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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE MISE EN CONTEXTE

SECTION 2 : DE L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE

1- ÉTHIQUE ET MORALE: LES TERMES EN PRÉSENCE

Dans les sciences de la vie, nous dit Sophie Monnier, la référence à l‘éthique est apparue sous le néologisme "bioéthique", synonyme d‘éthique biomédicale300. D‘ailleurs, ce champ particulier de la philosophie s‘introduit en droit dans les questions touchant l‘assistance à la procréation et dans toutes les interrogations éthiques liées à l‘amont de la

naissance301. L‘appellation des lois dites de bioéthique en France en témoigne. Nous pourrions certes revendiquer faire de la bioéthique, mais pour des raisons liées à l‘approche que nous avons choisie, celle de la sollicitude, nous nous cantonnons dans les limites de l‘éthique tout simplement. Nous y recourons tout au long de cette thèse de façon interchangeable avec la morale.

Les mots "morale" et "éthique" sont effectivement utilisés çà et là dans la littérature sur les liens entre l‘éthique et le droit. Ce sont des concepts qui peuvent être employés comme des synonymes par les auteurs ou encore distingués l‘un de l‘autre en renvoyant à des réalités distinctes302. La polysémie des termes et la pluralité des points de vue ne contribuent qu‘à complexifier notre tâche dans l‘étude de l‘internormativité entre l‘éthique et le droit303.

L‘"éthique" provient de deux homonymes grecs : êthos et éthos. Le premier évoque notamment le caractère d‘un individu, le trait distinctif par lequel on le reconnaît

dans sa manière d‘agir, alors que second signifie coutume, mœurs, habitude. « Initialement donc, l‘éthique renvoie non à des principes abstraits, mais au caractère

produit de l‘habitude d‘une personne. Elle s‘interroge sur la manière dont un être humain s‘y prend pour acquérir ses habitudes et sur la valeur de celle-ci. »304. La "morale" provient quant à elle du latin mos (moris). Cela renvoie essentiellement à une manière de se comporter, cela étant déterminé non pas par la loi, mais par l‘usage. Mais la morale

301 Ibid. à la p. 18.

302 Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 23.

303 Simone Goyard-Fabre, « Les rapports du droit et de la morale aujourd‘hui », dans François Dermange et Laurence Fachon, dir., Éthique et droit, Genève, Labord et Fides, 2002, 19 à la p. 19.

304 Christian Byk, Le droit international des sciences de la vie : bioéthique, biotechnologies et droit, Bordeaux, Les Études Hospitalières, 1999 à la p. 12.

veut également dire mode de vie, règles, préceptes émanant d‘un groupe en particulier ou d‘un individu. « Un être moral, c‘est donc un être qui agit selon des règles qu‘il se donne et qui lui dictent ce qu‘il faut faire de sorte que ses habitudes de conduites soient celles qui conviennent le mieux à son caractère »305.

"Morale" et "éthique" peuvent en définitive se rapprocher au point que la morale déborde des frontières l‘éthique, faisant de cette dernière la science de la morale306. En adoptant ce regard des choses, la morale est tournée vers la pratique alors que l‘éthique est d‘ordre théorique. Mais l‘inverse peut aussi être soutenu en considérant la morale comme une abstraction et l‘éthique en tant que réalité concrète qui recherche les fondements de l‘action307. En fait, les critères qui visent à distinguer ces deux concepts sont nombreux et proposent de multiples interprétations : concret/abstrait, théorie/pratique, individuel/collectif, système fermé/ouvert ou dogmatique, réflexif et impératif/descriptif, appréciation du bien ou du mal/du bon ou du mauvais308. Des débats entre les auteurs sur la synonymie des termes se dégageraient deux grandes tendances. La première est française et préfère l‘utilisation du mot "morale" alors que la seconde est anglo-saxonne et renvoie au terme "éthique"309. D‘autres constatent tout simplement que suite à l‘évolution philosophique de ces deux notions, l‘utilisation du terme "éthique" a fini par remplacer celui de "morale" chez la plupart des auteurs310.

