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La norme linguistique

2. La norme linguistique :

Les débats autour de la question de la norme linguistique et des différents types de la variation ne représentent nullement un phénomène nouveau. En effet, et depuis très longtemps, les « garde-fous » de la langue et plus particulièrement du « bon usage » ont toujours existé. Ils se sont donnés comme mission « la défense de la langue », se sont les adeptes du courant qu’on appelle aujourd’hui « les puristes », ces derniers cherchent la qualité ultime de la langue française. En effet, « le purisme ne regarde pas la langue comme un ensemble structuré, mais il égrène des listes de prescriptions. […] il prohibe, exclut, édicte. […] Les formes du purisme passent par le “génie de la langue” »30

.

Les puristes défendent la langue contre toute intrusion ou tentative de modification étant donné que les règles régissant la langue sont déjà prédéfinies et fixées définitivement. Ils prétendent que le seul ayant droit d’y toucher ne peut être autre que l’Académie française.

Cette institution de défense de la langue française est une institution officielle qui, avec ses quarante immortels, s’occupe de la norme et du bon usage. Les nouveaux mots et les nouvelles formes constatés, même en cas d’utilisation à large échelle, ne sont acceptés dans le « bon usage » qu’après leur apparition

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dans le dictionnaire de l’Académie dont les mises à jour ne sont pas très fréquentes. En effet, depuis sa création en 1635, on en est encore à la neuvième édition du dictionnaire. La mission principale de cette institution est donc la défense de la langue française, comme nous le constatons dans la citation suivante tirée de l’article 24 des statuts de l’Académie :

« La mission confiée à l’Académie est claire : “La principale fonction de l’Académie sera de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences.” (Article 24 des statuts.) »31

Pour M. Yagello (2003), « le purisme se signale par le thème des menaces qui pèsent sur la langue d’où la nécessité de sa défense »32

, des menaces qui viennent de tous les côtés, de l’intérieur comme de l’extérieur. De l’intérieur il faut la défendre contre « la masse des usagers vue comme trop grossière pour apprécier la qualité de l’outil qu’elle a en héritage : il faut défendre le français contre les Français »33.

En gros, la menace externe contre la langue française représente l’invasion de la langue anglaise, Françoise Gadet avance sur cette question :

« Les Français adhèrent ainsi à la représentation d’une langue unique, immuable et homogène, menacée de l’intérieur et de l’extérieur. Les métaphores des menaces perdurent depuis les vitupérations contre l’italien au XVIe siècle, sur les registres du patrimoine en péril, de la guerre, de la continuation ou du viol; et l’ennemi aujourd’hui est l’anglais, au profit duquel le français a perdu son statut international »34.

Le concept de la norme est un concept manifestement très polysémique qui doit être lié à l’ensemble des règles régissant le fonctionnement de la variété de la langue la plus acceptée, mais aussi la plus valorisée au sein de la

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http://www.academie-francaise.fr/linstitution/les-missions, consulté le 05/03/2014. 32

YAGUELLO Marina, 2003, Le Grand livre de la langue française, Paris, Le Seuil, P. 110. 33

GADET Françoise, 2003, La Variation sociale en français, Gap, Orphrys, P.20. 34

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communauté linguistique. Elle constitue « un ensemble de lois qui régissent l’usage de la langue en la contrôlant par des pratiques de correction et/ou de prescription et par conséquent d’acceptabilité ».35

Selon le domaine dans lequel nous sommes placés, différentes façons de percevoir le concept de la norme pourront être dégagées. Ainsi, dans la partie suivante, nous allons essayer d’aborder ce concept selon plusieurs domaines qui ont inscrit le point de la norme parmi leurs axes les plus importants :

2.1. En sociologie :

Les travaux d’Emile Durkheim, l’éminent sociologue et le fondateur de la sociologie moderne, représentent la base des études sociologiques au sujet de la norme. Il avance en évoquant ce concept :

« Se conduire moralement, c’est agir selon une norme,

déterminant la conduite à tenir dans le cas donné avant même que nous n’ayons été nécessités à prendre un parti. Le domaine moral, c’est le domaine du devoir, et le devoir, c’est une action prescrite. »36

