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La norme en francophonie : norme exogène ou norme endogène ?

La norme linguistique

5. La norme en francophonie : norme exogène ou norme endogène ?

Dès que nous nous dirigeons vers d’autres régions où la langue française est pratiquée, et ce quel que soit le degré de son utilisation, nous nous apercevrons immédiatement que la question de la norme est clairement confrontée à celle de la variation. En d’autres termes, n’importe quelle personne ayant voyagé dans différentes régions francophones est capable de confirmer l’existence d’un usage particulier, et par conséquent, d’une norme particulière avec des traits particuliers. De ce fait, la conception d’une seule norme du français demeure loin d’être une réalité.

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Ibid. op. cité.P.222.

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Dans les pays où la langue française est étrangère ou seconde, les phénomènes de la variation peuvent être associés dans certains cas au processus d’apprentissage, c’est-à-dire, à la non-maîtrise de la langue par certains locuteurs. Par contre, lorsque ces mêmes phénomènes sont reproduits et constatés dans des régions où la langue française occupe le statut de langue maternelle, cela pourrait bien nous mener à déduire que le processus d’apprentissage n’a pas d’impact sur la langue, mais il s’agit plutôt d’une caractéristique naturelle de celle-ci. C’est à partir de ce principe que le concept de « norme endogène » devient inévitable.

La norme endogène « désigne la représentation consciente de l’usage courant admis par l’ensemble des locuteurs comme ordinaire et neutre ; norme faisant référence au bon usage (celui qui est dit et perçu comme tel), productions linguistiques des groupes prestigieux de la communauté linguistique, devenant modèle linguistique pour les membres de celle-ci, et endogène une production contingente déterminée par une situation sociolinguistique particulière »58.

Cette norme endogène n’accepte pas la notion de déviation, mais elle réclame son statut de variété comme le confirme ce passage de G. N. Corréard : « Aujourd’hui, les variétés du français hors de France, on l’a maintes fois souligné, ne peuvent plus être vues comme un ensemble de parlers plus ou moins déviants par rapport à un bon usage – censé être de France – codifié dans des grammaires et répertorié dans les dictionnaires, ou par rapport à un usage moins classique, mais qui resterait strictement hexagonal. […] nous concevons le français comme un ensemble d’usages qui possèdent un fonds de traits communs constituant dans la langue une zone de convergence ou de consensus, le “noyau dur” du français. À l’extérieur de

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cette zone centrale se situe la zone des divergences, où gravitent les traits de toutes sortes qui ne se trouvent pas dans tous les usages »59.

À cet effet, Manessy (1994) explique : « Les manifestations de la norme endogène doivent […] être recherchées non pas systématiquement dans des écarts grammaticaux qui peuvent ne relever que d’un apprentissage imparfait ou plus simplement des licences qu’autorise l’oralité, mais dans la manière de mettre en œuvre une langue dont la structure grammaticale demeure pour l’essentiel intacte et qui se trouve en quelque sorte transmuée (et non point pervertie) par l’émergence de schèmes cognitifs, de techniques d’expression, de modes d’énonciation qui ne sont pas ceux dont usent habituellement les francophones “occidentaux”. » 60

Hors de l’hexagone, les francophones ne s’identifient pas donc à la norme exogène, mais, ils se construisent de nouvelles normes, des normes endogènes considérées dans certains cas comme supérieures à la norme standard comme le témoigne ce passage :

« mais, dans le même temps qu’ils considèrent l’usage de France

(conçu au singulier) comme équivalant à la norme, les francophones de la périphérie associent aussi des valeurs négatives à cette variété normée, lorsqu’elle est pratiquée par un des leurs, qu’ils accusent, en Belgique, de “fransquillonner”, en Suisse de “raffiner”, au Québec de “parler pointu” ou de “parler avec la gueule en cul de poule”, au Sénégal de “faire le malin” d’être un “doseur” ou une “ciip-ciip”, de renier leurs racines »61.

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FRANCARD Michel, LATIN Danièle, 1995, Le régionalisme lexical, Belgique, Duclot, P. 82. 60

(Manessy, 1994 : 225).in http://www.sociolinguistique.fr/cours-4-3.html, consulté le 15/04/2016. 61

BULOT Thierry, BLANCHET Philippe, 2013, Une introduction à la sociolinguistique (pour

l’étude des dynamiques de la langue française dans le monde), Paris, Editions des archives

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Au Québec, on considère comme norme ou langue standard, la langue diffusée par l’Office Québécois de la Langue Française. À cet effet, GUY RONDEAU se prononce :

« La norme linguistique québécoise doit se démarquer par rapport à celle de la France »62.

En Algérie, étant un pays où la langue française est largement pratiquée, s’est érigée une norme algérienne du français. Cette variété est caractérisée principalement par l’emprunt (à l’arabe dialectal, à l’arabe standard et au berbère) et par la néologie dans tous ses aspects. Plusieurs chercheurs algériens ont pris en charge dans leurs travaux cette question de la norme endogène algérienne à l’instar de D. Morsly, KH. T. Ibrahimi, Y. Cherrad, Y. Derradji et bien d’autres.

À propos de la norme endogène algérienne Y. Derradji souligne : « Ainsi, dans le français endogène algérien les mots arabes

n’apportent aucune “couleur d’exotisme” pour reprendre une expression de S. Lafage (1985 : 485), mais contribuent à donner, comme le souligne D. Morsly (1996 : 50-51), à la langue française un aspect “national” et “algérien”, “un refus de la réduire à une langue étrangère”. Par le recours à l’emprunt à l’arabe le locuteur algérien colonise à son tour la langue française.

Si la cohabitation du français avec l’arabe demeure par le jeu politicien chargée d’une symbolique où le français est à la fois la langue de la modernité, mais aussi du colonisateur et l’arabe la langue du Coran, mais aussi du sous-développement, l’emprunt du français à l’arabe tel qu’il est pratiqué contribue à donner au français une dimension algérienne qui tire sa substance de la réalité quotidienne et à dessiner les contours d’une pratique langagière basée surtout sur l’alternance codique et le code-switching arabe dialectal / langue française »63.

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http://www.cslf.gouv.qc.ca/bibliotheque-virtuelle/publication-html, consulté le12/04/2010. 63

DERRADJI Yacine, « Le français en Algérie, langue emprunteuse et empruntée » in http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/13/derradji.html, consulté le 20 novembre 2015.

52 6. Conclusion :

Pour conclure, nous signalons qu’une équipe constituée de : Y. Cherrad-Benchefra, Y. Derradji, D. Smaali-Dekdouk, A. Queffélec, V. Debov, a pu publier en 2002 un inventaire contenant les particularités lexicales du français en usage en Algérie intitulé : « Le Français en Algérie ». Il s’agit du premier ouvrage en son genre pour l’Algérie, or, nous croyons que depuis 2002 beaucoup de nouveaux particularismes sont apparus et sont entrés en usage, ce qui demanderait, à notre avis, une actualisation de cet inventaire et éventuellement la publication d’une nouvelle version de ce dernier.

CHAPITRE 3