D´efinition 1.20 Unenorme matricielleest une application · :Rm×n →R telle que :
1. A ≥0 ∀A∈Rm×n et A = 0 si et seulement si A = 0 ; 2. αA =|α| A ∀α∈R,∀A∈Rm×n (propri´et´e d’homog´en´eit´e) ; 3. A + B ≤ A + B ∀A,B∈Rm×n (in´egalit´e triangulaire).
Sauf mention explicite du contraire, nous emploierons le mˆeme symbole · pour d´esigner les normes matricielles et vectorielles.
Nous pouvons mieux caract´eriser les normes matricielles en introduisant les notions de norme compatible et de norme subordonn´ee `a une norme vectorielle.
D´efinition 1.21 On dit qu’une norme matricielle · est compatible ou consistanteavec une norme vectorielle · si
Ax ≤ A x , ∀x∈Rn. (1.17) Plus g´en´eralement, on dit que trois normes, toutes not´ees · et respectivement d´efinies sur Rm, Rn et Rm×n, sont consistantes si ∀x ∈ Rn, ∀y ∈ Rm et A∈Rm×n tels que Ax=y, on a y ≤ A x . Pour qu’une norme matricielle soit int´eressante dans la pratique, on demande g´en´eralement qu’elle poss`ede la propri´et´e suivante :
D´efinition 1.22 On dit qu’une norme matricielle · estsous-multiplicative si∀A∈Rn×m,∀B∈Rm×q
AB ≤ A B . (1.18)
Cette propri´et´e n’est pas satisfaite par toutes les normes matricielles. Par exemple (cit´e dans [GL89]), la norme A ∆ = max|aij| pour i = 1, . . . , n, j= 1, . . . , mne satisfait pas (1.18) si on l’applique aux matrices
A = B = 1 1
1 1
, puisque 2 = AB ∆> A ∆ B ∆= 1.
Remarquer qu’il existe toujours une norme vectorielle avec laquelle une norme matricielle sous-multiplicative donn´ee · αest consistante. Par exemple, ´etant donn´e un vecteur fix´e quelconquey=0dansCn, il suffit de d´efinir la norme vectorielle par :
x = xy∗ α ∀x∈Cn.
Ainsi, dans le cas d’une norme matricielle sous-multiplicative, il n’est pas n´ecessaire de pr´eciser explicitement la norme vectorielle avec laquelle la norme matricielle est consistante.
est une norme matricielle appel´eenorme de Frobenius(ounorme euclidiennedans Cn2) et elle est compatible avec la norme vectorielle euclidienne · 2. En effet,
Ax22=
Afin de pouvoir d´efinir la notion de norme naturelle, nous rappelons le th´ eo-r`eme suivant :
Th´eor`eme 1.1 Soit · une norme vectorielle. La fonction
A = sup
x=0
Ax
x (1.20)
est une norme matricielle. On l’appelle norme matriciellesubordonn´eeou as-soci´ee `a la norme vectorielle · . On l’appelle aussi parfois norme matricielle naturelle, ou encore norme matricielleinduitepar la norme vectorielle · . D´emonstration.Commen¸cons par remarquer que (1.20) est ´equivalente `a
A= sup
Cela ´etant, v´erifions que (1.20) (ou de fa¸con ´equivalente (1.21)) est effectivement une norme, en utilisant directement la D´efinition 1.20.
1. SiAx ≥0, alorsA= sup
x=1Ax ≥0. De plus A= sup
x=0
Ax
x = 0⇔ Ax= 0∀x=0,
et Ax=0∀x=0si et seulement si A=0. DoncA= 0 si et seulement si A=0.
2. Soit un scalaireα, αA= sup
x=1αAx=|α| sup
x=1Ax=|α| A.
3. V´erifions enfin l’in´egalit´e triangulaire. Par d´efinition du supr´emum, six=0 alors
Ax
x ≤ A, ⇒ Ax ≤ Ax, ainsi, en prenantx de norme 1, on obtient
(A + B)x ≤ Ax+Bx ≤ A+B, d’o`u on d´eduitA + B= sup
x=1(A + B)x ≤ A+B. 3
Des exemples remarquables de normes matricielles subordonn´ees sont fournis par les p-normes:
A p= sup
x=0
Ax p x p .
