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La variation linguistique

5. Le particularisme régional :

Le cas du français utilisé en Algérie n’est pas différent de celui utilisé dans toute autre région francophone. Le locuteur algérien ne marque aucune hésitation à transgresser les règles du français de référence à tous les niveaux de la langue (lexical, grammatical, sémantique, etc.) que ce soit au niveau de l’oral ou de l’écrit.

Beaucoup de chercheurs algériens, notamment ceux qui se sont intéressés au français en usage en Algérie, ont confirmé l’existence d’une variété géographique (topolectale) propre à ce pays. Bien que cette variété régionale touche plusieurs aspects de la langue, le lexique reste l’aspect le plus important à étudier. En effet, plusieurs facteurs tels que le paysage linguistique du pays caractérisé par la présence de plusieurs langues ainsi que l’absence de pressions normatives ont favorisé le procédé de création lexicale chez le locuteur algérien à travers le recours à plusieurs procédés tels que l’emprunt ou la néologie.

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De manière générale, les variantes topolectales du lexique sont appelées « des particularités lexicales ». Le français d’Algérie comporte donc des différences qu’on ne peut pas négliger par rapport au français de référence, notamment sur le plan lexical. Il est évident que ces différences ne vont pas rendre impossible la communication entre un francophone algérien et un autre francophone, mais cela pourrait dans certains cas obliger le locuteur à apporter des explications et des éclaircissements. Le fait d’utiliser des lexies non reconnues par les dictionnaires de référence donne à la langue du locuteur un statut différent qu’on désigne communément par le terme « régionalisme ». Pour le cas de l’Algérie et en suivant le modèle de toutes les régions francophones, les lexies spécifiques sont désignées par le terme « algérianismes », ces derniers représentent en réalité une abstraction qui ne peut avoir de fondement que dans la comparaison avec d’autres variétés (y compris le français de référence), car le français d’Algérie est une langue cohérente et normalement formée. Pour le locuteur algérien, cette langue ne comporte aucun trait particulier.

Les particularités lexicales représentent l’un des facteurs principaux qui assurent la dynamique des langues. Malgré cela, les recherches effectuées dans ce domaine restent relativement moins nombreuses par rapport à d’autres recherches effectuées dans d’autres domaines, car ces particularités ne sont perçues généralement que comme des écarts négatifs par rapport à la norme comme le constate Daniel Badgioni :

« Si on a étudié méthodiquement le français commun, les

dialectes, les argots, on a négligé jusqu’à présent le français régional, sans doute pour la raison que les grammairiens nous ont habitués à n’y voir que des formations aberrantes, des

incorrections, des locutions vicieuses, fruit de l’ignorance. »82

82

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Tout chercheur s’intéressant aux variantes topolectales affronte inévitablement la question du classement de ces dernières. En effet, de nombreuses propositions de classement sont disponibles. Les auteurs de ces classements abordent la question selon plusieurs points de vue, mais aussi selon les aspects que chaque auteur cherche à mettre en exergue.

Pour cette recherche, nous adoptons le classement proposé par Claude Poirier83. Ce classement se fonde sur deux axes ; différentiel (horizontal) et historique (vertical). De notre part, nous avons effectué quelques modifications à la grille initiale afin de l’adapter au contexte algérien.

6. Classement des particularités lexicales : 6.1. Axe différentiel :

Particularité lexématique : le mot n’existe pas dans le français de référence.

Mot de forme simple.

Mot de forme complexe (ensemble de deux formes ou plus).

Particularité sémantique : le mot existe en français de référence, mais avec

un autre sens.

Particularité grammaticale : le mot existe en français de référence, mais

présente un comportement grammatical original quant aux points suivants : le genre et le nombre, la catégorie grammaticale, la construction.

Particularité phrasiologique : locution ou expression originale.

Particularité de statut : le mot existe dans le français de référence (même

forme même sens), mais n’occupe pas la même situation de fait qu’en français de référence, perce qu’il présente une particularité touchant : le registre d’emploi, le domaine d’emploi, la fréquence relative, la connotation.

83

73 6.2. Axe historique :

Archaïsme : emploi (lexème, sens, trait grammatical, locution ou expression,

ou statut) attesté dans l’histoire du français. Pour notre cas, les mots accompagnés de la marque « vieilli » dans les inventaires du français en Algérie sont classés parmi les archaïsmes.

Dialectalisme : emploi (lexème, sens, trait grammatical, locution ou

expression) attesté seulement dans les dialectes. Pour notre cas, interférences de l’arabe dialectal et du berbère.

Innovation : emploi dont l’origine immédiate est le français d’Algérie.

