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L’acquisition des données et leur interprétation

1 PRESENTATION DE L’ETUDE

1.4 METHODE DE TRAVAIL

1.4.2 L’acquisition des données et leur interprétation

1.4.2.1 La sélection des gisements

Le principe de cette étude repose sur l’analyse de 17 gisements archéologiques datés par le radiocarbone (fig. 10, 11, 12), dont les études de mobilier montrent une cohérence entre les données culturelles et les datations absolues. Ce choix permet d’asseoir sur des bases solides notre raisonnement sur l’évolution des sociétés précolombiennes de l’île. Les résultats obtenus pour chaque gisement sont replacés et interprétés dans le contexte culturel de l’île, puis à une échelle régionale. Plusieurs sources sont utilisées pour cette étude. La plupart des données proviennent des investigations que j’ai conduites sur 12 des 17 gisements analysés dans le cadre de ce travail. Une deuxième source d’information repose sur une étude documentaire des sites étudiés sur l’île par différents spécialistes et sur les données bibliographiques disponibles pour les Antilles. Des référentiels typologiques, effectués sur plusieurs gisements de Porto Rico et de Guadeloupe, constituent la troisième source de données.

Les gisements étudiés dans le cadre de ce travail sont tous situés dans la partie française de l’île, non pas du fait d’un choix déterminé, mais parce que la partie néerlandaise compte un seul gisement avéré, Cupecoy Bay et surtout des indices de sites non datés en chronologie absolue sur lesquels très peu d’investigations ont été réalisées. Les 17 gisements étudiés sont présentés dans le chapitre 2 selon un classement chronologique suivant les trois grandes périodes de l’occupation humaine, Mésoindien, Néoindien ancien et Néoindien récent.

1.4.2.2 Délimitation du cadre géographique des aires culturelles

La délimitation de l’aire géographique et culturelle prise en compte dans ce travail est adaptée à chaque période chronologique dont l’extension géographique correspond à une aire spécifique. Concernant l’analyse du Mésoindien, des comparaisons sont effectuées au sein de la série ortoiroïde sur tout l’archipel des Petites Antilles. Au Néoindien ancien, l’aire géographique est centrée sur la zone qui s’étend de la Guadeloupe à Porto Rico. L’espace géographique se réduit encore pour le Néoindien récent, durant lequel les corrélations restent très locales et sont effectuées avec les îles voisines de Saint-Martin, Saba, Anguilla et plus au sud avec Antigua et la Guadeloupe.

1.4.2.3 Les choix terminologiques

La terminologie chrono-culturelle des Antilles ayant été élaborée en anglais par Irving B. Rouse (1992) sa traduction en français est parfois dissonante et peut être

une source d’imprécision. Aussi, nous avons opté pour des termes plus cohérents en français, admis à la fois dans les langues anglo-saxonne et espagnole, et reconnus par la communauté des chercheurs. En ce qui concerne les trois grandes périodes de l’occupation humaine, Irving B. Rouse propose les équivalences suivantes : « Lithic Age » pour Paléoindien, « Archaic Age » pour Mésoindien et « Ceramic Age » pour Néoindien (Rouse 1992). La traduction française des âges lithique et archaïque en particulier, est peu explicite et ne fait pas référence à des contextes culturels précis. Nous préférons opter pour les termes Paléoindien, Mésoindien et Néoindien plus lourds de sens, car ils désignent une transformation globale des modes de vie, d’après les grandes avancées technologiques, les modes d’acquisitions alimentaires et la structure des sociétés (Lubbock 1865). Également, dans le but de trouver en français une équivalence correcte aux expressions « Early Ceramic Age » (Siegel 1989) et « Late Ceramic Age » (Petersen et al. 2004) difficiles à traduire, on préfèrera ici employer les termes de « Néoindien ancien » et « Néoindien récent » définis ici pour les Antilles, ou conserver les expressions anglo-saxonnes. Ces termes semblent préférables à ceux couramment employés pour définir les deux grandes phases néoindiennes, soit le « Saladoïde » souvent utilisé comme synonyme de la sous-série cedrosan-saladoïde et le « Postsaladoïde » qui est impropre d’après le système des séries et sous-séries d’Irving B. Rouse.

