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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE MISE EN CONTEXTE

SECTION 3 UNE NORME DE DROIT EN INTERNORMATIVITÉ AVEC L’ÉTHIQUE

Le Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE) nous met avant tout en garde contre les raisonnements partant de la pluralité d‘intérêts en présence. C‘est ce que par réflexe nous sommes tentés de faire, mais nous reconnaissons en partie la justesse des arguments exposés par le comité national d‘éthique français. D‘une part :

« [l]a perspective du respect des personnes comme fondement du lien social peut conduire à hiérarchiser ces intérêts. […] [D‘autre part,] comparer les intérêts en présence risque de placer d‘emblée la réflexion éthique dans une perspective conflictuelle, là où la parenté et la filiation humaine devrait être le lieu par excellence de l‘alliance entre les êtres »75.

Cette alliance fut d‘ailleurs un premier indice nous guidant vers l‘approche relationnelle entre les acteurs du don d‘engendre. De l‘avis du CCNE, dans la question spécifique de l‘accès aux origines, la parenté et la filiation doivent être évaluées au regard de l‘égale dignité des personnes humaines76. Toutefois, cette affirmation ne permet pas vraiment de clarifier la situation. En effet, la reconnaissance de l‘égale dignité des personnes a-t-elle

75 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 21. 76 Ibid.

pour corollaire la reconnaissance de droits égaux? À titre de principe fondateur77, car il ne s‘agirait pas en l‘espèce que de la dignité comme "droit fondamental", plusieurs droits fondamentaux sont alors en concurrence. La reconnaissance d‘un droit aux origines peut- il porter atteinte au droit à la vie privée? Ainsi, la reconnaissance de l‘égale dignité des personnes ne présume pas de la solution à retenir dans l‘éventualité d‘un conflit de normes. Hisser ces droits au rang de principes fondamentaux permet leur protection accrue, mais ne résout nullement la question de la hiérarchie des normes. Si ces personnes se voient reconnaître une égale dignité, qu‘en est-il de leurs droits dans l‘hypothèse où il serait nécessaire de trancher entre des revendications antagonistes?

Le processus de production législative interpelle inévitablement un examen des intérêts abstraits et des droits des personnes concernées afin de parvenir à un juste équilibre dans la norme. Selon Cyril Chabert, si « le principe d‘une conciliation des intérêts de chaque partie à un rapport familial [car c‘est bien ce dont il s‘agit en l‘espèce] ne fait guère de doute, sa pratique constitue tout l‘art du législateur »78. Cet art, comment doit-il ou peut-il être exercé dans le cadre de la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons ? Chabert ajoute quant à lui que la finalité de la

77 À ce titre, « toute personne possède une dignité inhérente que le droit doit reconnaître, respecter et préserver ». Christian Brunelle, «Volume 13 : Justice, société et personnes vulnérables – Titre 1 : Personnes, justice et personnes vulnérables – Chapitre 2 : La dignité, ce concept juridique » dans Barreau du Québec, Collection de droit 2009-2010, École du Barreau du Québec, 2009, 21 à la p. 25, <En ligne : http://www.caij.qc.ca/doctrine/collection_de_droit/2009/13/i/1674/index.html> (Date d‘accès : 19 septembre 2010); La Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) précise dans son préambule que « tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi ». Cela ne laisse toutefois pas présumer de la reconnaissance de droits égaux, mais affirme que tous ont droit à une égale protection de la loi.

78 Cyril Chabert, L'intérêt de l'enfant et les conflits de lois, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d'Aix- Marseille, 2001 à la p. 73.

