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1 PRESENTATION DE L’ETUDE

1.4 METHODE DE TRAVAIL

1.4.3 Les méthodes d’acquisition des données

Les interventions que j’ai conduites à Saint-Martin, quelles soient préventives ou programmées, ont été réalisées selon les méthodes classiques de l’archéologie telle qu’elle est pratiquée en Europe. Ces méthodes ont été adaptées, comme nous le verrons, au contexte très spécifique des gisements précolombiens. Elles permettent une approche détaillée de la formation des gisements, de leur évolution taphonomique et de la nature des occupations.

1.4.3.1 Les méthodes d’investigations

Ce chapitre présente les méthodes et techniques de recherches appliquées lors des investigations que j’ai conduites à Saint-Martin sur 12 gisements.

1.4.3.1.1 Principes généraux

Généralement des sondages de reconnaissance manuels ou mécaniques permettent de délimiter l’extension des dépôts. L’ouverture des aires de fouilles est déterminée en fonction des résultats des investigations préalables et des problématiques que posent les gisements. Les zones les plus riches en informations et les mieux conservées sont explorées précisément par des décapages manuels, parfois en aire ouverte quand les vestiges s’y prêtent, selon la méthode de Leroi-Gourhan (Leroi-Gourhan, Brézillon 1966, 1972). Les niveaux archéologiques sont individualisés et fouillés en suivant le pendage des couches, autant que cela est possible. L’enregistrement des données est effectué par unité stratigraphique selon la méthode Harris (Harris 1989, Harris et al. 1993). En fonction du degré de complexité des sites, un diagramme chrono-stratigraphique est présenté et les méthodes de fouilles, de relevés et d’enregistrement sont adaptées. Une fois les vestiges dégagés, ils sont prélevés selon un carroyage qui permet de les repérer en plan.

Pour les grandes surfaces dégagées en aire ouverte, les données sont généralement restituées par l’intermédiaire de cartes de répartition pondérale du mobilier, les artefacts ayant été automatiquement enregistrés en poids selon un carroyage. Des relevés planimétriques de terrain sont réalisés pour les zones présentant des aménagements anthropiques. Nous verrons par l’étude détaillée des gisements que ces méthodes, décrites ici dans les grandes lignes, ont été adaptées au contexte archéologique de chaque site.

Les sédiments sont généralement tamisés sur une maille appropriée au contexte archéologique, selon la précision escomptée, en fonction des impératifs de temps et au regard de la texture des sols. Le tamisage s’avère nécessaire sur les sites précolombiens, car les productions matérielles ont fourni de nombreux petits éléments tels que des perles, des pendeloques et de minuscules éclats de silex. C’est également la seule

façon de récolter la plus grande part des restes de faune vertébrée qui comporte une majorité d’espèces de petite taille. Ainsi on évite les biais d’un échantillonnage arbitraire lors de la fouille. Il en est de même pour les restes d’invertébrés tels que les carapaces de crustacés, en particulier les crabes de terre, et les petites espèces de coquillages comme les nérites. Pour chaque gisement, un échantillonnage représentatif des principaux niveaux d’occupation a été obtenu sur des mailles de 2,4 à 10 mm. Les sépultures sont étudiées selon les méthodes et techniques classiques de l’anthropologie de terrain, telles qu’elles nous ont été enseignées par le Professeur Henri Duday à l’Université de Bordeaux I et lors de stages de terrain sur les gisements écoles de l’Aven de la Boucle à Corconne (Gard) et du Dolmen des Peirrières à Villedubert (Aude).

1.4.3.1.2 Le cas spécifique des dépotoirs

Plusieurs approches méthodologiques ont été appliquées à l’étude des dépotoirs néoindiens de Saint-Martin. Deux objectifs ont été poursuivis, l’individualisation des niveaux archéologiques pour le site stratifié de Hope Estate et d’une façon plus générale, la caractérisation et le mode de formation de ces dépôts. L’étude de ces aires de rejets est complexe, en particulier sur le gisement de Hope Estate, à cause de l'abondance du mobilier archéologique et de la stratification lenticulaire, comme il le sera démontré plus loin. Seul un travail minutieux permet de relever les observations taphonomiques pertinentes, comme par exemple les remontages sur les céramiques et les connexions anatomiques sur les ossements. Ces observations permettent d'évaluer les modes de mise en place des dépôts et les processus taphonomiques qui ont pu les affecter. Deux exemples très spécifiques, ne posant pas les mêmes problématiques archéologiques, ont été très précisemment étudiés : le gisement stratifié de Hope Estate et l’unique couche dépotoir mamoran-troumassoïde de Baie Orientale 2.

