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Partie A : Contextes et paramètres

1.1. Energie et thermodynamique

1.1.6. Néguentropie et structures dissipatives

Le processus d’entropie négative propre aux systèmes ouverts est appelé

néguentropie ; il s’agit d’un facteur d’organisation des systèmes physiques (dont font partie les organismes vivants) qui s’oppose à la tendance naturelle à l’entropie (que nous assimilerons plus loin au concept de « désorganisation »). En d’autres termes, la néguentropie consiste dans la capacité des organismes vivants de ralentir ou stabiliser les effets de l’entropie à leur égard. Toutefois, la diminution d’entropie interne de toute structure

42 (organisme ou système) suppose une augmentation d’entropie dans un système plus large, à savoir l’ensemble constitué par le système observé et son environnement. A. Kastler (Prix Nobel de physique) corrobore ce principe : « Des systèmes ouverts présentant un état d’ordre caractéristique peuvent non seulement maintenir mais accroître cet état d’ordre en puisant dans le milieu extérieur de l’énergie et en cédant à ce milieu, d’une manière continue, de la chaleur, donc de l’entropie. (…) l’accroissement d’ordre - et donc de néguentropie - du système est compensé par le cession d’entropie au milieu extérieur. De tels systèmes qui évoluent très loin de l’état d’équilibre stable, sont appelés systèmes dissipatifs »12.

Le physicien I. Prigogine a donné le nom de « structure dissipative » à tout système ouvert auto-organisé (nous reviendrons sur ce dernier terme au para. 1.2.4) qui se maintient semblable à lui-même grâce à un apport constant d’énergie et/ou d’information. Il a observé que, loin de l’état d’équilibre (cf. para.1.1.4), des processus de structuration peuvent se produire instantanément au sein des systèmes traversés par des flux d’énergie et de matière. Avant que I. Prigogine eût fait ce constat majeur dans l’histoire de la physique, le deuxième principe de la thermodynamique (cf. para.1.1.3), supposait une évolution irréversible des systèmes vers l’état d’équilibre, à savoir un état de désordre maximal. Depuis I. Prigogine et sa découverte du principe des structures dissipatives, cette évolution irréversible éloignée l’état d’équilibre peut devenir source d’ordre. En introduisant de l’ordre dans le désordre, une structure dissipative crée de la néguentropie ; à noter (c’est un principe physique) que celle-ci a pour effet d’accroître l’entropie produite par la structure dissipative. (fil conducteur de ce paragraphe : cf. Encyclopaedia Universalis, article « Structure dissipative »13).

On précisera que l’expression « structure dissipative » s’explique par référence au constat que « la formation de structures éloignées de l’état d’équilibre (c’est-à-dire maintenue éloignée de la mort, en ce qui concerne les organismes vivants) n’existe qu’aussi longtemps que le système dissipe de l’énergie et reste en interaction avec le monde extérieur »14. On rejoint ici les considérations mentionnées plus haut dans ce paragraphe à travers la citation

12

KASTLER, A, cité par FORSE, M. - L’ordre improbable, entropie et processus sociaux. - Paris : Presses Universitaires de France, 1989, p.102

13

ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS, www.universalis.fr.france/encyclopedie/structure-dissipative

43 d’A. Kastler et que nous pouvons à présent compléter par une autre citation d’I. Prigogine : « (…) les biologistes insistent (…) sur le fait que le théorème d’accroissement d’entropie s’applique au système complet, c’est-à-dire le système vivant plus son environnement. En d’autres termes, un système vivant (peut être) assimilé à un système qui échange de l’énergie ou de la matière avec le monde extérieur. Dès lors l’accroissement d’entropie du système complet est parfaitement compatible avec la diminution d’entropie du système vivant qui a dû avoir lieu lors de la formation des structures organisées »15.

Le fait que l’homme soit une structure dissipative confirme, dans l’esprit des physiciens, son caractère de système inscrit dans les lois de la science physique. Il en va de même notamment des systèmes sociaux. Mais, au-delà, une structure dissipative consiste également dans un processus culturel ou un type de comportement, dans la mesure ou ceux-ci font l’objet de l’entropie et sont, en réaction, producteurs de néguentropie (via, principalement, des apports d’information).

On ajoutera encore que les structures dissipatives sont des structures auto-organisées (voir plus loin para.1.2.4. et que, partant, elles sont productrices d’émergences (voir plus loin para.1.2.3).

