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2 LA SEQUENCE DES GISEMENTS SAINT-MARTINOIS

2.1 LE MESOINDIEN

2.1.3 Norman Estate

2.1.3.1 Un site mésoindien dans la plaine de Grand-Case

Ce gisement mésoindien est le seul de Saint-Martin qui ne soit pas situé sur le littoral (fig. 74). Il est repéré dans la partie nord-ouest de l’île, dans la plaine de Grand-Case, entre la lagune du même nom à l’ouest et celle de Chevrise à l’est (fig. 10). Il est à peu près à égale distance des côtes les plus proches, soit à moins de 2 km des baies de Grand-Case vers l’ouest, de Baie Orientale à l’est ou de Cul-de-Sac et d’Anse Marcel au nord (fig. 10). Les occupations mésoindiennes sont localisées entre la route nationale 7 et le lit de la ravine Caréta qui alimente la lagune de Grand-Case comme le montre la formation du delta sur un ancien cliché IGN daté de 1954 (fig. 74).

2.1.3.2 Historique des recherches

Le site a été découvert en 1992 par Christophe Hénocq et François Petit à l’occasion de travaux le long de la route nationale 7 (Hénocq, Petit 1998a). Une lame sur Strombus gigas, retrouvée en surface lors de prospections avait fourni un résultat de 3580 ± 90 BP soit 2145 à 1685 BC (tab. 2) qui confirmait l’ancienneté supposée de ce gisement (Hénocq, Petit 1998a). A la suite de cette découverte et compte tenu alors de la rareté des occupations mésoindiennes sur l’île, une campagne de prospection et de sondages avait été organisée en 1993 par l’AAHE en collaboration avec Sebastiaan Knippenberg de l’Université de Leyde (Hénocq et al. 1994b, Hénocq, Petit 1998a, Nokkert et al. 1998, Brokke 1995, 1999a, Knippenberg, 1995, 1999 c, d,).

2.1.3.3 La campagne de 1993 : Norman Estate 1, 2 et 3

Des prospections systématiques, réalisées par 269 sondages à la tarière répartis sur six hectares, ont permis de repérer trois aires de vestiges dénommées Norman Estate 1 à 3 (Knippenberg 1999d). Ces aires de rejets sont situées à une altitude comprise entre 9 et 17 m et se répartissent sur une distance d’environ 400 m de longueur. Elles sont donc distantes de plusieurs centaines de mètres (fig. 74). Ces concentrations sont constituées de restes de consommation, coquilles marines et faune vertébrée, et de produits de débitage d’une industrie lithique et sur coquille.

Les sondages réalisés dans les aires de rejets de Norman Estate 1 et 3 ont été effectués par niveaux arbitraires de 0,05 ou 0,10 m d’épaisseur (Knippenberg 1999d). Les séquences stratigraphiques montrent pour Norman Estate 1 et 3 une couche principale d’occupation, peu enfouie, entre 0,15 et 0,40 m sous le niveau du sol actuel (Knippenberg 1999d). Le niveau le plus dense et le plus

étendu correspond à celui de Norman Estate 1 qui couvre une surface d’environ 120 m2 de part et d’autre de la route nationale 7. Il a fait l’objet de 5 m2 de sondages à l’ouest de la route où les niveaux étaient préservés et d’un sondage de 0,30 m2 du côté est, où les dépôts sont apparus moins significatifs (Knippenberg 1999d). Cette concentration est interprétée comme une aire de rejets de déchets alimentaires et industriels. Trois datations radiométriques ont fourni des résultats dans la période mésoindienne, compris entre 2445 et 1895 BC (tab. 2). La deuxième concentration, Norman Estate 2 est repérée 400 m plus au sud, elle n’a pas fait l’objet de sondage lors de cette campagne, ni de datations absolues. Enfin, la concentration de Norman Estate 3 est située à environ 100 m au sud de Norman Estate 1 et un sondage de 1 m2 y a été réalisé (Knippenberg 1999d). Comme les déchets alimentaires y sont peu abondants et que des éclats de silex étaient présents, cette zone a été interprétée comme une aire de campement (Knippenberg 1999d). Elle est non datée en chronologie absolue.