7. L’emprunt :

L’emprunt est un phénomène de contact des langues. La coexistence de deux langues ou de deux communautés linguistiques différentes favorise des échanges culturels et linguistiques et donne comme résultat des « emprunts réciproques »84. Le fait que toutes les langues du monde sont en situation de contact de langues est une évidence, cela nous permettra de confirmer qu’aucune langue ne peut échapper au phénomène de l’emprunt.

Ce phénomène ne doit pas être jugé négativement, bien au contraire, il constitue un moyen d’enrichissement des langues d’autant plus qu’il permet de désigner des réalités spécifiques que la langue emprunteuse ne peut exprimer.

Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage définit l’emprunt comme :

84

Lafage 1985, p. 495 in A. Queffélec/Y. Derradji/V. Debov/D. Smaali-Dekdouk/Y. Cherrad-Benchefra, 2002, Le français en Algérie, Bruxelles, Editions Duculot, p.133.

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« Il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne possédait pas ; l’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes qualifiés d’emprunts. »85

D’après cette définition, on peut déduire que le phénomène de l’emprunt implique la présence d’une langue « emprunteuse » et d’une langue « empruntée », pour reprendre ici la terminologie utilisée par Y. Derradji86. La langue empruntée est donc la langue d’origine du mot, la langue emprunteuse est la langue d’accueil. Le système linguistique de la langue emprunteuse n’étant pas le même que celui de la langue d’origine, les linguistes s’accordent à confirmer dans ce cas que la langue emprunteuse est dans une situation d’instabilité.

L’emprunt est considéré, dans le cadre des études des néologismes, comme l’une des trois grandes catégories de néologismes, J. F. Sablayrolles et C. Jaquet-Pfau définissent l’emprunt comme :

« [...] la matrice qui fait introduire dans des énoncés français

des lexies existant dans d’autres langues et absentes dans un

état immédiatement antérieur de la langue française »87.

Selon cette définition, la lexie empruntée était absente dans le système linguistique de la langue emprunteuse, la matrice externe introduit donc le mot pour combler une lacune lexicale.

Dans le français en Algérie, l’emprunt occupe une place très importante. Vu les grandes différences qu’on peut observer entre la culture française d’un côté et les cultures arabo-musulmane et berbère de l’autre côté, on suppose

85

DUBOIS Jean & Al., 2013, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Larousse, Paris., P.77.

86

DERRADJI Yacine, « Le français en Algérie, langue emprunteuse et empruntée » in http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/13/derradji.html, consulté le 20 novembre 2015.

87

SABLAYROLLES Jean-François, JACQUET-PFAU Christine, 2008, « Les emprunts : du repérage aux analyses. Diversité des objectifs et des traitements », In Neologica n° 2, p21.

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théoriquement l’absence de beaucoup de lexies arabes ou berbères qui désignent des réalités propres à ces deux cultures et donc inexistantes en France et par conséquent en langue française. Cette situation est à l’origine du recours assez fréquent des locuteurs francophones algériens à l’emprunt tant à l’oral qu’à l’écrit.

Au sujet de l’emprunt dans le français en Algérie, Y. Derradji souligne : « Dans notre cas, la langue française et les idiomes locaux se

sont enrichis mutuellement – de par leur coexistence – d’apports nouveaux et le français, tel qu’il est utilisé en Algérie, intègre de nombreuses lexies arabes ou berbères employées quotidiennement dans le discours des locuteurs pour exprimer et dénoter un vécu ou une réalité qui ne peuvent pas être désignés par une lexie appartenant originellement à la langue française. Il n’en demeure pas moins que l’adoption de l’emprunt dans la langue d’accueil est conditionnée par l’usage. »88

Assez souvent, le locuteur francophone algérien emprunte des mots à partir de trois sources possibles :

L’arabe classique ou standard, L’arabe dialectal,

Le berbère (dans toutes ses variétés).

Les recherches au sujet des emprunts n’ont pas encore abouti à donner une typologie universelle des différents emprunts. En effet, les types d’emprunt ont fait l’objet de plusieurs analyses et discussions qui ont donné de nombreuses propositions de classification. Nous nous contentons pour cette recherche de donner la typologie proposée par Y. Derradji89 qui explique le

88

A. Queffélec/Y. Derradji/V. Debov/D. Smaali-Dekdouk/Y. Cherrad-Benchefra, 2002, Le

français en Algérie, Bruxelles, Editions Duculot, p.133.

89

DERRADJI Yacine, « Le français en Algérie, langue emprunteuse et empruntée » in http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/13/derradji.html, consulté le 20 novembre 2015.

