainsi qu’à l’information, qui permet, entre autres, cet accès). La néguentropie ne concerne évidemment pas la matière inerte, constituée de systèmes fermés.

L’« organisation » consiste dans la (re)constitution de l’état néguentropique. En substance, l’organisation désigne l’ensemble des processus nous permettant - en tant que structures dissipatives, cf. para. 1.6 - de stabiliser ou de ralentir les effets de l’entropie. L’augmentation de l’entropie se poursuivant à tout instant, nous sommes conduits à créer en permanence de l’organisation. En vérité, ainsi que nous le verrons, tous nos actes et réflexions, quels qu’ils/elles soient, ont pour unique objet de produire de l’énergie libreet de maximiser notre dissipation d’énergie (cf. para. 1.3).

50 Nous allons voir ci-après plus en détails les significations théoriques de l’organisation ; il sera plus loin question de l’auto-organisation, concept associé auquel nous nous référerons également régulièrement dans le développement de nos hypothèses.

N.B. : Dans l’ensemble des points ci-après traitant de l’organisation en tant que telle et de ses liens avec les phénomènes d’information, d’émergence, d’innovation et des attracteurs, nous ferons régulièrement référence à des propos d’H. Atlan, qui a traité avec pertinence de ces sujets dans divers ouvrages de grande rigueur scientifique. Il sera également fait référence à plusieurs reprises à des propos d’E. Morin, extraits principalement du tome 1 de la « La méthode » (sous-titré « La nature de la nature ») ouvrage dont divers chapitres sont également consacrés à ces questions d’organisation en lien avec l’information.

1.2.1.2. L’organisation : définition(s)

L’organisation - de même que l’auto-organisation - sont des facteurs d’ordre au sens où l’entend la thermodynamique, à savoir des facteurs de néguentropie.

La transformation continue de l’énergie se concrétise dans une transformation permanente de l’environnement, ainsi que des individus eux-mêmes (le fonctionnement de notre organisme ainsi que nos pensées, par exemple, évoluent et se modifient sans cesse). En définitive, tout, dans notre existence, autour de nous et en nous-mêmes, se transforme continuellement.

Tout comme la Terre, dont elle est issue, la vie est un produit de cette transformation de l’énergie (on parle ordinairement de « dégradation » énergétique), et elle se situe dans une logique de continuité qui veut qu’elle soit elle-même une structure en état de transformation constante (le vieillissement). La capacité des organismes vivants de ralentir ou stabiliser momentanément à leur avantage la dégradation qui s’impose à eux tient à leur caractère de structures dissipatives. Cette aptitude constitue une capacité d’organisation (ou, autrement dit, une capacité à produire de l’ordre). Le physicien I. Prigogine a qualifié les structures dissipatives d’îlots d’ordre dans un océan de désordre.

On parle d’organisation dans les transformations physiques lorsqu’il y a constitution d’ordre/néguentropie dans une situation globale de désordre/entropie. Pour préciser le lien du phénomène d’organisation avec les notions d’ordre et désordre (ou de dégradation) propres à

51 l’entropie et à la néguentropie, on se référera à E. Morin quand il note: « le second principe de la thermodynamique (…) se pose en termes d’ordre et de désordre. Il se pose du coup en termes d’organisation et de désorganisation, puisque l’ordre d’un système est constitué par l’organisation qui agence en un tout des éléments hétérogènes. Donc l’entropie (…) signifie à la fois dégradation de l’énergie, dégradation de l’ordre, dégradation de l’organisation »30.