L’étude du mobilier lithique qui comprend 265 éléments, montre l’exploitation de roches volcaniques, d’oxyde de fer, de roches siliceuses à grain fin et de silex, matière exogène à l’île provenant probablement en partie de Long Island près d’Antigua (Knippenberg 1999c, Knippenberg 2004, 2006). La technique utilisée est la percussion lancée au percuteur dur. Les modes de débitage visent essentiellement à la production d’éclats de petites dimensions obtenus avec des méthodes peu élaborées. L’absence d’éclats corticaux indiquerait que le silex a été préparé ailleurs que sur le site. Certains nucléus présentent soit un débitage bipolaire soit ils correspondent à des « nucléus-éclats » et sont en fin d’exploitation. Des galets utilisés sont présents, ils ont été employés en tant qu’enclume, broyeur ou percuteur (Knippenberg 1999c). Les productions sur coquilles sont également caractéristiques du Mésoindien de Saint-Martin avec la présence notable de quelques fragments de lames sur Strombus gigas (Brokke 1999a).

L’étude de la malacofaune montre une exploitation ciblée sur les bivalves et en particulier sur Arca zebra qui représente près de 60 % des individus collectés (Brokke 1999a). La faune vertébrée est représentée par 96,3 % de restes de poissons dont 42,5 % sont des scaridés (Nokkert 1999a).

2.1.3.4 L’intervention de 2006 : Norman Estate 2

En 2006, à la suite d’un terrassement clandestin, la concentration de Norman Estate 2 a été en partie détruite et seule la bordure orientale a été conservée. Comme cet zone n’avait pas été documentée et que sa chronologie était inconnue, une coupe a été réalisée dans la partie préservée (fig. 75). On observe de la base au sommet (fig. 76) :

- C, le substratum dioritique arénisé sablo-limoneux à cailloux et blocs,

- B, un niveau limono-sableux brun à cailloux et blocs, - A, un remblai.

La couche archéologique D est repérée dans la partie sommitale du niveau B. Elle est actuellement peu enfouie soit entre 0,10 et 0,30 m sous le niveau actuel du sol. Elle est très diffuse et contient quelques fragments de coquilles marines très altérées d’Arca zebra, de Codakia orbicularis et de Strombus gigas, des vertèbres de poissons, quelques fragments de corail et des charbons de bois (fig. 76). Une lame sur coquille a été retrouvée en surface (fig. 77).

Deux datations radiométriques ont été réalisées sur des échantillons provenant du niveau D. Elles fournissent un premier résultat qui se situe entre 1280 et 940 BC et un second entre 820 et 760 BC (tab. 2). Ces datations indiquent que le niveau archéologique s’est formé à la suite d’occupations mésoindiennes de chronologies différentes. Ces vestiges s’avèrent dans tous les cas beaucoup plus récents que ceux de Norman Estate 1.

2.1.3.5 Interprétation du contexte géomorphologique

L’étude paléoenvironnementale réalisée pour la lagune de Grand-Case a permis de documenter le contexte géomorphologique de ce secteur. Les résultats des sondages géotechniques indiquent qu’il s’agit d’une ancienne vallée submergée par la remontée du niveau de la mer durant l’Holocène (Bertran, Stouvenot 2002). L’analyse sédimentaire du remplissage de l’actuelle lagune, effectuée d’après des carottages et des datations radiométriques (fig. 486), montre que celle-ci a commencé à se fermer vers 4280 ± 40 BP, soit à partir 2920-2870 BC consécutivement à la formation du cordon littoral sableux suite à la remontée de la mer au cours de l’Holocène (Bonnissent 2002e, 2003f, 2004a, Bonnissent et al. 2007, Bertran et al. 2004). Les niveaux sableux à coquilles marines retrouvés à la base de la séquence sédimentaire en témoignent (Serrand, Lozouet 2003, Serrand 2004, Bertran et al. 2004). Ainsi, l’analyse géomorphologique suggère qu’avant la fermeture de la lagune celle-ci fut une crique ouverte sur la mer jusque vers 2500 BC, avant son colmatage progressif lié de la formation du cordon littoral (fig. 74). Son extension devait correspondre globalement à la superficie de la lagune que l’on distingue nettement sur le cliché IGN de 1954 (fig. 74). Ainsi, il est probable que cette zone ait pu être le lieu de collecte des principaux bivalves consommés sur le gisement de Norman Estate 1, dont Arca zebra (Brokke 1999) qui se rencontre sur les fonds sableux peu profonds des baies abritées (Serrand 2002). Les pratiques anthropiques des groupes mésoindiens démontrent généralement que les lieux de consommation des coquillages se situent près du milieu de vie des espèces principalement collectées.