La 1-norme et la norme infinie se calculent facilement : A 1= max
j=1,...,n
m i=1
|aij|, A ∞= max
i=1,...,m
n j=1
|aij|,
et sont parfois appel´ees, pour des raisons ´evidentes,norme somme des colonnes et norme somme des lignesrespectivement.
On a de plus A 1= AT ∞et, si A est autoadjointe ou sym´etrique r´eelle, A 1= A ∞.
La 2-norme ou norme spectrale m´erite une discussion particuli`ere. Nous avons le th´eor`eme suivant :
Th´eor`eme 1.2 Soit σ1(A)la plus grande valeur singuli`ere deA. Alors A 2=
ρ(A∗A) =
ρ(AA∗) =σ1(A). (1.22) En particulier, si Aest hermitienne (ou sym´etrique r´eelle), alors
A 2=ρ(A), (1.23)
tandis que si A est unitaire alors A 2= 1.
D´emonstration.Puisque A∗A est hermitienne, il existe une matrice unitaire U telle que
U∗A∗AU = diag(µ1, . . . , µn),
o`u lesµisont les valeurs propres (positives) de A∗A. Soity= U∗x, alors
A2 = sup
x=0
(A∗Ax,x) (x,x) = sup
y=0
(U∗A∗AUy,y) (y,y)
= sup
y=0
n
i=1
µi|yi|2/ n i=1
|yi|2= max
i=1,n|µi|,
d’o`u on d´eduit (1.22), grˆace `a (1.11).
Si A est hermitienne, les mˆemes consid´erations s’appliquent directement `a A.
Enfin, si A est unitaire
Ax22= (Ax,Ax) = (x,A∗Ax) =x22
et donc A2= 1. 3
Le calcul de A 2 est donc beaucoup plus coˆuteux que celui de A ∞ ou A 1. N´eanmoins, quand on a seulement besoin d’une estimation de A 2, les relations suivantes peuvent ˆetre employ´ees dans le cas des matrices carr´ees
maxi,j |aij| ≤ A 2≤nmax
i,j |aij|,
√1n A ∞≤ A 2≤√
n A ∞,
√1n A 1≤ A 2≤√ n A 1, A 2≤
A 1 A ∞.
(1.24)
De plus, si A est normale alors A 2≤ A p pour toutnet toutp≥2.
Nous renvoyons `a l’Exercice 17 pour d’autres estimations du mˆeme genre.
Th´eor`eme 1.3 Soit ||| · |||une norme matricielle subordonn´ee `a une norme vectorielle · . Alors :
1. Ax ≤ |||A||| x ,i.e.||| · |||est une norme compatible avec · ; 2. |||I|||= 1;
3. |||AB||| ≤ |||A||| |||B|||,i.e.||| · |||est sous-multiplicative.
D´emonstration.Le premier point du th´eor`eme est contenu dans la d´emonstration du Th´eor`eme 1.1, tandis que le second d´ecoule de|||I||| = sup
x=0Ix/x = 1. Le
troisi`eme point est facile `a v´erifier. 3
Noter que les p-normes sont sous-multiplicatives. De plus, remarquer que la propri´et´e de sous-multiplicativit´e permet seulement de conclure que|||I||| ≥1.
En effet, |||I|||=|||I·I||| ≤ |||I|||2.
1.11.1 Relation entre normes et rayon spectral d’une matrice Rappelons `a pr´esent quelques r´esultats, tr`es utilis´es au Chapitre 4, concernant les liens entre rayon spectral et normes matricielles.
Th´eor`eme 1.4 Si · est une norme matricielle consistante alors ρ(A)≤ A ∀A∈Cn×n.
D´emonstration.Si λest une valeur propre de A alors il existe v =0, vecteur propre de A, tel que Av=λv. Ainsi, puisque · est consistante,
|λ| v=λv=Av ≤ A v
et donc |λ| ≤ A. Cette in´egalit´e ´etant vraie pour toute valeur propre de A, elle est en particulier quand|λ|est ´egal au rayon spectral. 3 Plus pr´ecis´ement, on a la propri´et´e suivante (pour la d´emonstration voir [IK66], p. 12, Th´eor`eme 3) :
Propri´et´e 1.12 Soit A ∈ Cn×n et ε > 0. Il existe une norme matricielle consistante · A,ε (d´ependant de ε) telle que
A A,ε≤ρ(A) +ε.