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mieux le phénomène de l’emprunt dans le français en usage en Algérie. Cette typologie adaptée au contexte algérien met l’accent sur les trois axes suivants :

Les emprunts qui relèvent de la dimension religieuse,

Les emprunts appartenant au domaine institutionnel et politique,

Les emprunts qui relèvent du domaine des arts et de la culture dans un sens très large.

8. La néologie :

La néologie est un phénomène par lequel les langues s’enrichissent constamment. En effet, le répertoire lexical d’une langue ne peut jamais être perçu comme un ensemble clos, les locuteurs d’une langue donnée, qu’ils soient natifs ou non, recourent assez souvent à la création lexicale à travers de multiples mécanismes dans le but de répondre à certains besoins langagiers. D’ailleurs, « Une langue qui ne connaîtrait aucune forme de néologie serait déjà une langue morte, et l'on ne saurait contester que l'histoire de toutes nos langues n'est, en somme, que l'histoire de leur néologie. »90

La néologie représente donc le processus de formation de nouvelles unités lexicales, le produit de ce processus est désigné généralement par le terme « néologisme ». Les spécialistes en néologie s’accordent de manière générale à répartir les néologismes en trois grandes catégories :

Néologie de forme, Néologie de sens, Néologie par emprunt.

90

Quemada B., 1971, « À propos de la néologie : essais de délimitations des objectifs et des moyens d'action », La banque des mots, n°2, p. 138.

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C’est à partir du fait que la néologie de forme et la néologie de sens utilisent des moyens de formation internes (propres à la langue elle-même) alors que la néologie par emprunt utilise des moyens externes (empruntés à une autre langue) que J. F. Sablayrolles distingue les matrices interne et externe.

Le classement des néologismes représente l’un des points les plus difficiles à aborder pour un chercheur dans le domaine de la néologie. En effet, un grand nombre de classements est disponible. D’un linguiste à un autre, on peut distinguer des classements qui se basent sur de différents critères et principes de classement pouvant être liés au domaine de préoccupation de chaque chercheur. À propos de la multitude des grilles de classement, J. F. Sablayrolles souligne :

« Au fur et à mesure qu'augmentaient mes lectures augmentait

le nombre de typologies différentes. N'étant pas préparé à cette abondance, je n'ai pas relevé, dans un premier temps, toutes celles que je trouvais ; je l'ai fait plus systématiquement quand il m'est apparu que ce grand nombre méritait réflexion et devait faire l'objet d'un examen. Près d'une centaine de

typologies différentes sont reproduites dans ma thèse »91

Pour notre recherche, nous avons retenu la grille de J. F. Sablayrolles qui nous a parue plus claire et plus travaillée par rapport à d’autres typologies. Cette grille s’articule autour des matrices internes (néologie sémantique + morphologique) et des matrices externes (emprunts). Dans le tableau suivant92, l’auteur de cette typologie donne les détails concernant les deux catégories de matrices :

91

SABLAYROLLES Jean-François, 1996-1997, « Néologismes : une typologie des typologies », Cahier du C.I.E.L , Université Paris 7, « Problème de classement des unités lexicales », p.12. 92

Jean-François Sablayrolles, Christine Jacquet-Pfau, John Humbley. Emprunts, créations "sous influence" et équivalents. Passeurs de mots, passeurs d'espoir : lexicologie, terminologie et traduction face au défi de la diversité, Oct. 2009, Lisbonne, Portugal. Editions des Archives

Contemporaines ; Agence universitaire de la francophonie, pp.325-339, 2011, Actualité scientifique. <halshs-00608872>

78 m a t r i c e s i n t e r n e s morpho- sémantiques

construction affixation préfixation suffixation dérivation inverse parasynthétique flexion compo- sition composition synapsie quasimorphème Mot valise imitation et déformation onomatopée fausse coupe jeu graphique paronymie syntactico- sémantiques changement de fonction conversion combinatoire syntaxique/lexicale changement de sens métaphore métonymie autres morpho- logiques réduction de la forme troncation siglaison pragmatique détournement

79 9. Conclusion :

Le phénomène de la variation linguistique est donc un phénomène que nous pouvons constater dans toute communauté linguistique et chez tout individu. En effet, chaque société dispose de plusieurs variétés linguistiques que les locuteurs choisissent selon plusieurs paramètres. De ce fait, il n’existe pas également un individu qui utilise une seule variété de la langue.

Dans le domaine de l’enseignement des langues, la diversité des usages au sein de la langue rend la tâche de l’enseignant beaucoup plus difficile car son usage personnel de la langue n’est pas toujours en conformité avec la variété préconisée. C’est pour cette raison que chaque enseignant doit être conscient des phénomènes de la variation afin d’assurer aux apprenants un bon apprentissage de la langue.

CHAPITRE 4