norme obligeant son auteur à peser ces intérêts79, l‘art du législateur dans la quête d‘un équilibre se traduit par la recherche d‘un juste équilibre entre les intérêts abstraits de tous les membres de la famille (en l‘espèce, l‘enfant et ses parents bénéficiaires d‘une aide extérieure pour procréer) ou des participants au rapport de droit (ici l‘enfant, ses parents et le ou les donneurs) et non par leur hiérarchisation80. En cela, il rejoint la position du CCNE. Pour une, Samantha Besson, si la balance ne règlera jamais totalement le conflit, cela ne veut par contre par dire qu‘elle ne peut être faite avec légitimité et efficience81. Néanmoins, encore là, si les propos de Chabert offrent un guide intéressant en incitant à l‘équilibre plutôt qu‘à la hiérarchisation des intérêts et des droits entrant en ligne de compte, nous faisons toujours face à un manque de substance ne nous donnant pas tous les outils permettant de procéder à une analyse effective offrant le moyen de trancher entre les revendications antagonistes des enfants issus d‘un don, des parents y ayant eu recours et des donneurs de forces génétiques. Comment atteindre cet équilibre?

Il n‘y a pas de solution législative unique qui puisse nous permettre de satisfaire tous les intérêts en jeu dans un contexte particulier. Le système légal le plus approprié est néanmoins celui qui, de l‘avis de certains, tient compte des inquiétudes de toutes les parties intéressées. Il existe alors deux façons de faire disent-ils. Tout d‘abord, lorsqu‘il y a un conflit entre des intérêts et des droits en compétition, la meilleure loi sera celle qui accorde la plus grande protection aux besoins les plus importants. Nous pourrions dans un

79 Ibid. à la p. 74; L‘auteur fait d‘ailleurs état de la doctrine supportant son propos et lui permettant de conclure qu‘en « définitive chacun s‘accorde sur le fait que sujet indissociable de sa famille, l‘enfant voit son intérêt abstrait intégré dans la norme par un jeu de pesée. Renforçons ce docte postulat d‘un examen parlementaire. » Ibid. à la p. 75.

80 Ibid. aux pp. 77-78.

deuxième temps considérer quels sont les intérêts et les droits les plus fondamentaux et leur accorder le plus de protection82.

La seconde option correspond grandement à l‘approche des droits fondamentaux adoptée par Michelle Giroux. L‘auteure affirme qu‘il ne faut pas se questionner sur le pour ou le contre de la levée de l‘anonymat, mais analyser la situation sous l‘angle des droits de l‘enfant en se demandant s‘il existe un droit fondamental de connaître ses origines. « Si oui on n‘a plus qu‘à s‘assurer que les normes juridiques s‘y conforment. À défaut, les tribunaux pourront utiliser leur pouvoir d‘invalider une loi qui ne respecterait pas ce droit »83. L‘auteure en illustre d‘une part l‘existence en droit international. Puis, son exposé s‘attarde à démontrer qu‘il s‘agit d‘un droit fondamental indirectement protégé par les chartes canadienne84 et québécoise85 par les dispositions en matière de liberté, sécurité, vie privée et égalité86. Elle conclut en spécifiant que si la question se retrouvait devant les tribunaux, ils posséderaient tous les outils pour assurer la reconnaissance du droit fondamental aux origines87.

82 Shields, supra note 47 à la p. 42.

83 Michelle Giroux, « Le droit fondamental de connaître ses origines », dans Tarra Collins et al., dir., Droit

de l’enfant : Actes de la conférence internationales / Ottawa 2007, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, 353

aux pp. 357-358 [Giroux, « Droit fondamental »].

84 Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l‘annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

85 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77. 86 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384.

87 Ibid. à la p. 389; Voir les pages suivantes pour le détail de sa réflexion. L‘auteure a récemment poussé son analyse afin d‘identifier les fondements du droit aux origines et la responsabilité du Canada en vertu de la Convention internationale sur les droits de l’enfant (Rés. A/RES/44/25, Doc. Off. AGNU, c. 3, 44e session). Michelle Giroux et Mariana DeLorenzi, « Putting the child first: A necessary step in the recognition of the right to identity in Canadian Law », dans Juliet Guichon, Michelle Giroux et Ian Mitchell, dir., Who Am I? Best Interests and Rights of Children of Assisted Reproduction (titre provisoire), texte accepté pour publication dans un ouvrage collectif en préparation qui sera soumis aux presses Queen's/McGill; Voir également l‘analyse faite dans : Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-24 et suivantes.

