La propri´et´e essentielle d’un mat´eriau magn´etique dur est de pr´esenter une
grande r´esistance au renversement de son aimantation sous l’effet d’un champ
magn´etique. Cette r´esistance est d’autant plus importante que la substance de
base constituant ce mat´eriau pr´esente une forte coercivit´e. Cette derni`ere est par
d´efinition la barri`ere d’´energie qui s’oppose au retournement collectif des moments
magn´etiques lorsque l’orientation de ces derniers est perpendiculaire `a la direction
de facile aimantation (axe difficile) et repr´esente en ce sens l’´energie n´ecessaire `a
communiquer `a ces moments (´energie Zeeman) pour qu’ils puissent franchir cette
barri`ere. En d’autres termes elle repr´esente la valeur minimale du champ qu’il faut
appliquer sur le mat´eriau pour provoquer le retournement de son aimantation. Le
mod`ele le plus simple pour d´ecrire ce retournement est le mod`ele de retournement
uniforme50propos´e par N´eel [209–211] et d´evelopp´e par Stoner et Wohlfarth [212].
L’objectif de ce paragraphe est de pr´esenter sommairement ce mod`ele et de d´ecrire
les grandes lignes du mod`ele micromagn´etique de la coercivit´e, qui a ´et´e l’objet
des th`eses de Philippe Tenaud, Thierry Viadieu et St´ephane David [213–215].
I.B.2.a Mod`ele de Stoner-Wohlfarth
Le comportement de l’aimantation sous l’action d’un champ magn´etique peut
ˆetre ´etudi´e en consid´erant un monocristal uniaxe monodomaine de forme
ellipso¨ı-dale, sur lequel on vient appliquer un champ magn´etique ext´erieur (Fig.I.18). En
consid´erant que le grand axe de cet ellipso¨ıde co¨ıncide avec l’axe c de facile
aiman-tation, `a l’´equilibre du syst`eme seuls deux types d’´energies sont mis en jeu, `a savoir
l’´energie d’anisotropie qui prend en compte l’anisotropie magn´etocristalline et
l’ani-sotropie de forme, et l’´energie Zeeman. En notant Θ et Φ les angles que font
respec-tivement l’aimantation spontan´ee et le champ magn´etique ext´erieur avec l’axe cet
Kla constante d’anisotropie donn´ee parK=K2+Kf=K2+12µ0M
S2(Nb−Na)avec
K2 la constante d’anisotropie intrins`eque (au second ordre) et Kf la constante
50. Il existe deux autres modes de retournement connus qui, `a la diff´erence du
retour-nement uniforme o`u les moments magn´etiques tournent de mani`ere coh´erente, sont
non-uniformes il s’agit du ‘buckling’ (ou flambage) o`u l’aimantation subit une variation
sinuso¨ı-dale de son amplitude autour d’un axe et le ‘curling’ o`u l’aimantation subit un enroulement
suivant un plan de base lors du retournement [208]. Pour une configuration donn´ee, un
mode de retournement sera privil´egi´e si son coˆut ´energ´etique est le moins ´elev´e.
d’anisotropie de forme avec Ni d´esignant le coefficient de champ d´emagn´etisant
suivant la direction i(resp. ⊥etk `a l’axe c), l’´energie totale est donn´ee par :
E=Ksin2(Θ)−µ0M
SH
appcos (Φ−Θ) (I.23)
Figure I.18 – Illustration d’un monocristal uniaxe monodomaine en forme d’ellipso¨ıde
et d´efinitions des angles Θ et Φ : les angles que font respectivement l’aimantation et le
champ appliqu´e avec l’axe c de facile aimantation.
−pi −pi/2 0 pi/2 pi
−2 −1 0 1 2 −π≤θ≤π e( θ ) Φ = 0
−pi −pi/2 0 pi/2 pi
−1 0 1 2 3 −π≤θ≤π e( θ ) Φ =π/2
−pi −pi/2 0 pi/2 pi
−2 −1 0 1 2 −π≤θ≤π e( θ ) Φ = π
−pi −pi/2 0 pi/2 pi
−1 0 1 2 −π≤θ≤π e( θ ) Φ = 5π/6 h = 0 h = 0.5 h = 1 (a) (b) (c) (d) -3 -2 -1 0 1 2 3 0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 -1 0 1 2 3 E / K h = µ0 M S H / 2 K [ r a d] = 98.71° (e)
Figure I.19 –(a,b,c,d) ´Evolutions de l’´energiee=E/K en fonction de l’angle Θ entre
l’axe cde facile aimantation et la direction de l’aimantation spontan´eeMspour diff´erentes
valeurs de champsh=µ0MsH/2Ksuivant diff´erentes directions de l’angle Φ entrel’axe c
et la direction du champ appliqu´eH. (e) Repr´esentation en 3D et lignes de niveau.
