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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE MISE EN CONTEXTE

CONCLUSION DU CHAPITRE

Alors que nous prétendons que c‘est au législateur qu‘incombe la responsabilité de réguler le domaine des technologies de la reproduction468, nous croyons néanmoins que le droit participe aux phénomènes d‘internormativité avec l‘éthique. La nature du droit est effectivement en mutation. Aujourd‘hui considéré selon une analyse postmoderne de la norme, le droit connaît un changement de paradigme, ou une crise, qui découle de sa difficulté à gérer la nouvelle demande d‘éthique. En vertu du pluralisme normatif, le droit n‘est pas le seul à réguler la vie de l‘homme en société. Il ne peut donc plus ignorer les autres formes de normativité, dont l‘éthique qui n‘est pas étrangère aux progrès considérables de la technologie et de la science, inclusivement en procréation assistée, et peut apparaître comme une nécessité collective face aux craintes et incertitudes qu‘ils engendrent. Plusieurs systèmes juridiques et normatifs coexistent alors au même moment dans un même espace, ceux-ci entrant par la suite en interaction, en internormativité. Cette internormativité constitue donc l‘outil qui permet de théoriser les rapports d‘influence entre les différents types de norme.

467 Ibid. à la p. 531.

468 « Il s‘agit de rappeler ici le fait que le droit est à la fois un instrument indispensable à la paix entre les citoyens, et personne ne peut s‘en passer, et en même temps qu‘il ne peut garantir ni perfection morale ni, moins encore, bonheur personnel ou collectif. Ceux et celles qui en seront constamment conscients seront aussi en mesure de légiférer avec un optimisme sans illusions. » Alberto Bondolfi, « Éthique et droit : quel rapport dans la gestion des nouvelles pratiques biomédicales », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du

Les normes juridiques incluent le droit et un ensemble plus large de normes qui sont distinguées du social non juridique par des critères se basant par exemple sur la contraignabilité que leur reconnaissent les membres du groupe visé. Cette dernière ne doit pas être confondue avec la sanction ou la punition. La définition de la norme est quant à elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose en partie le pluralisme normatif. Celui-ci étant inclusif des autres formes de normativité. Néanmoins, toutes frontières, quelles qu‘elles soient dans cet ensemble, ont une porosité où l‘internormativié intervient. Peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un "positivisme transcendé" dont les frontières croisent des ordres normatifs et juridiques concurrents pouvant avoir sur lui une influence formelle.

Nous appliquons corrélativement l‘éthique de la sollicitude à l‘analyse sur l‘évolution de la norme de droit concernant l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cette approche, qui constitue un ordre normatif, se base sur une particularité fondamentale de la problématique de l‘anonymat, à savoir l‘interdépendance mutuelle dans les relations humaines. Elle renvoie à l‘aptitude liée à la sympathie, c‘est-à-dire la capacité de percevoir ce que l‘autre ressent et en éprouver par la suite de la compassion, qui doit susciter un sentiment de responsabilité et insuffler une motivation forte à intervenir parce que la personne se sent concernée par ce qui arrive à l‘autre. La vision politique de l‘éthique de la sollicitude est celle qui permet d‘utiliser l‘internormativité dans l‘élaboration d‘une loi concernant un groupe de personnes alors que la théorie morale se concentre principalement sur un individu unique. Cela nous conduit à une politique publique au cœur de laquelle il y a une discussion publique des besoins et une appréciation honnête de l‘intersection de ces derniers avec les intérêts des acteurs prenant

part au don. L‘application de l‘éthique de la sollicitude étant floue au-delà de son objectif, nous cherchons à constater l‘articulation et la manifestation des principes directeurs de la Commission royale dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois lui étant applicables. Parmi ceux-ci l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs sont ceux qui nous semblent pertinents.

Du vaste ensemble de théories sur le changement de paradigme que vit le droit, nous retenons finalement qu‘elles visent à montrer que la légitimité du droit n‘est plus liée à sa nature intrinsèque, mais qu‘elle découle de son interaction avec son environnement et les autres normativités. D‘autre part, nous croyons que notre phénomène d‘internormativité ne se catégorise pas selon une vision strictement juridique ou sociologique. Nous nous intéressons davantage à l‘existence d‘un modèle de construction de la règle de droit selon une approche tenant du pluralisme normatif. En lien avec le rôle de l‘éthique, qui est d‘aider le juriste à cerner et à identifier les problèmes en vue d‘indiquer les méthodes de réflexion permettant d‘aller au fond d‘un problème et d‘explorer les différentes solutions applicables, c‘est sur l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme juridique que se concentre notre intérêt. Puisque l‘éthique de la sollicitude relève davantage de la méthode réflective en tant qu‘ordre normatif, son intégration dans le droit demeure diffuse. Il n‘y a pas de référence expresse dans un jugement ou de novation directe de la règle éthique en règle juridique. En somme, si nous utilisons l‘internormativité afin d‘explorer les rapports d‘influence entre l‘éthique et le droit, c‘est l‘approche de la sollicitude qui nous indique de quelle manière procéder. Cela

nous précise de quelle manière la règle de droit, tout au long de son évolution dans le temps, doit tenir compte des relations interpersonnelles et d‘interdépendance.

Ayant établi les fondements de notre cadre théorique, les deux chapitres qui suivent sont consacrés à son application au regard des enjeux éthique et du droit comparé. La seconde partie de la thèse que nous abordons ci-après se présente comme une analyse structurale du problème, compte tenu des intérêts en jeu dans la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons, menant à une prise de position critique qui est fonction de l‘approche théorique retenue.

CHAPITRE 2

LES INTÉRÊTS EN JEU DANS LE DÉBAT SUR L’ANONYMAT DES