Un premier pas en ce sens a été franchi en mai 2011 en Colombie-Britannique dans l‘affaire Pratten. Madame la juge Adair de la Cour suprême de la Colombie- Britannique en vient à la conclusion que les droits des enfants nés d‘un don anonyme sont violés. Elle se base sur le droit à l‘égalité reconnu à l‘article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés88 vu la différence de traitement avec les enfants adoptés – qui peuvent connaître l’identité de leur parent génétique à certaines conditions – et conclut que l’atteinte ne remplit pas les conditions de l’article 189. Dans les circonstances de l’espèce, la juge refuse toutefois de conclure à une atteinte aux droits à liberté et à la sécurité de madame Olivia Pratten en vertu de l’article 7, et donc de reconnaître qu’il existe une protection constitutionnelle du droit aux origines biologiques : « In summary, I decline to adopt Madam Justice Arbour’s analysis of s. 7 in Gosselin90, leading to the conclusion that Ms. Pratten has positive rights to liberty and security of the person, and a constitutionally protected right to know her biological origins. I conclude further that there is insufficient state action to support Ms. Pratten’s claim under s. 7. »91

Bien que certaines personnes puissent se demander si la recherche des origines constitue un véritable droit de la personne92, tenter de dénouer la problématique de

88 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.

89 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) aux para.268 et 325.

90 Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, 2002 CSC 84, En ligne : <http://csc.lexum.org/fr/2002/2002csc84/2002csc84.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011).

91 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 316.

92 Jacques Beaulne, « Réflexions sur quelques aspects de la procréation médicalement assistée en droit des personnes et de la famille », (1995) 26 :2 R.G.D. 235 à la p. 261; Plus vindicativement, Marie Pratte a même statué qu‘il « est heureux que le législateur [québécois] n‘ait pas cédé aux pressions des divers groupes qui, au nom d‘un supposé droit à la vérité ou aux origines, plaidaient en faveur de la levée de l‘anonymat. » Marie Pratte, « Le nouveau Code civil du Québec : quelques retouches en matière de filiation », dans Ernest Caparros, dir., Mélanges Germain Brière, la collection Bleue, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 1993, 283 aux pp. 298-299 [Pratte, « Nouveau Code »].

l‘anonymat des dons d‘engendrement sous l‘angle des droits fondamentaux93 présente une haute légitimité juridique en leur conférant une protection accrue. Ces droits fondamentaux peuvent d‘ailleurs être consacrés selon une approche formelle en les faisant figurer au rang supérieur dans la hiérarchie des normes grâce à une protection constitutionnelle94. Outre la réticence de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans son analyse de l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés95 et requérant de porter un regard nouveau sur la problématique, ce qui pose problème, c‘est qu‘au droit de savoir de l‘enfant s‘opposent des droits tout aussi fondamentaux qui, de surcroît, peuvent être similaires. Nous en revenons donc à la critique que nous faisons de la proposition du CCNE d‘évaluer les intérêts en présence en fonction de l‘égale dignité des personnes humaines. Pensons au droit à la vie privée ou au droit à l‘autonomie des parents ou des donneurs qui sont tout aussi fondamentaux que le droit à la connaissance des circonstances de la conception et le droit aux origines, pour autant que nous puissions affirmer que ces derniers existent96. Qui plus est, l‘autonomie de l‘enfant est de premier ordre dans la reconnaissance éventuelle de ces droits. En quoi se distingue-t-elle de celle des parents ou des donneurs? Comment procéder alors ?

93 Sophie Monnier nous invite à ne pas confondre droits fondamentaux et droits de l‘homme. « Les droits de l‘homme en raison de leur caractère inaliénable et sacré sont fondés sur le droit naturel, droit qui découle de la condition humaine et qui préexiste à la société. Droits génériques, ils s‘adressent à l‘homme abstrait universel, alors que les droits fondamentaux comprennent des droits catégoriels, et qu‘ils reconnaissent en tant que dépositaires des droits à la fois des entités, ou au contraire, l‘individu appréhendé non plus de manière abstraite et égalitaire mais de manière concrète et identitaire. Sophie Monnier, Les comités

d’éthique et le droit : Éléments d'analyse sur le système normatif de la bioéthique, Paris, L‘Harmattan,

2006 à la p. 298.