2.1.3.6 Interprétation chronologique des occupations

Les six datations absolues obtenues pour les aires d’occupation de Norman Estate permettent de les placer durant le stade 2 du Mésoindien de l’île, soit entre 2600 et 800 BC (tab. 2). L’occupation de Norman Estate 1 est à rattacher à la première moitié du stade 2, alors que celle de Norman Estate 2 est à rattacher à la fin du stade 2 et au tout début du stade 3 du Mésoindien de l’île.

Les pratiques alimentaires ciblées ici sur la consommation de bivalves et particulièrement d’Arca zebra, rappellent celles observées sur le site d’Etang Rouge durant ce stade 2. Les productions industrielles de ces deux gisements présentent également des traits communs du point de vue de l’outillage lithique, avec des schémas de débitages rudimentaires visant à la production d’éclats de petit module et l’exploitation de galets. Si l’étude du mobilier lithique provenant de Norman Estate 1 et 3 montre l’utilisation des mêmes technologies et des mêmes supports (Knippenberg 1999c), la datation de la série de Norman Estate 3 est inconnue car seul Norman Estate 1 avait été daté en chronologie absolue. Comme Norman Estate 2 a révélé des écarts d’âge importants, la datation de Norman Estate 3 est de ce fait incertaine. Par ailleurs, cinq lames sur coquille sont attestées sur l’ensemble du gisement mais aucun élément de la chaîne opératoire n’a été reconnu. Mise à part la lame complète retrouvée en surface de Norman Estate 2 et non datée, les autres éléments correspondent à des fragments. Ainsi il semblerait que les outils en pierre et en coquille aient été amenés sur le site prêts à être utilisés, comme en témoignent les nucléus en fin d’exploitation et les lames cassées, mais leur fabrication a été vraisemblablement réalisée ailleurs.

Ainsi, l’ensemble des données permet de démontrer que le gisement a été occupé par différents groupes mésoindiens. Ils se sont implantés aux abords de la ravine Caréta, fournissant de l’eau douce, et non loin de la zone lagunaire de Grand-Case alors en partie ouverte sur la mer et représentant un milieu de vie privilégié pour le bivalve Arca zebra. Ainsi ces coquillages ont pu être collectés dans ce secteur alors beaucoup plus proche que les rivages actuels. En l’absence de fouilles extensives en aire ouverte, les données sur l’organisation spatiale et en particulier sur les aménagements anthropiques et les pratiques alimentaires sont ici inconnues, mais la présence de charbons de bois suggère la probable réalisation d’aires foyères, peut-être en relation avec la cuisson des mollusques. Les trois stations localisées dans le même secteur le long de la ravine démontrent que ce site a été fréquenté de façon périodique tout au long du stade mésoindien 2 et que des pratiques similaires s’y sont répétées — essentiellement la consommation de bivalves et de poissons — révélant une certaine forme de spécialisation du site comme cela a été également noté pour Etang Rouge. Ces pratiques sont peut-être en rapport avec des activités saisonnières. Les datations

radiométriques montrent que les mêmes groupes mésoindiens ont pu fréquenter à la fois le site d’Etang Rouge et celui de Norman Estate.