Nous pouvons en dégager donc que les comportements sociaux sont prescrits par la norme en conformité aux règles communes définies par l’ensemble de la communauté. « Cette perspective ne perd pas de vue le fait que le sujet parle et agit en société et que sa volonté se trouve liée aux normes d’un groupe (cf. Goffman, Gumperz, etc. dans le champ de l’ethnométhodologie de la communication). Dans ce cas, la norme peut être considérée (a) en tant qu’accumulation des connaissances et des représentations institutionnelles ou

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REBOURCET Séverine, 2008, « Le français standard et la norme : l’histoire d’un “nationalisme linguistique et littéraire” à la française ». Communications, lettres et sciences du langage, vol. 2, no 1 (printemps), p. 107.

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“ordinaires” et (b) en tant que façons de faire et de se servir des ressources nécessaires à l’(inter) action sociale ».37

Ainsi, le concept de la norme peut être considéré au sein d’une société comme un élément garant et régulateur de la vie sociale à partir des valeurs communes, les individus sont confrontés à des règles qui se traduisent par des comportements réglementés et normatifs. « La tradition sociologique aborde donc la notion de norme sociale (notons que la sociologie parle plutôt de “normes” que de “norme”) selon deux principaux points de vue. La perspective macrosociale, prenant en compte l’ensemble d’une société, considère celle-ci comme un facteur de cohésion et d’organisation sociale qui s’impose à l’individu. L’étude microsociale, qui focalise sur l’individu, définit la norme comme un vecteur, un point de repère qui permet de guider le comportement des individus ».38

Toutefois, et malgré l’existence d’une norme régissant l’ensemble des comportements des membres d’une société, il s’avère que cette dernière a un caractère instable et en perpétuelle mutation. V. Pillon en concluant son ouvrage intitulé « norme et déviance », confirme :

« Les normes, communément admises et respectées par la

majorité des membres d’un groupe social, font converger les comportements individuels. Elles participent de l’ordre et de la stabilité de ce groupe. Cependant, le contrôle social d’un groupe sur lui-même n’est jamais complet et la déviance appartient à la catégorie des phénomènes qui remettent en cause l’homogénéité

des comportements sociaux ». 39

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DELGADO GUANTE Denise, 2012, « Normes linguistiques, normes didactiques et normes

pédagogiques dans l’enseignement des langues secondes et de scolarisation », La Clé des Langues,

P2. 38

DAVY Bigot, 2008, Le point sur la norme grammaticale du français québécois oral, thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal. P. 15.

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40 2.2. En linguistique :

Dans le dictionnaire de linguistique, Dubois et Al définissent la norme de la manière suivante :

« On appelle norme un système d’instructions définissant ce

qui doit être choisi parmi les usages d’une langue donnée si l’on veut se conformer à un certain idéal, esthétique ou socioculturel. La norme, qui implique l’existence d’usages prohibés, fournit son objet à la grammaire normative ou

grammaire au sens courant du terme. »40

Il s’agit ici, de l’ensemble des règles grammaticales régissant le fonctionnement de la langue, c’est à travers cette acception du concept que nous parlons du juste et du faux. Autrement dit, tout ce qui n’est pas conforme aux règles grammaticales est considéré comme faux et doit être par conséquent sanctionné et rejeté, par contre, tout ce qui se conforme aux règles grammaticales doit être d’abord reconnu comme appartenant à la langue puis, valorisé et considéré comme du « bon langage ».

2.3. En sociolinguistique :

Dans une communauté linguistique donnée, les différents locuteurs sont capables de distinguer facilement entre les différentes façons de parler appartenant à des locuteurs ayant des statuts sociaux divers. En d’autres mots, un locuteur donné au sein de sa communauté linguistique est capable de situer socialement son interlocuteur selon une hiérarchie assez fine. Ce même locuteur peut ne pas avoir la possibilité de décrire tous les traits linguistiques ayant servi de base pour son jugement.

William Labov dans son ouvrage intitulé Sociolinguistique écrit :

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DUBOIS Jean & Al., 2013, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Larousse, Paris.