94 Ibid. à la p. 300; Une autre façon de reconnaître les droits fondamentaux est par l‘approche substantielle en vertu de laquelle c‘est de la fondamentalité du droit, de sa valeur intrinsèque, et non de sa consécration en droit positif ou dans la hiérarchie des normes que dérive la qualification. Ibid. à la p. 302.

95 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 96 Besson, supra note 50 à la p. 148.

Il importe avant tout de retenir que le droit s‘inscrit dans le social. Il en est un construit97 ou, encore, une partie permanente de son processus98. Celui qui est appliqué au don de gamètes et d‘embryons reflète fondamentalement les valeurs dominantes de la société qui le produit et une diversité de réponses peuvent être offertes par les juristes99. « [L]es solutions juridiques ponctuelles varient [de plus] […] selon l‘époque considérée. La chose est parfaitement normale et même souhaitable. La règle juridique est essentiellement un produit de la société; elle évolue donc avec elle et ne peut rester figée »100. Une loi, nous dit Michèle Rivet, n‘est pas la réponse finale à une question donnée. Elle est temporaire et souvent ponctuelle afin de répondre à un conflit à un moment particulier de son développement. La loi en suivra l‘évolution à travers l‘interprétation qui en est faite tout comme elle peut contribuer au développement de ce même conflit101. En outre, la question de l‘accès aux origines touche à la vérité de la procréation humaine dans sa double dimension biologique et sociale102. Dans ce contexte, s‘il ne s‘agit pas d‘entrer dans des considérations liées à la tyrannie de la majorité qui cherche à imposer ses valeurs morales au détriment de celles d‘autrui, la loi ne peut demeurer statique face à l‘évolution du débat dans la société et doit s‘ouvrir à la dimension éthique de la problématique.

97 Karim Benyekhlef, Une possible histoire de la norme : Les normativités émergentes de la

mondialisation, Montréal, Éditions Thémis, 2008 à la p. 27.

98 Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 460.

99 Jean-Louis Baudouin, « Aspects juridiques », dans Marcel J. Melançon, dir., L’insémination artificielle

thérapeutique : Aspects cliniques, psychologiques, juridiques, éthiques et philosophiques, Québec, Les

Presses de l‘Université Laval, 1983, 113 à la p. 113. 100 Ibid.

101 Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 459. 102 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 21.

En référant aux travaux de Jean Carbonnier et de Pierre Noreau, Marie-France Bureau souligne le doute qui existe sur la capacité d‘adaptation du droit, en tant que phénomène social d‘objectivation de la réalité, afin qu‘il colle parfaitement aux réalités sociales ou à une quelconque vérité103. C‘est donc à cette étape de notre réflexion que nous assistons à un certain recul du rôle du législateur et à son entrée dans la sociologie du droit de Guy Rocher qui a pour objet l‘approfondissement de la connaissance de la société en prenant en considération la place qu'y occupe le droit, les fonctions qu'il remplit, les rapports qu'il entretient avec les autres institutions de la société104. Ces dernières peuvent êtres d‘autres formes de normativité. Auquel cas, c‘est lorsque l‘internormativité intervient que des rapports sont possibles entre elles.

Partant du postulat qu‘il existe une "normativité sociale", concept que nous empruntons à Guy Rocher pour l‘aspect englobant de son propos face aux différentes dimensions normatives de la régulation sociale, constatons qu‘autant l‘éthique que le droit visent le contrôle des comportements sociétaux. Cela se réalise grâce à « [un] ensemble de […] normes, règles, principes, valeurs qui servent de guides, de balises ou de contraintes aux membres d‘une société, dans leurs conduites personnelles et collectives »105. Nous pouvons par conséquent affirmer que l‘éthique et le droit sont tous deux producteurs et récepteurs de normes.