1.4.2.4 Les datations absolues

1.4.2.4.1 Les problèmes méthodologiques

La chronologie de Saint-Martin repose sur 100 datations par le radiocarbone (tab. 1 à 4). Ces données sont présentées sous la forme de deux graphiques chronologiques qui permettent de visualiser l’ensemble de la séquence précolombienne. Le premier, en années BP, présente 100 datations (fig. 11) ; le second en années calibrées en utilise 94 (fig. 12), les datations ou les calibrations problématiques n’ayant pas été retenues. Deux méthodes par le radiocarbone ont été utilisées pour toutes les datations absolues de l’île, la méthode radiométrique conventionnelle et la datation par Accelerator Mass Spectrometry (AMS). Les matériaux datés sont des charbons, des carapaces de crabes de terre, des résidus organiques carbonisés ou « caramels » retrouvés dans les fonds des céramiques, des coquilles marines, une coquille d’eau douce et des ossements humains. Concernant les coquilles marines, la correction de l’effet réservoir correspondant à une moyenne de 400 ans calculée à l’échelle mondiale, est effectuée pour compenser l’effet réservoir global qui a pour inconvénient de vieillir les mesures d’âge sur coquille marine (Stuiver, Braziunas 1993, Hilario Rego Bezerra et al. 2000). La correction d’âge mondiale de 400 ans est ici appliquée car l’effet réservoir local n’est pas mesuré dans les Petites Antilles. Six datations sur coquilles ne sont pas calibrées dans les tableaux 3 et 4 car on ignore si la correction de

l’effet réservoir global a été prise en compte par le laboratoire.

Nous verrons avec le détail des gisements que plusieurs facteurs peuvent être des sources d’incohérence d’après les méthodes de prélèvements et le choix des matériaux datés. Par exemple, les datations effectuées sur des lots de mobilier, charbons et carapaces de crabes, et non sur échantillon unique, même si elles sont plus avantageuses financièrement car elles dispensent de la méthode par AMS plus coûteuse, fournissent une moyenne qui peut être une source d’imprécision. Les datations sur exosquelettes de crabes ont été conservées mais elles peuvent également poser des problèmes de calibration liés à l’effet réservoir du fait du régime alimentaire non évalué de ces crustacés. Nous verrons également que l’échantillonnage des petits éléments tels que les charbons isolés est problématique pour des raisons taphonomique. En effet, les sols sont fréquemment soumis à une forte altération due aux conditions climatiques, fentes de dessiccation périodiques liées au bilan hydrologique et surtout à l’activité biologique telle que les terriers des animaux fouisseurs dont le crabe de terre, ainsi qu’aux remaniements anthropiques durant les occupations.

Afin de pallier ces problèmes d’échantillonnage et d’effet réservoir des coquilles marines, nous avons élaboré un protocole de prélèvement qui permet de limiter, en partie, les sources d’erreurs ou d’imprécisions. Nous avons choisi systématiquement un échantillon unique par datation. Pour le Mésoindien, nous avons couplé par niveau archéologique, une datation sur charbon et une datation sur coquille, lorsque les deux matériaux étaient disponibles. Pour le Néoindien nous avons choisi de dater de façon privilégiée les caramels collés dans les céramiques, lorsqu’ils étaient présents. Si ils ne posent pas de difficulté d’échantillonnage sur le terrain, en revanche nous verrons que la datation d’un des caramels du site de Baie aux Prunes (Lyon-2021 (OxA)) a fourni un rapport isotopique 13C /12C (0‰) de -14,75 qui pose un problème de calibration car cette valeur indique une origine à la fois terrestre et marine pour ce résidu alimentaire. Le même problème se pose pour la datation (Lyon-2019 (OxA)) d’un ossement humain de ce site qui a fourni un rapport isotopique 13C /12C (0‰) de -13,03. Nous verrons lors de l’analyse de ce gisement comment affiner ces calibrations problématiques réalisées d’après la courbe terrestre par le laboratoire d’analyse (tab. 4). 1.4.2.4.2 Les datations problématiques