Comme on peut s’en rendre compte sur la repr´esentation donn´ee sur la figure
I.18, l’aimantation spontan´ee est tiraill´ee entre le couple qu’exerce sur lui le champ
magn´etique ext´erieur pour le ramener dans son orientation et le couple que lui
oppose un champ fictif cr´e´e par l’anisotropie qui veut le ramener suivant la direction
de l’axe facile (c’est pr´ecis´ement ce que traduit l’´equation I.23). Ce champ fictif
est le champ d’anisotropie, il est donn´e par HA= 2K/µ0M
Set correspond `a la
valeur du champ n´ecessaire, en pr´esence d’anisotropie, pour faire basculer tous les
moments dans la direction de l’axe de difficile aimantation (Φ =π/2). Si le champ
ext´erieur est appliqu´e suivant la direction de l’axe de facile aimantation, alors il agit
de concert avec HA et le syst`eme reste dans son ´etat d’´equilibre, comme on peut
le voir sur la repr´esentation graphique des ´evolutions de l’´energie pr´esent´ees sur la
figure I.19(a) (cas o`u Φ = 0). Pour toutes autres orientations de ce champ, l’´etat
d’´equilibre de d´epart devient m´etastable et l’augmentation du champ entraine une
diminution progressive de la barri`ere d’´energie comprise entre le minimum et le
maximum local pour mettre l’aimantation dans la nouvelle orientation du champ
(minimum absolu). Le retournement survient lorsque la diff´erence entre ces deux
extr´emums est nulle et correspond `a un champ critique qui est fonction de l’angle
d’application du champ ext´erieur. Un calcul simple51 permet de montrer que ce
champ critique est donn´e par :
hcrit(Φ) = Hcrit(Φ)
HA =
1
h
sin
23(Φ) + cos
23(Φ)i
3 2(I.24)
La figureI.20donne une illustration de la d´ependance de la composante de
l’aiman-tation suivant la direction du champ appliqu´e, en fonction de la variable r´eduite h
pour diff´erentes orientations Φdu monocristal. On peut voir que le couple exerc´e
par le champ appliqu´e sur la rotation des moments magn´etiques lors du
renverse-ment est d’autant plus important que l’orientation de ce champ, par rapport au
monocristal, s’approche de 90°.
Ce mod`ele [212] bas´e sur le mode de retournement collectif uniforme, mis en
´evi-dence pour la premi`ere fois par Wolfgang Wernsdorfer [216,217] sur une particule
unique nanocristallis´ee de Co (gra¸ce `a l’utilisation d’unµ-SQuiD), est cependant
assez loin de la r´ealit´e physique des processus mis en œuvre lors du renversement
de l’aimantation dans les mat´eriaux ferromagn´etiques r´eels, car le champ critique
d´ecrit pr´ec´edemment n’est pas le champ coercitif. Cela a constitu´e le paradoxe de
Brown. Ce dernier a postul´e qu’il n’est th´eoriquement pas possible de retourner
l’aimantation d’un syst`eme ferromagn´etique avec un champ ext´erieur inf´erieur `a
HA52[218]. En r´ealit´e, le renversement de l’aimantation n’est pas r´egi par un mode
de retournement unique mais plutˆot par une succession de processus extrins`eques53
51. Le champ critique et l’angle critique (Θ
crit= artanhtan
13(Φ)i) de retournement
sont d´etermin´es en utilisant les r´esultats des deux d´eriv´ees successives de l’expression de
l’´energie donn´ee par l’´equation I.23— ∂E/∂θ= 0 pour trouver la position d’´equilibre et
∂2E/∂θ2= 0 pour trouver l’annulation de la barri`ere d’´energie.
52. En effet, on peut s’en rendre compte au niveau de l’´equation I.24o`u Hcrit = HA
pour une configuration antiparall`ele. Alors que pour le FePt HA est de 11.6 Teslas et les
champs coercitifs mesur´es sont de l’ordre de 10% de cette valeur (voir paragrapheI.D.1).
53. Les plus importants de ces processus sont essentiellement de deux types et sont le
ph´enom`ene de nucl´eation-propagation et celui du pi´egeage-d´epi´egeage [147].
-2 -1 0 1 2 -1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 / S = c o s ( ) h= 0 S /
Figure I.20 – Illustration de la d´ependance de la projection de l’aimantation suivant
la direction du champ en fonction de h=µ0MsH/2K pour diff´erentes orientations Φ du
monocristal par rapport au champ appliqu´eH.
non collectifs qui peuvent provoquer un retournement pr´ecoce de l’aimantation en
pr´esence d’un champ magn´etique ext´erieur. Si bien que la description de la
coerci-vit´e passe par la prise en compte de ces processus dont l’origine est li´e `a la pr´esence
de d´efauts au sein de l’´echantillon.