Le propre de la vie est d’inverser le processus de l’entropie : tandis que la matière tend inéluctablement vers le désordre, la vie, quant à elle, maintient en permanence l’ordre et le reconstruit : elle est néguentropique. (E. Schrödinger)16. E. Schrödinger mentionne par ailleurs que la vie est le seul générateur de néguentropie.

Remarque importante : Le phénomène des structures dissipatives joue un rôle spécifique majeur dans le cadre de cette thèse. En effet, il constitue un cadre fondamental pour la définition de l’information au sens des sciences de la nature. Cette question sera développée au chapitre 2 de la partie C.

15

PRIGOGINE, I, cité par FORSE, M. op.cit., p.101-102

44 1.1.7. Loi de production maximale d’entropie (Loi MEP)

Deux citations de F. Roddier : « L’univers s’auto-organise de façon à maximiser son taux de production d’entropie. Il crée des structures dissipatives capables de produire de l’énergie libre et de dissiper cette énergie de plus en plus efficacement »17 ; « Plus vite les organismes dissipent de l’énergie, plus vite ils modifient leur environnement et plus vite ils doivent se réadapter. Il y a là ce qu’on appelle en cybernétique une rétroaction positive. Cette rétroaction a pour effet d’accélérer l’évolution, de sorte que tout va de plus en plus vite »18. Ces citations trouvent leur prolongement dans la loi de production maximale d’entropie (loi MEP - Maximal Entropy Production, également abrégée MaxEP dans certains ouvrages scientifiques) énoncée par R. Dewar, loi qui s’exprime comme suit : « Les structures dissipatives (cf. para. 1.6 ci-dessus) maximisent leur production d’énergie libre de façon à maximiser le flux d’énergie qui les traverse. Cela a pour conséquence de maximiser la vitesse avec laquelle l’énergie se dissipe. On dit que les structures dissipatives maximisent le taux de production d’entropie »19. Explications de détail : d’une part, l’énergie libre est une forme d’énergie intégralement convertible en travail mécanique, qui se dissipera sous forme de chaleur (laquelle est considérée comme une forme dégradée d’énergie) (cf. para. 1.2) ; d’autre part, les expressions « dissipation d’énergie » et « production d’entropie » sont équivalentes (dans la mesure où une dissipation d’énergie consiste à transformer celle-ci en chaleur).

Nous nous référons en particulier à l’ouvrage « Thermodynamique de l’évolution » de F. Roddier (auteur de trois dernières citations mentionnées ci-dessus) qui a notamment mis en évidence, avec la plus grande pertinence, un certain nombre d’implication de la loi MEP, dont la suivante : « on constate qu’un écosystème s’auto-organise de façon à constamment maximiser son taux de dissipation d’énergie. On s’attend à ce que ce processus s’applique aux sociétés humaines. (On peut) dire qu’une société humaine s’auto-organise pour maximiser la vitesse avec laquelle elle dissipe de l’énergie »20. (p.16). De fait, ainsi que nous le montrerons au para. 1.4.2.2, les sociétés humaines sont des formes d’écosystèmes (lesquels sont des structures auto-organisées).

17 RODDIER, F. - Thermodynamique de l’évolution, un essai de thermo-bio-sociologie. - Artignosc-sur-Verdon : Editions Parole, 2012, p.50

18

Ibid. p.56

19Ibid. p. 32-33

45 Le processus qui s’applique aux sociétés s’applique également aux individus eux-mêmes, en tant qu’élément constitutifs desdites sociétés et surtout en tant que structures dissipatives, dès lors que celles-ci maximisent toutes, comme nous venons de le souligner plus haut, leur taux de production d’entropie.

Pour assurer la maximisation de leur dissipation d’énergie (qui équivaut, comme nous l’avons indiqué, à une maximisation de production d’entropie), il faut que les sociétés humaines soient composées d’éléments (les individus) eux-mêmes majoritairement grands dissipateurs d’énergie (et sélectionnés en ce sens au gré de l’évolution naturelle, cf. paragraphe 1.3). Et tel est le cas puisque les hommes doivent constamment évacuer de l’entropie (dans leur environnement) pour demeurer durablement éloignés de l’état d’équilibre. On ajoutera que les hommes sont eux-mêmes, à leur manière, des petits écosystèmes individuels.