En définitive, l’ « ordre » n’est qu’un état transitoire du « désordre ». Comme l’écrit encore E. Morin, « tout ce qui est physique, des atomes aux astres, des bactéries aux humains, a besoin de désordre pour s’organiser »31. Ce constat relève de l’omniprésence du désordre entropique, lequel conditionne tout fait ou toute activité. L’organisation nécessaire à ces faits et activités constitue toujours une réaction au désordre constant en toile de fond. Elle est toujours éphémère et doit, d’une manière ou d’une autre se reconstituer, se remettre en cause en permanence. Tout dans l’existence est une succession d’organisation, de désorganisation, de réorganisation et ainsi de suite. Un aspect particulièrement intéressant et déterminant du phénomène d’organisation tient au constat que celui-ci naît et résulte le plus souvent de facteurs de désorganisation/désordre. Un bon exemple de cet état de fait est donné par M. Serres, à propos du nuage primitif issu du Big Bang : « les turbulences provoquent des inégalités au sein du nuage qui accroît son volume, et des premières dislocations le fissurent. (…) (Plus tard) le nuage craque de toutes parts, se dissocie en protogalaxies : les protogalaxies, sous l’effet du même processus, se brisent à leur tour »32. E. Morin abonde dans le même sens : « les formations d’étoiles sont inséparables de déchirures et ruptures au sein de la proto-galaxie. L’allumage se fait au point d’explosion, avec risque d’explosion. On voit donc bien que l’idée ruptrice de la catastrophe est essentielle pour concevoir la naissance et l’organisation de l’ordre cosmique »33. Appliqué aux organismes vivants, ce constat de création d’ordre à partir du désordre est décrit comme suit par E. Angelier : « l’organisation du vivant est en fait une réorganisation permanente de molécules qui se dégradent ; elle produit de l’ordre à partir du désordre, de la néguentropie à partir de l’entropie »34. Sur le plan du comportement humain, l’organisation constitue également une réorganisation permanente, celle du cours même de l’existence, produisant de l’ordre à partir

30 MORIN, E., Op.cit., p.35

31

MORIN, E., Ibid. p.80

32

SERRES, M. - Hermès III ; La traduction.- Paris : Editions de minuit, 1974, p.61

33 MORIN, E., Op.cit., p.47

52 du désordre, de la néguentropie à partir de l’entropie. En définitive, il apparaît que toute organisation nécessite, pour se produite, un état de désorganisation préalable.

On notera par ailleurs que complexité (cf. para.1.2.1.1) et organisation sont étroitement mêlés. De fait, les interactions, qui constituent le facteur essentiel de la complexité, jouent un rôle prédominant dans les contextes d’organisation. « Pour qu’il y ait organisation, il faut qu’il y ait interactions : pour qu’il y ait interactions, il faut qu’il y ait rencontres, pour qu’il y ait rencontre, il faut qu’il y ait désordre (agitation, turbulence) »35. Ici encore, il est souligné que l’organisation suppose au préalable du désordre.

Les états organisés ne peuvent se réaliser et se maintenir qu’au prix d’un d’une dissipation adéquate d’énergie. Comme l’écrit encore E. Angelier, « dans tout système physique, le fait de transférer de l’énergie a pour conséquence une réorganisation de ce système. (Ce système) utilise une partie de l’énergie pour (…) s’auto-organiser et atteindre un état stationnaire loin de l’équilibre. C’est une structure dissipative »36 . De ces constats, nous pouvons tirer la définition suivante :

L’organisation consiste dans tout processus de transfert d’énergie-matière permettant à une structure dissipative de se maintenir éloignée de l’état d’équilibre.

Cette définition peut toutefois être énoncée d’une manière plus succincte, dans la mesure où, comme nous allons le voir dans ce chapitre, tout mécanisme énergétique (transfert ou transformation) est assimilable à un mécanisme d’information et où, d’autre part - comme nous le verrons également, cf.para.1.2.5 -, l’information est le moteur de l’organisation ; d’autre part, le terme « transfert » peut être remplacé par « traitement », car il s’agit bien de « traiter » de l’information pour produire de la néguentropie (qui permettra de produire de l’énergie libre qui sera dissipée) :

L’organisation consiste dans tout processus de traitement d’information permettant à une structure dissipative de se maintenir éloignée de l’état d’équilibre.

Ce processus de traitement de l’information se résume à une optimisation de cette dernière, le but étant de favoriser au mieux et le plus durablement possible l’état de maintien hors équilibre.

35 MORIN, E., Op.cit., p.51

53 Cette définition de l’organisation appelle naturellement à une définition de l’information ; nous y viendrons via un détour préalable par les notions d’attracteur et d’émergence. Ajoutons que le principe d’organisation occupe une place importante dans le développement de nos hypothèses, dans la mesure, en particulier, où il contribue à définir le principe corollaire d’auto-organisation, sur lequel nous reviendrons plus loin.

Remarque : cette définition de l’organisation est particulière à notre approche. Il existe bien entendu d’autres définitions de ce terme, notamment dans la démarche systémique, selon laquelle « l’organisation est l’agencement d’une totalité en fonction de la répartition de ses éléments en niveaux hiérarchiques »37 (Wikipedia « Systémique »).