I.B.2.b Mod`ele Micromagn´etique de la coercivit´e
Parmi les mod`eles ph´enom´enologiques propos´es pour cette description du champ
coercitif, lemod`ele micromagn´etique est le plus simple [219–221]. Pour comprendre
ce mod`ele, il nous faut connaitre les cons´equences d’un mode de retournement non
uniforme. Au cours de ce dernier, du fait de la non conservation du parall´elisme
entre les moments, un terme d’´echange s’ajoute `a l’´energie d’anisotropie qui reste
inchang´ee quel que soit le mode de renversement [147]. Le mod`ele
micromagn´e-tique permet de prendre en compte cette ´energie suppl´ementaire ainsi que l’effet
de la pr´esence des d´efauts lors du renversement de l’aimantation. Sa formulation
math´ematique est donn´ee par :
µ
0H
C=α
Mµ
0HA−µ
0N
ef fM
S(I.25)
o`u α
Mest un param`etre ph´enom´enologique qui traduit la r´eduction du champ
d’anisotropie (α
M< 1) et N
ef fM
Spermet la prise en compte des interactions
dipolaires. La d´etermination des param`etres α
Met Nef f s’effectue en analysant
H
C/M
S=f(H
A/M
S)— qui doit ˆetre une droite affine —, en ´etudiant les variations
thermiques de la coercivit´e, de l’anisotropie ainsi que de l’aimantation spontan´ee.
Cette ´etude a ´et´e r´ealis´ee sur l’´echantillon Fe47.7Pt52.3 pr´esent´e pr´ec´edemment et
les r´esultats sont pr´esent´es sur la figureI.21(voir §I.D.1).
Il existe un autre mod`ele ditmod`ele global [213,222], o`u la barri`ere d’´energie
n’est pas associ´ee `a l’´energie d’anisotropie (comme c’est le cas pr´ec´edemment) mais
7,0 7,5 8,0 8,5 9,0 0,5 0,6 0,7 c / s A / S Fe 47.7 Pt 52.3 ann. 400°C/60mn at diff. T meas. = 0,1; eff = 0,16259 (µ 0 H c = *µ 0 H A - µ 0 eff *M S )
Figure I.21 – Mod`ele micromagn´etique de la coercivit´e appliqu´e `a l’´echantillon
Fe47.7Pt52.3 apr`es un traitement `a 400°C/60min pour diff´erentes temp´eratures de mesure
`
a l’´energie des parois de domaines. Sa formulation est donn´ee par :
µ
0H
C=α
Nµ
0γ
ννa1/3M
S− µ
0N
ef fM
S+µ
0H
f(I.26)
o`u νa repr´esente le volume d’activation o`u s’initie le renversement de
l’aiman-tation54, µ
0H
fest le champ de fluctuation55. Ce terme, qui est n´eglig´e dans
le mod`ele micromagn´etique, permet de prendre en compte le franchissement de
la barri`ere d’´energie par activation thermique (d’o`u une correction de HC par
Hf
C
=H
C+H
f), γ
νest l’´energie des parois de domaines. En supposant que seule
intervient la constante d’anisotropie au second ordre K
ν, cette ´energie s’exprime
par γ
ν= 4 (A
νK
ν)1/2 = 4πA
ν/δ
νavec A
νla constante d’´echange et δ
νl’´epaisseur
de paroi. La seule difficult´e de la mise en pratique de ce mod`ele est l’acc`es `a la
constante d’´echange exp´erimentale. ´Etant donn´e la similitude de la formation du
volume d’activation avec celle des parois de domaines on peut ´ecrire que [223] :
γ
ν≃4πA
ν/νa1/3, si bien que l’´equation I.26devient :
µ
0H
Cf =α′
Nµ
0A
ννa2/3M
S−µ
0N
ef fM
S(I.27)
En prenant acte de la pr´esence in´evitable de ces d´efauts qui r´eduisent la
coerci-vit´e, beaucoup d’auteurs ont cherch´e des solutions pour augmenter cette derni`ere.
Parmi ces solutions l’ajout du Cu sur le syst`eme FePt a donn´e des r´esultats
par-ticuli`erement int´eressants.
54. Sa formulation peut ˆetre donn´ee par :νa= k
BT
µ
0S
νM
Saveck
B,S
νd´esignant
respecti-vement les constantes de Boltzmann et de viscosit´e magn´etique [223].
55. Il est donn´e parµ
0H
f= k
BT
µ
0M
Sln(t/τ) o`uτ est le temps pris par l’aimantation pour
se renverser (τ≃10
−11s) [223].
Dans le document
Matériaux magnétiques en couches. Etudes des systèmes FePt et FeRh
(Page 52-57)