305 Ibid. à la p. 12. 306 Ibid.

307 Monnier, supra note 93 à la p. 249. 308 Ibid.

309 Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 24. 310 Ibid. à la p. 33.

Dans le cadre de sa Stratégie nationale sur la biotechnologie, le gouvernement fédéral finança en 1994 un Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en vue de l‘éclairer sur ses décisions en matière de biotechnologie. Une partie de la réflexion s‘intéressa à ce qu‘il faut comprendre lorsqu‘on dit qu‘une action, une pratique ou une politique doit être éthiquement acceptable311. Les auteurs retiennent une interprétation fort intéressante puisqu‘ils tentent de présenter la définition la plus large possible de l‘éthique au point qu‘il s‘agit de la mise en application des valeurs morale :

« l‘éthique est l‘activité qui consiste à réfléchir et à se prononcer sur ce que devraient être le comportement des personnes entre elles ou la structure des institutions et des activités humaines. C‘est donc l‘étude de situations réelles à la lumière de valeurs morales en vue de savoir quel comportement nous devrions adopter dans ces situations. Il s‘agit donc de déterminer comment nous pouvons faire les bons choix, avec toutes les complications que cela peut entraîner. »312

Nous ne nous prétendons pas philosophe. Aussi, afin d‘éviter les confusions inutiles, nous utilisons également les termes "morale" et "éthique" de façon interchangeable en les renvoyant à la réflexion quant à l‘agir humain.

Si pour les fins de cette thèse nous en restons à une définition simple confondant les deux termes, cela n‘exclut pas de considérer que si :

« les valeurs éthiques tirent d’abord leur origine de la conscience individuelle, cela ne change rien au fait que la conjugaison, même passagère, de certaines valeurs, par l‘entremise de compromis ou de consensus que les citoyens et des segments de la population établissent

311 Ted Schrecker et Margaret A. Somerville, « Prendre des décisions éthiquement acceptables en matière de politiques : Les défis qui attendent le gouvernement fédéral », dans Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en biotechnologie, Renouvellement de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie –

Consultations en tables rondes, Ottawa, Hiver 1998, 80 à la p. 87, En ligne :

http://strategis.gc.ca/pics/bhf/makingf.pdf> (Date d‘accès : 20 juillet 2009). 312 Ibid. à la p. 89

entre eux, par moments, contribue à les faire se transposer au niveau social »313.

D‘une part, en constituant une expression collective puis, en implantant des interactions avec le droit. Rappelons-nous qu‘en raison de sa popularité grandissante eu égard à la "crise du droit" et aux incertitudes engendrées par les nouvelles technologies, plus rien n‘échapperait à l‘éthique au point de la transformer en pratique sociale314. Elle se manifeste donc tant dans ses dimensions "micro" que "macro", celles-ci constituant les diverses perspectives constituant l‘univers éthique global315. En tous les cas, l‘éthique prend source dans l‘adhésion volontaire en représentant un contrôle de la société par elle- même, d‘abord au niveau des individus qui la composent, puis au niveau de leurs unités d‘appartenance, communautaires ou organisationnels316.

Nous remarquons aux prochains points que l‘éthique de la sollicitude peut elle aussi prendre différentes formes. Elle est dans un premier temps une théorie morale, mais également une idée politique entrant dans la sphère des relations interpersonnelles. En référant aux différentes critiques qui ont été faites à ces deux manifestations de l‘éthique de la sollicitude, nous dégageons les fondements du cadre analytique que nous utilisons dans notre analyse de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. Nous constatons alors que la vision politique de l‘éthique de la sollicitude est celle qui permet d‘édifier des

313 Guy Giroux, « L‘éthique et le droit : convergences et divergences en démocratie libérale », dans Cahiers

de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, supra note 73, 27 à la p.

34.

314 Giroux, « Changement ou statut quo », supra note 144 à la p. 15.

315 Guy Durand, « Coordonnées de base de l‘éthique », (1994) 50 :3 Laval théologique et philosophique 467 à la p. 478.

liens internormatifs avec l‘élaboration d‘une loi concernant un groupe de personne. La théorie morale se concentre, quant à elle, principalement sur un individu unique.

2- L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE EN TANT QUE THÉORIE