Deux datations du gisement de Hope Estate, Beta 82164 et Beta 82165 (tab. 3) et une de celui de Baie Rouge, Beta 82150 (tab. 4), ne paraissent pas liées à leur occupation principale. Ces résultats seront détaillés dans les chapitres concernant ces sites. La datation KIA 28112 (tab. 1) correspond à un problème

d’échantillonnage, le résultat n’est pas pris en compte dans l’analyse chronologique.

Concernant le site de Hope Estate, une datation a été effectuée sur un unionidé, un bivalve d’eau douce, probablement importé du continent sud-américain ou des Grandes Antilles (Serrand 1999). Comme l’origine de cette coquille d’eau douce est inconnue et que l’effet réservoir local, très spécifique en milieu fluviatile (Culleton 2006), ne peut être pris en compte, la calibration initiale de cette datation AA30805 (Serrand 1999) n’est pas retenue ici. Seul le résultat BP est présenté (tab. 3 et fig. 11). Pour deux autres datations sur coquille marine du site de Hope Estate, Pitt0451 et LGQ1100 (tab. 3) on ignore si la correction de l’effet réservoir a été effectuée, aussi seuls les résultats en années BP sont retenus (fig. 11).

Concernant le site néoindien de Cupecoy Bay, les recherches qui y ont été conduites et les trois datations effectuées sur une séquence stratigraphique attestent la présence d’occupations multiples du Cedrosan-saladoïde, de l’Elenan-ostionoïde, du Troumassoïde et du Suazoïde (Bullen, Bullen 1974, Haviser 1987). Le mobilier céramique étant peu décrit et vu la longue période chronologique que couvrent les datations absolues, ces données sont difficilement exploitables. Les trois datations ont été réalisées sur coquilles mais on ignore si la correction d’âge de l’effet réservoir a été effectuée (tab. 4). Devant l’incertitude des calibrations et le peu de données disponibles pour caractériser les productions céramiques, ce site n’est pas retenu dans cette étude. Les datations sont toutefois présentées dans le graphique chronologique en années BP. Deux d’entre elles s’insèrent à la fin du Néoindien récent, la troisième datation fournit un résultat dans le Cedrosan-saladoïde (fig. 11).

Bien que quelques datations soient discutables, comme nous le verrons lors de l’étude détaillée des gisements, l’ensemble de la séquence chronologique montre une grande cohérence (fig. 11, 12). Tout au long de ce travail, l’analyse de la chronologie absolue de l’île se base uniquement sur les résultats calibrés des datations radiométriques et non sur les résultats en années BP car ils ne prennent pas en compte l’effet réservoir global de 400 ans pour les coquilles marines. Aussi les dates en années BP sur coquille marine ne peuvent pas être directement comparées aux dates BP sur charbon.

1.4.2.5 Les différents degrés d’étude des gisements

Les 17 gisements sur lesquels repose cette étude ont fait l’objet d’investigations très variées, dans le cadre d’opérations programmées et préventives, compte tenu des problématiques archéologiques, des moyens humains et matériels et des impératifs de temps. Si les recherches programmées portent généralement sur de petites superficies, elles permettent en revanche d’effectuer des choix culturels et méthodologiques qui répondent précisément aux problématiques archéologiques. Les

recherches préventives ont quant à elles permis de documenter sur de très grandes surfaces plusieurs gisements mésoindiens.