Ainsi, pour une tol´erance fix´ee aussi petite que voulue, il existe toujours une norme matricielle telle que la norme de A soit arbitrairement proche du rayon spectral de A, c’est-`a-dire
ρ(A) = inf
· A , (1.25)
l’infimum ´etant pris sur l’ensemble de toutes les normes consistantes.
Insistons sur le fait que le rayon spectral n’est pas une norme mais une semi-norme sous-multiplicative. En effet, il n’y a pas en g´en´eral ´equivalence entre ρ(A) = 0 et A = 0 (par exemple, toute matrice triangulaire dont les termes diagonaux sont nuls a un rayon spectral ´egal `a z´ero).
On a enfin la propri´et´e suivante :
Propri´et´e 1.13 Soit A une matrice carr´ee et · une norme consistante.
Alors
mlim→∞ Am 1/m=ρ(A).
1.11.2 Suites et s´eries de matrices On dit qu’une suite de matrices
A(k)
∈ Rn×n converge vers une matrice A∈Rn×nsi
lim
k→∞ A(k)−A = 0.
Le choix de la norme n’influence pas le r´esultat puisque, dansRn×n, toutes les normes sont ´equivalentes. En particulier, quand on ´etudie la convergence des m´ethodes it´eratives pour la r´esolution des syst`emes lin´eaires (voir Chapitre 4), on s’int´eresse aux matrices convergentes, c’est-`a-dire aux matrices telles que
lim
k→∞Ak= 0,
o`u 0 est la matrice nulle. On a le r´esultat suivant : Th´eor`eme 1.5 Soit A une matrice carr´ee, alors
lim
k→∞Ak = 0⇔ρ(A)<1. (1.26) De plus, la s´erie g´eom´etrique
∞ k=0
Ak est convergente si et seulement siρ(A)<
1, et, dans ce cas
∞ k=0
Ak= (I−A)−1. (1.27)
La matriceI−Aest alors inversible et on a les in´egalit´es suivantes 1
1 + A ≤ (I−A)−1 ≤ 1
1− A , (1.28)
o`u · est une norme matricielle subordonn´ee telle que A <1.
D´emonstration.Montrons (1.26). Soitρ(A)<1, alors∃ε >0 tel queρ(A)<1−ε et donc, d’apr`es la Propri´et´e 1.12, il existe une norme matricielle consistante · telle que A ≤ρ(A) +ε <1. Puisque Ak ≤ Ak < 1 et d’apr`es la d´efinition de la convergence, il s’en suit que quand k → ∞ la suite
Ak
tend vers z´ero.
Inversement, supposons que lim
k→∞Ak = 0 et soitλune valeur propre de A. Alors, si x(=0) est un vecteur propre associ´e `aλ, on a Akx =λkx, donc lim
k→∞λk = 0.
Par cons´equent |λ|<1 et, puisque c’est vrai pour une valeur propre arbitraire, on obtient bien l’in´egalit´e voulue ρ(A) < 1. La relation (1.27) peut ˆetre obtenue en remarquant tout d’abord que les valeurs propres de I−A sont donn´ees par 1−λ(A), λ(A) d´esignant une valeur propre quelconque de A. D’autre part, puisqueρ(A)<1, la matrice I−A est inversible. Alors, en utilisant l’identit´e
(I−A)(I + A +. . .+ An) = (I−An+1)
et en passant `a la limite quandntend vers l’infini, on en d´eduit la propri´et´e voulue puisque
(I−A) ∞ k=0
Ak= I.
Enfin, d’apr`es le Th´eor`eme 1.3, on a l’´egalit´eI= 1, d’o`u
1 =I ≤ I−A (I−A)−1 ≤(1 +A)(I−A)−1,
ce qui donne la premi`ere in´egalit´e de (1.28). Pour la seconde, en remarquant que I = I−A + A et en multipliant `a droite les deux membres par (I−A)−1, on a (I−A)−1= I + A(I−A)−1. En prenant les normes, on obtient
(I−A)−1 ≤1 +A (I−A)−1,
d’o`u on d´eduit la seconde in´egalit´e, puisqueA<1. 3 Remarque 1.1 L’hypoth`ese qu’il existe une norme matricielle subordonn´ee telle que A <1 est justifi´ee par la Propri´et´e 1.12, en rappelant que A est
convergente et que donc ρ(A)<1.
Remarquer que (1.27) sugg`ere qu’un algorithme pour approcher l’inverse d’une matrice peut consister `a tronquer la s´erie
∞ k=0
(I−A)k.