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« Il serait faux de concevoir la communauté linguistique

comme un ensemble de locuteurs employant les mêmes formes. On la décrit mieux comme étant un groupe qui

partage les mêmes normes quant à la langue. »41

Il s’agit donc d’un jugement de valeur que les locuteurs partagent, certains usages reconnus par l’ensemble de la communauté comme la meilleure façon de s’exprimer. Ces derniers, valorisés, par conséquent, tout le reste des usages est à l’unanimité stigmatisé. Nous pouvons constater qu’il s’agit ici d’une intériorisation de la norme considérée comme indépendante de leur propre façon de parler.

En effet, cette divergence entre les différentes façons de parler, au sein de la même communauté (et parfois chez le même locuteur), ne peut être prise en compte que par la notion de la norme. C’est ainsi qu’on parlera de bon ou de mauvais langage, selon l’écart avec le langage de la classe supérieure, des bons auteurs ou des livres sacrés comme c’est le cas dans le monde arabe.

2.4. En didactique :

Selon que l’on enseigne la langue maternelle de l’apprenant ou bien une langue étrangère, la perception de la notion de norme est différente. Dans le premier cas, sauf dans certaines situations particulières (comme c’est le cas de l’Algérie) où la langue maternelle n’est pas une variété standardisée, l’apprenant devrait connaître et maîtriser naturellement les normes de sa langue. Quant à l’enseignement des langues étrangères, la question de la norme occupe une place assez importante.

D’un côté, l’espace didactique « constitue un lieu de diffusion par excellence de la forme privilégiée, du bon langage »42. De ce fait, à l’intérieur de la

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LABOV William, 1976, Sociolinguistique, Paris, Minuit, P. 288. 42

BENDIEB ABERKANE Mehdi, 2006, « L’utilisation des différents registres de langue dans

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classe de langue toute variété autre que la norme est dévalorisée et rejetée. « On stigmatise et on élimine tout ce qui est considéré comme “vulgaire”, “populaire” et même “familier” »43, il n’existe donc qu’une seule variété digne d’être enseignée c’est la langue standard (français de référence ou français international), cette dernière est caractérisée par : l’exactitude du vocabulaire, le véritable accent, la bonne prononciation, etc. Ainsi, les enseignants devraient enseigner un français conforme aux normes internationales (français standard) pour assurer l’apprentissage du « bon langage »44.

De l’autre côté, l’usage d’une seule norme par l’enseignant qui est le réalisateur des programmes didactiques recommandant, comme nous venons de l’indiquer plus haut, une seule norme à enseigner, n’est pas garanti. En d’autres termes, tout usage non normé de la part de l’enseignant ne sera pas sans conséquence, il aura forcément un impact direct sur le processus d’apprentissage des apprenants. Ceux qui sont encore en phase d’interlangue seront les apprenants les plus touchés. C’est pour cette raison que les enseignants des langues étrangères devraient être conscients de ces problèmes relatifs à la norme et à la variation. Leurs institutions devraient également prévoir des actions de sensibilisation et de préparation afin que les enseignants puissent maîtriser cette question. À cet effet, M. Stegu dans son article intitulé « Le français langue internationale : normes et implications

didactiques » avance :

« Il ne s’agit pas d’enseigner deux variétés différentes du

français, une variété “nationale” et une variété “internationale”, d’autant plus qu’il n’y a pas et n’y aura jamais de norme unique et (relativement) stable d’une

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BOYER H., 1996, Sociolinguistique territoire et objets, Lausanne, Delachaux et Niestlé S.A., P.12.

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BENDIEB ABERKANE Mehdi, 2006, « L’utilisation des différents registres de langue dans

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“langue internationale”. Les enseignants de français devraient se rendre compte de ce qu’ils préparent leurs

élèves partiellement aussi à des situations de

communication en lingua franca45, et il faudrait également sensibiliser les apprenants à ce genre spécifique d’interactions communicatives. On devrait leur montrer qu’il ne faut pas tout simplement communiquer d’une façon identique avec tous les interlocuteurs potentiels dans toutes les situations possibles, mais qu’il faut toujours s’adapter à des personnes et à des situations concrètes. Il s’agit là d’une approche très générale et également valable pour d’autres contextes, mais qui paraît particulièrement pertinente pour la typologie pratiquement illimitée de

situations de communication en lingua franca »46.