103 Marie-France Bureau, Le droit de la filiation entre ciel et terre : étude du discours juridique québécois, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009 à la p. 80.

104 Guy Rocher, Études de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Thémis, 1996 à la p. XII [Rocher, « Études »]; Elle se distingue de la sociologie pour le droit qui « a surtout voulu être au service du droit et des juristes en cherchant soit à mieux éclairer le contenu du droit par le contexte social auquel il se rapporte, soit à analyser le fonctionnement des institutions juridiques pour en corriger les défauts. » Ibid.

105 Guy Rocher, « La bioéthique comme processus de régulation sociale : le point de vue de la sociologie », dans Parizeau, supra note 64, 49 à la p. 49 [Rocher, « Régulation sociale »].

Pour les mêmes raisons, nous adoptons corrélativement la définition selon laquelle une « norme est un discours (plus ou moins explicite) ou un comportement, descriptif ou prescriptif, dans la mesure où cette description ou prescription permet d‘évaluer ou de mesurer (et à la limite sanctionner) la conformité de son sujet à son objet »106. Ses formes sont multiples. Cela va du commandement au référent non obligatoire. En analysant les rapports du droit et des nouvelles technologies, quatre grandes sphères de création/application de normes peuvent être identifiées : les normes juridiques, les normes technoscientifiques, les normes éthiques et les normes socioculturelles peuvent être identifiées107. La définition retenue constitue par contre une parmi d‘autres et l‘ambiguïté sémantique originelle du terme peut faire en sorte qu‘il est difficile de le comprendre108. Il est notamment possible de noter que la norme « relève du sollen lorsqu‘elle désigne un modèle à reproduire et du sein lorsqu‘elle désigne un état habituel, conforme à la moyenne »109. Dans le contexte dans laquelle on la pose, la norme renvoie à un processus de socialisation110. Nous constatons alors qu‘elle est l‘aboutissement d‘une réflexion où les enjeux entrant en ligne de compte, au regard des acteurs concernés, mènent à l‘établissement de lignes directrices ou de modèles nécessaires au savoir vivre en commun, en société. Ceux-ci s‘appliquent tant aux conduites individuelles que collectives puisque dans toutes ces dimensions l‘individu appartient à un ensemble requérant une cohésion sociale. En retenant la définition reproduite en début de paragraphe, nous tendons vers la dimension sollen du corpus normatif qui permet d‘y inclure la

106 René Côté et Guy Rocher, en collaboration avec Andrée Lajoie et al., « Introduction », dans René Côté et Guy Rocher, dir., Entre droit et technique : enjeux normatifs et sociaux, Montréal, Éditions Thémis, 1994, 3 à la p. 8.

107 Ibid. à la p. 9.

108 Monnier, supra note 93 à la p. 21. 109 Ibid.

110 M.T. et D.L., « Norme », dans André-Jean Arnaud et al., dir., Dictionnaire encyclopédique de théorie et

recommandation qui oriente les comportements111. Cette vision des choses sert bien la démarche pluraliste que nous développons dans le cadre théorique.

Les nouvelles technologies de la reproduction suscitent ainsi des enjeux qui interpellent ces deux domaines normatifs que sont l‘éthique et le droit. Ceux-ci interagissent grâce à l‘internormativité et se traduisent en l‘espèce par une norme de droit en évolution. Sûrement :

« [l]e contrôle de la procréation artificielle ne s‘impose pas seulement pour des raisons économiques, sociales ou techniques, mais aussi pour rendre en pratique effectifs les interdits de nature éthique que le droit devrait formuler afin de limiter les risques psychosociaux pour l‘enfant comme pour la société, d‘un développement et d‘une banalisation sans encadrement normatif des procréations artificielles. »112

Cet extrait est évocateur de l‘enjeu relatif aux relations devant intervenir entre l‘éthique et le droit en tant qu‘instruments de régulation social dans le présent contexte. De fait, si le contrôle étatique de la procréation assistée par l‘entremise du législateur s‘impose afin de