Une méthode de fouille des dépotoirs a donc été élaborée sur le gisement de Hope Estate où la stratification des dépôts rend complexe l’identification de stades culturels. Elle consiste à dessiner en coupe et coter en Y, Z la plus grande part des mobiliers, et en particulier la céramique. Ces relevés permettent de visualiser la géométrie exacte des dépôts par la distribution des éléments. Il devient alors possible d’y individualiser des niveaux. Deux grandes catégories de dépôts archéologiques sont reconnus : les niveaux dépotoirs en position primaire de rejet, riches en mobilier, à artefacts peu fragmentés et les couches soit pauvres, soit à mobilier très fragmenté, indiquant l’intervention de processus secondaires. La méthode est plus précisément détaillée dans le chapitre 2.2.1 sur le site de Hope Estate.

Le dépotoir mamoran-troumassoïde de Baie Orientale 2 a également fait l’objet d’une étude mais celle-ci est axée sur la dispersion horizontale des restes céramiques, en

particulier par le repérage des tessons pris en compte dans les remontages. Cette étude a été possible car un seul niveau archéologique, de faible épaisseur, constitue le site. Les résultats permettent de caractériser ce second type de dépotoir.

1.4.3.2 Méthode d’étude des assemblages céramiques

Notre analyse des assemblages céramiques a débuté en 1994 avec le gisement de Hope Estate. Cette étude s’est heurtée, pour le Néoindien ancien, à la complexité des formes et des décors, au manque de typologies disponibles et à la nécessité de mettre en place une méthode d’enregistrement prenant en compte toute la richesse des corpus. Ainsi, cette méthode a évolué du point de vue de l’enregistrement quantitatif et qualitatif. Il en est de même pour les transcriptions graphiques qui ont suivi les progrès techniques de l’informatique. Cependant les données essentielles sont retranscrites ici et permettent de caractériser les productions et de les comparer.

L’objectif de l’étude des assemblages est de restituer leurs spécificités typologiques car les productions céramiques apparaissent comme les vestiges les plus caractéristiques de l’évolution des communautés néoindiennes, ils sont donc de bons marqueurs culturels (D’Anna et al. 2003). Comme les séries céramiques sont inégalement conservées, le degré de connaissance obtenu sur la reconstitution des assemblages est inégal. Aussi la méthode d’enregistrement des restes céramiques est effectuée selon plusieurs seuils de précision, en fonction de la qualité des assemblages et en particulier de la fragmentation.

Les vestiges céramiques sont généralement retrouvés au sein d’aires dépotoirs spécifiques où les rebuts de la culture matérielle sont associés aux restes de faune consommée. Une fois prélevé, le mobilier est marqué et comptabilisé par unité stratigraphique et par m2. La première phase de l’étude est consacrée à la recherche des remontages par m2, puis par unité stratigraphique. Des remontages sont également tentés avec les unités stratigraphiques adjacentes. La fragmentation du mobilier, la comptabilisation des remontages et l’origine topographique des tessons apportent les premières informations sur la constitution des dépôts et sur les éventuels problèmes taphonomiques.

1.4.3.2.1 Observations taphonomiques et évaluation du degré d’homogénéité chronologique

Les observations taphonomiques et le contexte de dépôt des éléments céramiques sont donc pris en compte lors de l’analyse des assemblages. Les remontages entre les tessons, selon les m2 et les unités stratigraphiques, permettent d’interpréter la mise en place des dépôts et dans une certaine mesure la cohérence stratigraphique. Pour certains sondages du site de Hope Estate, les restes

céramiques sont côtés en X, Y, Z et des stratigraphies cumulées des tessons et de leurs orientations ont été réalisées afin d’obtenir une meilleure lecture des dépôts. Plusieurs critères sont pris en compte pour évaluer la fiabilité chronologique des dépôts : la nature de l’unité stratigraphique, sa localisation et son interprétation et la présence d’éléments manifestement exogènes. Les unités stratigraphiques douteuses ou contaminées du point de vue chronologique sont isolées et traitées à part.