L’apport de l’archéologie préventive a été extrêmement déterminant à Saint-Martin pour la compréhension des gisements dont l’exploration est complexe à cause de leur grande superficie ou de leur profond enfouissement. Les sites mésoindiens de Baie Orientale 1 et d’Etang Rouge 1 en sont les spectaculaires témoignages. Les apports de l’archéologie préventive française sont donc incontestables, même si son développement a suscité l’émoi de certains chercheurs travaillant sur la région : « Archaeological research in some of the Lesser Antilles had undergone a similar change as a result of antiquities regulations emanating from government, as is the case in the French West Indies and the Service Régional de l’Archéologie. The intervention of the State has been both a blessing and a source of tension between the traditional advocate archaeologists, younger and older university academic and professional (heritage) archaeologists » (Oliver 1999 : 257). José R. Oliver tentera de discréditer les premiers travaux traitant de chronologie (Oliver 1999 : 260-261).

L’étude du Mésoindien repose sur l’analyse de huit gisements. Ceux de Baie Orientale 1 (Bonnissent et al. 2001, 2006a, b) et d’Etang Rouge 1 (Bonnissent 2005b, Martias 2005), étudiés dans le cadre d’interventions préventives, correspondent aux plus grandes superficies de fouilles et aux plus importantes données. Les études de mobilier y sont détaillées et approfondies par différents spécialistes. L’occupation de Norman Estate, connue par des sondages programmés réalisés en 1993 (Knippenberg 1999d) et des études de mobilier, a fait l’objet de nouvelles recherches. Il s’agit de données concernant le contexte paléoenvironnemental et de récentes interventions archéologiques. Le site de Salines d’Orient est également documenté grâce à des sondages programmés (Stouvenot 2006). Quelques sites sont simplement connus par une séquence stratigraphique, c’est le cas de Baie Longue 2 (Bonnissent 2002a, 2003a) et de Trou David 1 et 2 (chapitre 2.15). Certaines occupations sont attestées par des ramassages de mobilier couplés à des datations radiométriques et des études documentaires. C’est le cas des sites de Pointe du Bluff (chapitre 2.1.6), Trou David 2 (chapitre 2.1.5) et Pont de Sandy Ground 1 et 2 (chapitre 2.1.2).

L’accent a été mis en particulier sur la recherche des occupations mésoindiennes qui ont été repérées en fonction des données acquises sur certains gisements dont celui de Baie Orientale 1. Des assemblages malacologiques spécifiques et la présence de roches débitées ou non, retrouvés dans les cordons sableux du littoral, se sont révélés de très bons indicateurs. On constate que l’enfouissement des gisements est très variable et intimement lié au contexte géomorphologique. En effet, les niveaux archéologiques mésoindiens sont repérés entre 0,50 et 6 m de

profondeur sur l’île. Dans le cas des occupations très profondes, les moyens techniques disponibles, en particulier sur les chantiers préventifs, permettent l’accès à ces données.

Le Néoindien est surtout documenté par des interventions programmées. Le gisement de Hope Estate, qui a fait l’objet d’anciennes campagnes de fouilles (Haviser 1988, 1991, Barret, Léton 1989, Hénocq, Petit 1998a, Hofman, Hoogland 1999), correspond maintenant à l’étude la plus aboutie en terme d’organisation spatiale, d’étude des dépotoirs et de la céramique (Bonnissent, Stouvenot 1997, 1998, Bonnissent 1999, Bonnissent et al. 2002). Les sites de Pinel Ouest (Bonnissent 2002b, 2003b) et de Pointe du Canonnier (Bonnissent 2002c, 2003c) ont fait l’objet de campagnes programmées qui ont permis de repérer l’extension des gisements et de documenter les cultures matérielles par des sondages dans les aires dépotoirs. Le site de Cul-de-sac a été découvert dans le cadre d’un diagnostic préventif (Martias 2007). Le gisement de Baie aux Prunes a fait l’objet d’une campagne de sauvetage dans le cadre associatif de l’AAHE (Bonnissent 2005a, Bonnissent, Stouvenot 2005). L’intervention a permis de délimiter l’extension du gisement et de documenter les occupations. Enfin, le site de Baie Orientale 2 connu par une première campagne de sondages (Hénocq et al. 1992) a été intégralement étudié dans le cadre classique de l’archéologie préventive, par une fouille de grande ampleur et des études de mobilier (Bonnissent 2006a).