Comme nous l’avons déjà souligné, l’information est un facteur de diminution d’entropie. La théorie physique indiquant que toute diminution d’entropie d’un système accroît la capacité de ce dernier à produire de l’énergie libre, la mémorisation d’information crée des conditions de néguentropie favorables à une production d’énergie libre (production aboutissant à dissiper toujours plus d’énergie). Mais dès que l’entropie va augmenter, il y aura perte d’énergie libre. Dès lors, une partie de cette énergie ne pourra plus être convertie en énergie mécanique : on dira d’elle qu’elle a été dissipée (à noter que, selon la théorie physique, une exportation d’entropie correspond à une importation d’information). Le schéma de ce processus thermodynamique est le suivant :

46 Ce schéma, qui montre, paradoxalement, une diminution d’entropie suivie d’une nouvelle production d’entropie, tient au fait que les structures dissipatives réduisent leur propre entropie (création de néguentropie par apport d’information) de manière à accroître l’entropie de leur environnement. De fait, l’auto-organisation d’une structure dissipative permet de réduire son entropie ; ce processus a aboutit à augmenter d’autant l’entropie externe à la structure. En d’autres termes, la diminution de l’entropie en prise sur un individu lui permet de dissiper plus efficacement l’énergie. Il est important de souligner que, d’une manière récursive, l’ordre naît de la dégradation de l’énergie, de sorte que celle-ci favorise l’organisation (ou plutôt la réorganisation - cf. para. 1.2.4 et 1.2.7) de la structure dissipative. E. Angelier confirme ce constat lorsqu’il note que « le niveau d’organisation le plus élevé, celui des écosystèmes, est un vaste turnover, une vaste rotation, de naissances, vies et morts qui se détruisent pour créer »21.

Le processus développé dans graphique ci-avant joue un rôle primordial dans les hypothèses qui seront développées dans cette thèse. En particulier, nous soulignerons que le comportement de l’homme, si l’on considère l’incidence qu’ont sur lui par les lois de la thermodynamique et la loi MEP, le guide fondamentalement à maximiser sa dissipation d’énergie ; il le fait continuellement via une quête constante de néguentropie avec l’appoint des informations qu’ils tire de son environnement. Nous inclinons à penser que cette maximisation joue un rôle fondamental dans l’existence des individus, et dans la conduite de leurs actes (et réflexions). Nous développerons cette affirmation plus en profondeur dans la partie B. Nous verrons également que la capacité à maximiser de la dissipation d’énergie constitue le critère essentiel sur lequel repose la sélection naturelle.

Il apparaît clairement que la loi MEP de maximisation de production d’entropie se conçoit dans le même ordre de constat que celui énoncé plus haut et notamment dans le paragraphe précédent « Néguentropie et structures dissipatives », à savoir que la diminution d’entropie interne de tout système s’accompagne d’un accroissement d’entropie dans un système plus large, à savoir l’ensemble constitué par le système observé et son environnement.

Selon F. Roddier, qui a largement influencé notre approche, cette loi MEP est, à plus d’un titre, conforme à l’expérience. De plus, elle s’inscrit dans une logique générale

47 homogène dont témoigne notamment le vaste ensemble d’exemples d’application produits dans le présent ouvrage. Etant entendu que l’entropie croît en permanence dans notre univers, cette croissance suppose celle de la dissipation d’énergie (c’est-à-dire la production d’entropie) issue de l’ensemble des structures dissipatives qui composent une part essentielle de cet univers.

- Le second principe de la thermodynamique se donne comme une loi d’évolution définissant une « flèche » du temps. Le plein sens de cette loi est que l’entropie de l’univers augmente irréversiblement à mesure que s’écoule le temps. Si l’univers est considéré comme un système thermodynamique, il y a une dégradation de l’énergie libre et transformation en énergie liée ou « irrécupérable » (Forsé, M.)22

- Un processus social peut s’analyser par référence à une tendance qui consiste en une maximisation de l’entropie. (Forcé, M.)23

- En important de l’information de son environnement, (l’homme) améliore constamment ses connaissances. Ce faisant, il diminue son entropie interne pour dissiper de l’énergie toujours plus efficacement. (Roddier, F)24(voir définitions de l’information au para.1.2.5) - L’entropie du système est une mesure de la méconnaissance du système (Roddier, F.)25 - La vie est un processus physico-chimique de dissipation d’énergie (Roddier, F.)26