1.4.3.2.2 Classification des récipients et ustensiles Une classification des récipients et ustensiles a été élaborée pour les assemblages précolombiens des Petites Antilles d’après le mobilier provenant de divers gisements de l’île de Saint-Martin. Les définitions des catégories de récipients et d’ustensiles ont été établies, en partie, d’après la nomenclature de Balfet (Balfet et al. 1989). Elle prend en compte, pour la détermination des contenants, le rapport entre l’ouverture et la hauteur des récipients (fig. 13). Les formes ouvertes comprennent cinq familles — platine, assiette, écuelle, bol, gobelet — dont les variations de proportions — soit le rapport entre l’ouverture et la hauteur — ont été adaptées aux productions précolombiennes. Les formes fermées sont réparties en trois familles, dont deux sont classiques — pot et bouteille — en revanche la troisième, spécifique de certains assemblages, correspond à un type d’écuelle à embouchure fermée (fig. 13). Certaines de ces familles sont subdivisées selon la taille des récipients, par exemple la catégorie assiette comporte des assiettes et des plats, distingués d’après le diamètre de l’ouverture (fig. 13). La catégorie des ustensiles comprend six familles, les fumigateurs, les couvercles, les bouchons, les tessons utilisés, les tessons perforés et les fusaïoles. Une dernière catégorie « indéterminé » regroupe les éléments trop lacunaires pour être classés comme les pieds anthropomorphes appartenant probablement à des statuettes ou des vases-statuette et les probables masques. La classification des récipients et des fragments, selon les catégories définies, se fait d’après le bord qui est un indicateur de la forme. Compte tenu du profil du bord et de l’orientation des parois, il est possible dans de nombreux cas de déterminer s’il s’agit d’une forme ouverte ou fermée et, pour les fragments les mieux conservés, de préciser la famille de forme. Les bords sont enregistrés suivant des catégories subdivisées en types, précisées pour chaque assemblage.

1.4.3.2.3 Méthode de quantification de la population de récipients et d’ustensiles

Le premier stade de l’enregistrement permet donc de dissocier les parties de récipients et en particulier d’isoler les bords qui permettent de définir la proportion de formes ouvertes et fermées, décorées ou non, principales caractéristiques des assemblages (fig. 14).

La quantification de la population de récipients et d’ustensiles est effectuée par comptage direct de tous les artefacts céramiques en nombre de restes (NR) par m2 et par unité stratigraphique. Les restes sont enregistrés selon les parties de récipients : bord, panse, fond, élément de suspension/préhension. L’évaluation du nombre minimum d’individus (NMI) se fait d’après le comptage des bords, pondéré par les remontages, selon les catégories définies. Lorsque deux bords ou deux ensembles de bords appartiennent vraisemblablement au même récipient mais qu’il n’y a pas de remontage, ils peuvent dans certains cas être enregistrés comme un seul individu. Différents critères sont alors pris en compte : la forme du bord et de la lèvre, la pâte, le traitement de surface, le décor, le diamètre et la longueur de la circonférence qui confirment la représentation d’un seul individu.

Les bords sont enregistrés selon trois classes (fig. 14), les formes ouvertes (FO), fermées (FF) et indéterminées (FI), elles-mêmes subdivisées en deux sous-classes, les individus décorés (ID) et non décorés (IND). Cette méthode de comptage prend en compte non seulement les bords dont la famille de forme est indéterminée, mais aussi les formes clairement attribuées et enregistrées également selon les catégories ID/IND et FO/FF/FI. Cette méthode de quantification permet donc de comptabiliser par unité stratigraphique non seulement les bords isolés, mais aussi les récipients et ustensiles archéologiquement complets, dont la famille est clairement identifiée.

Aucune méthode de comptage n’étant parfaite (Arcelin, Truffreau-Libre 1998), il faut néanmoins évaluer les biais de celle-ci. Ils peuvent se traduire par une surévaluation du nombre des bords, pouvant être induite par plusieurs facteurs : une forte fragmentation du mobilier, la complexité de certains assemblages, dont la dissymétrie des formes, et le mode de fabrication par modelage irrégulier. Par exemple, dans le cas des grands récipients utilitaires, les bords grossièrement façonnés présentent souvent des profils différents selon l’emplacement sur l’embouchure. En l’absence de remontage, le même individu peut alors être comptabilisé plusieurs fois d’après une variation de la section du bord. De même, il est parfois difficile de repérer les formes ovales sur de petits segments de bords et la tendance est de compter deux individus indiquant deux diamètres différents. Bien qu’il y ait une probable surestimation du NMI, son expression en termes statistiques donne une image proche de la réalité, dans le rapport de proportion entre les formes fermées et ouvertes et les individus décorés ou non. Le recensement des différentes familles de formes et des éléments typologiques permet d’évaluer, au sein du NMI, la proportion de récipients et d’ustensiles caractéristiques. La proportion de récipients décorés ou non, de formes ouvertes et fermées, des familles de formes et des décors, permet d’établir des critères représentatifs des

assemblages constituant des bases de comparaison inter-sites.

1.4.3.2.4 Les informations technologiques

L’ensemble du mobilier céramique néoindien est façonné par modelage. Le montage des pièces est effectué à partir de colombins, de plaques embouties et d’éléments modelés puis appliqués. Les chaînes opératoires du montage et des traitements de surface sont décrites spécifiquement pour chaque assemblage. Généralement les surfaces sont soit frottées, lissées, brunies, polies, engobées ou peintes. Ces traitements sont plus ou moins aboutis selon les assemblages et plusieurs traitements se combinent souvent sur le même individu. Des traitements de surface sont caractéristiques de certaines sous-séries comme nous le verrons plus loin.

