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Partie A : Contextes et paramètres

2.7. Problématique des phénomènes ex nihilo

2.7.1.3. Libre arbitre et information

Ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, nous nous sommes penchés sur la problématique du libre arbitre dans la mesure où elle pose question en termes de causalité, et où la causalité constitue en soi un processus d’information, tant au sens générique qu’au sens restreint (ainsi que nous l’avons montré par ailleurs).

Si l’on accepte l’existence du libre arbitre, il y a lieu de se demander comment fonctionne le processus d’information qui détermine une décision. Il devrait alors s’agir d’une information auto-générée et, partant, non issue d’un processus de communication. En d’autres termes, le libre arbitre revient à alléguer que les décisions et les choix sont, dans une mesure non négligeable, producteurs d’informations non intégralement fondées sur des données préalablement communiquées. Il est aussi loisible d’imaginer, à l’instar de l’école vitaliste, que l’homme est animé d’une sorte de « souffle vital » exempt de schéma de fonctionnement déterministe.

Si, en revanche, on nie l’existence du libre arbitre, ce que l’on appelle choix et décision ne sont rien de plus que des lieux de transformation d’informations communiquées par l’environnement et sélectionnées par le jeu de nos apprentissages. Ils sont aussi des phénomènes d’émergence. En effet, on peut aussi concevoir que les réflexions ordinairement considérées comme étant produites ex nihilo résultent en fait de processus d’émergence d’informations issus des interactions d’informations acquises avec des informations potentielles (cf. ch.1, para.1.2.6), le système de pensée étant une structure auto-organisée (cf. ch.1, para.1.2.4). Ce serait alors, selon nous, la prise de conscience - après coup - de ces

123 informations émergées qui donnerait le sentiment d’opérer des choix dans le fil de nos réflexions.

2.7.2. Hasard

Dans une démarche déterministe qui fonde le fonctionnement ou la simple existence de toutes choses sur la causalité - toute chose étant l’aboutissement de chaînes infinies et entremêlées de causes à effets - le hasard s’exclut automatiquement de la réalité scientifique. Car il est clair que rien dans cette démarche ne saurait valider quelque forme que ce soit de créationnisme : toute chose, tout acte, tout événement y est nécessairement le produit de facteurs de déclenchement.

Lorsque, par exemple, dans une salle d’attente, je m’assieds spontanément dans le fauteuil jaune plutôt que dans le bleu, ce n’est de toute évidence, pas le fruit du hasard. Rien ne dit toutefois que, dans d’autres circonstances, je ne me serais pas retrouvé sur le siège bleu. Mais il se fait que c’est le fauteuil le plus proche de la fenêtre et que, sans même y avoir réfléchi, je suis intéressé, à cet instant précis, à observer les mouvements de foule à la sortie du métro situé juste en-dessous de ladite fenêtre. D’autre part, si je me trouve dans cette salle d’attente, c’est dû, par exemple, au fait que je souffre d’une rage de dents (laquelle tient à des facteurs physiologiques évolutifs), au fait que le dentiste chez lequel je me trouve m’a été recommandé par un ami, et que cet ami a été rencontré dans telle ou telle circonstance, laquelle s’est produite pour un ensemble de raisons conjuguées à un moment donné, etc. Bref, tout événement résulte toujours d’un ensemble de facteurs de déclenchement (facteurs attracteurs).

Il en va de même lorsque les phénomènes supposés fortuits concernent simultanément plusieurs individus. Si je croise une personne quelconque (connue de moi ou inconnue) à l’arrêt du bus à moment précis, il est clair que nos présences simultanées sont la conséquence de suites d’événements causaux advenus dans nos vies respectives. Ce n’est donc pas par hasard que cette connaissance se trouve à l’arrêt du bus à cet instant donné ; et il en va évidemment de même en ce qui concerne ma propre présence simultanée au même endroit et au même moment.

Poursuivons ce raisonnement. Selon le mathématicien A.-A. Cournot, le hasard est « la rencontre de deux séries causales indépendantes ». Cette définition pourrait s’appliquer à

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l’exemple des deux individus qui se croisent à un arrêt de bus. Ils relèvent effectivement, en principe du moins, « de deux séries causales indépendantes ». Mais sont-elles véritablement

indépendantes ? N’y a-t-il pas déjà causalités communes dans les simples faits que ces deux individus se trouvent dans la même ville, qu’ils connaissent tous deux l’existence d’une même ligne de bus à l’endroit considéré, puis encore que tous deux appartiennent à une culture commune où leur a été appris l’usage de moyens de transport publics?

On se référera également à l’hypothèse dite de « L'étude du petit monde » (cf. ch.1, para.1.4) selon laquelle « la longueur de la chaîne des connaissances sociales requise pour lier une personne arbitrairement choisie à n'importe quelle autre sur Terre est généralement courte.(…) Une expérience réalisée par le psychologue Stanley Milgram en 1967 a mis en évidence des chaînes très courtes reliant deux citoyens aléatoirement choisis aux États-Unis

(les chaînes effectivement obtenues, au nombre de quelques dizaines, avaient une longueur moyenne de six personnes »162 (d'où l'expression « effet du petit monde » qui en a découlé). D’autre part, les statiques généalogiques montrent que les Européens de l’Ouest auraient tous un « dernier ancêtre commun » (lequel aurait vécu vers l’an 1000)163. Il en résulte que tous les individus de cette population ont en commun au minimum un point de convergence entre leurs chaînes de causalités. Si l’on se réfère à ces deux théories (Effet du petit monde et

Dernier ancêtre commun), il y a bien peu de chances que deux individus se croisant à un endroit donné d’Europe occidentale s’inscrivent dans des séries causales véritablement et totalement indépendantes (cf. plus haut la définition du hasard donnée par A.-A. Cournot). On pourrait sans nul doute aboutir à des conclusions d’ordre similaire si l’on considérait la simultanéité de deux ou plusieurs faits plutôt que celle d’événements concernant deux ou plusieurs individus.

D’après Wikipedia (article « Hasard », « Le hasard exprime l'incapacité de prévoir avec certitude un fait quelconque, c'est-à-dire prévoir ce qu'il va advenir. Ainsi, pour éclairer le sens du mot, il est souvent dit que hasard est synonyme d'« imprévisibilité », ou « imprédictibilité » (…) Cette incapacité de prévoir peut naître de différentes causes, notamment la méconnaissance des paramètres nécessaires à la prévision, ou le manque de

162

WIKIPEDIA, article Théorie des réseaux (http://fr.wikipedia?org/wiki/Théorie_des_réseaux), 09/2014

163 cf. ROHDE, D.L.T., OLON, S, CHANG, J.T. - Modelling the recent common ancestry of all living humans - Nature 431, 2004, pp.562-566

125 précision les concernant - c'est pourquoi il est aussi courant de dire que le hasard traduit notre ignorance »164.

Par ailleurs, selon O. Costa de Beauregard, « le hasard est d’origine à la fois subjective en ce qu’il procède d’une ignorance, et objective en ce que les conditions ignorées sont réelles, et agissent réellement »165.

On le voit, aucune de ces définitions, de même que l’ensemble des considérations qui précèdent, n’accordent au concept de hasard une réalité intrinsèque ; elles ne prêtent pas davantage à penser qu’il participe d’un quelconque phénomène produit ex nihilo.