1.4.3.2.5 Mode de représentation

Le mobilier est dessiné selon un code de représentation que j’ai établi pour les céramiques précolombiennes des Petites Antilles (fig. 15). A partir d’un dessin technique classique (Arcelin, Rigoir 1979), ce code permet de représenter les aspects de surface des pièces céramiques, en particulier les zones modelées, colorées, incisées, les traitements techniques, les altérations ou la présence de résidu carbonisé (fig. 15 A). Ces informations sont retranscrites à la fois sur les coupes et sur la représentation des surfaces des céramiques. Les couleurs des engobes et des peintures sont enregistrées d’après les planches de couleurs rouges (5R, 7.5R et 10R) de la charte des couleurs de sols Munsell (Munsell 1994) par une correspondance de niveaux de gris (fig. 15 A). Cette méthode graphique permet de superposer les zones colorées / modelées / incisées, dont la prise en compte est essentielle pour l’étude des assemblages.

Les informations sur l’embouchure des récipients, dont la forme, le diamètre, la présence d’éléments rapportés ou de décors sont également indiquées (fig. 15 B). Comme certains récipients comportent à la fois des décors externes et internes, dans le cas des tessons isolés on a choisi de représenter la surface externe à gauche de la coupe et la surface interne à droite. Cette disposition permet une certaine logique dans la représentation des éléments décorés isolés (fig. 15 C). Enfin, les observations technologiques sont indiquées sur les coupes ; elles concernent en particulier le montage des éléments rapportés (fig. 15 D). Lorsque l’orientation d’un tesson isolé est incertaine, elle est indiquée par un double trait (fig. 15 D). La présence d’incisions ou de cannelures est également signalée sur les coupes, lorsque la précision est nécessaire (fig. 15 D).

Les éléments céramiques sont représentés à 1/3 de leur taille réelle, sauf indication contraire sur la planche. Tous les artefacts céramiques sont dessinés à l’aide d’un conformateur. Les clefs de détermination culturelles sont

présentées pour chaque site selon une planche typologique synthétique.

1.4.3.2.6 Interprétation chrono-culturelle

La présence d’éléments typologiques spécifiques, qu’ils soient morphologiques, décoratifs ou technologiques, permet de définir les caractéristiques des assemblages. Datés en chronologie absolue, ils conduisent à une interprétation chrono-culturelle des productions céramiques.

1.4.3.2.7 Le problème des référentiels céramiques Cette étude s’est souvent heurtée, en particulier pour les gisements éponymes de la Caraïbe, à la pauvreté ou l’absence de réels référentiels typologiques des mobiliers. Ces derniers sont décrits mais peu représentés graphiquement ce qui est souvent une source d’imprécision et d’incertitude. Les recherches récentes tendent à corriger cet état de fait mais les lacunes subsistent. La rareté des référentiels typologiques a souvent conduit les chercheurs à attribuer aux gisements étudiés la sous-série obtenue par simple projection des datations radiocarbones sur la charte spatio-temporelle d’Irving B. Rouse, en fonction de la localisation géographique.

Ce problème de référentiel s’est en particulier posé pour la caractérisation des niveaux précoces et problématiques du site de Hope Estate. Pour remédier à ce problème, un voyage d’étude réalisé en 1999 à Porto Rico1 a permis de réaliser quelques planches typologiques des séries portoricaines des sites de La Hueca (Chanlatte Baik 1981, 1984, 1985, 1995), Punta Candelero (Rodríguez López 1989, 1991) et El Convento (Pons de Alegría 1973), reconnues comme représentatives des productions néoindiennes précoces.

1.4.3.3 Les divers mobiliers

L’analyse des divers mobiliers extraits des gisements analysés ici s’arrête au degré permettant de caractériser culturellement les occupations de façon diachronique. Deux sources sont exploitées : d’une part les études de mobilier effectuées par différents spécialistes sur les gisements pris en compte dans cette étude, et d’autre part les observations que nous avons effectuées sur les productions matérielles et sur les ressources alimentaires non étudiées. Les données techniques ou méthodologiques de certains domaines spécifiques ne sont pas abordées dans cette étude. En revanche, ces nombreux thèmes d’études pourront être par ailleurs détaillés, dans le cadre d’études exhaustives. Ainsi, seuls les traits généraux et spécifiques des divers mobiliers sont présentés.

1Je tiens tout particulièrement à remercier chaleureusement ici M. Rodríguez López, L. Chanlatte Baik et Y. Narganes Storde qui m’ont permis de consulter ces collections.

2 LA SEQUENCE DES GISEMENTS