• Aucun résultat trouvé

Formation, extension et chronologie du site de Hope Estate

2 LA SEQUENCE DES GISEMENTS SAINT-MARTINOIS

2.2 LE NEOINDIEN ANCIEN

2.2.1 Hope Estate

2.2.1.10 Formation, extension et chronologie du site de Hope Estate

2.2.1.10.1 Organisation spatiale du site

D’après la superficie de 1,5 hectares que constitue le village de Hope Estate dans son extension maximale, seulement 5 % de cette surface ont fait l’objet d’investigations. Cependant, ces recherches limitées mais conduites dans les zones clefs du site ont permis d’en reconnaître l’organisation spatiale. Hope Estate représente à l’heure actuelle l’un des plus beaux exemples de village spatialement structuré au Néoindien ancien. Le gisement est constitué d’une ceinture de dépotoirs enserrant une place centrale, lieu d’implantation de l’habitat et certainement des activités humaines : domestiques, techniques et symboliques (fig. 346). Nous avons vu la difficulté que représente l’étude de ce type de gisement où la lente accumulation des rejets, sur plus d’un millénaire, crée des stratigraphies complexes dans les dépotoirs et rend difficile la lecture de l’aire d’habitat. La superposition des aménagements anthropiques — soit l’évolution d’un village ou d’une succession de villages — est imposée ici par la topographie où l’espace plan aménageable est limité, et cet état de fait rend compliqué le décodage des phases culturelles. Néanmoins, les recherches réalisées permettent d'appréhender dans son ensemble la configuration de l’un des premiers villages du Néoindien ancien. Des interrogations subsistent quant à la disposition de l'habitat sur le plateau. Deux principaux cas de figures sont envisagés. Soit les structures d’habitats encerclent un espace central vide correspondant à une place, ce qui constituerait un schéma à deux ceintures, une d’habitats entourée de celle des dépotoirs comme cela a été évoqué pour les Grandes Antilles (Siegel 1989). Soit, en seconde hypothèse, les structures d’habitats couvrent l'ensemble du plateau. Par ailleurs, on peut également s’interroger sur les modalités de l’occupation, permanente ou semi-permanente.

2.2.1.10.2 Chronologie absolue du site

Le traitement global des datations radiométriques du site, soit la courbe des sommes de probabilité des calibrations des 29 datations retenues, permet de distinguer deux principales phases d’occupation sur le site (fig. 347). Des traces d’occupation antérieures à 500 BC sont suggérées par l’une des deux périodes d’incertitude de la calibration d’une datation, soit 795-485 BC et 465-425 BC (tab. 3). Comme la première plage d’incertitude donne un résultat très précoce pour le Néoindien ancien, on pense que la date pourrait se situer plus rationnellement dans la seconde plage entre 465 et 425 BC. La courbe des sommes de probabilité des calibrations fait apparaître très nettement deux pics entre 400 et 200 BC que l’on considèrera comme la première phase d’occupation du site, même si une installation sporadique antérieure n’est

pas à exclure. Cette première phase correspond aux rejets huecans des dépotoirs 3 et 5 d’après l’antériorité stratigraphique des dépôts, la céramique et la présence des datations les plus précoces du site. D’autre part, cette première phase d’occupation correspond également aux rejets huecans des dépotoirs 4, 12 et 13, distingués d’après l’antériorité des dépôts et la céramique (fig. 346). Ainsi, l’occupation huecan s’est développée de part et d’autre de la partie médiane du plateau central, elle a été la plus documentée dans l’arc dépotoir Est. Un hiatus chronologique apparaît ensuite marqué entre 200 et 100 BC. Signifie-t-il que le site n’est pas ou peu occupé ou qu’aucun niveau de cette période n’a été daté au cours des campagnes successives ? C’est à partir de 100 BC et jusqu’à 700 AD que se situe la principale et seconde phase d’occupation attribuée au Cedrosan-saladoïde. Le site apparaît occupé de façon pratiquement continue même si l’on ne peut exclure de courtes périodes d’abandon. Durant cette seconde phase d’occupation, les colonies cedrosan-saladoïdes prennent possession de toute la superficie du plateau comme en témoigne la ceinture des dépotoirs datée de cette période (fig. 347). Le site est ensuite abandonné de façon très nette après 690 AD. Ainsi, le village de Hope Estate s’est développé sur plus d’un hectare et demi, durant au moins 1200 ans.

2.2.1.10.3 Le contexte de dépotoir : un effet dit de palimpseste

Comme nous l’avons vu, la formation des dépotoirs de Hope Estate résulte d’une mise en place complexe associant des rejets lenticulaires discontinus, d’ordre domestique et industriel, de nature et d’ampleur variables, déposés de façon simultanée ou différée, mêlés parfois à des remblais comportant du mobilier exogène, dans lesquels ont pu être pratiqués divers creusements pour des fosses de trous de poteaux ou de sépultures. Dans ce contexte, l’acte de rejet aléatoire est donc le fait archéologique majeur (Chenorkian 1994, 1988b). Les problématiques sur la structure interne des dépotoirs rejoignent celles des amas coquilliers, ils résultent du même type de fonctionnement en tant qu’aire de rejets soit «…un milieu hiérarchisé, composé d’éléments emboîtés qui entretiennent entre eux des rapports spatio-fonctionnels variables… » (Chenorkian 1988a, 1994). Outre les évènements impliquant l’Homme dans leur formation par un processus d’accumulation continu ou discontinu, les dépotoirs, selon leur position topographique ont été également plus ou moins soumis aux processus naturels d’érosion et d’altération différentielle. Mais, ces derniers apparaissent somme toute mineurs face au facteur humain provoquant les plus importantes perturbations. Chaque dépotoir a eu une évolution indépendante au sein du gisement avec une dynamique de dépôt propre, dévoilant des variations dont l’origine peut être liée à des effets spatio-fonctionnels ou chronologiques (Chenorkian 1986, 1994). Les dépotoirs reflètent donc

indirectement l’organisation spatiale et économique du village (Chenorkian 1998a).

S’il est possible d’établir des correspondances culturelles entre les dépotoirs d’après la céramique selon les phases huecan et cedrosan-saladoïde, il apparaît difficile de déterminer des corrélations chronologiques plus précises, en particulier pour la longue phase d’occupation cedrosan-saladoïde, du fait de l’absence de relations stratigraphiques et du manque de datations radiométriques. Là encore, il faut souligner que les différences observées pour chaque dépotoir peuvent être liées à des aspects spatio-fonctionnels comme temporels. Chaque dépotoir comporte plusieurs unités stratigraphiques attribuées soit à la même sous-série soit aux deux sous-séries représentées sur le site et l’on ne peut apprécier le laps de temps qui sépare les principales phases de rejets. Aussi, et particulièrement pour le Cedrosan-saladoïde, le fonctionnement global des dépotoirs entre eux est difficile à synchroniser plus précisément, au-delà de la sous-série. Si la chronologie relative de chaque dépotoir peut être déterminée, il apparaît impossible d’établir une mise en phase des unités dépotoirs afin d’appréhender globalement l’évolution spatiale et chronologique du village.

Les résultats acquis pour le site de Hope Estate démontrent que les dépotoirs y sont stratifiés et que des unités stratigraphiques homogènes et peu perturbées, utilisées comme référentiel, peuvent être isolées. Leur analyse est donc pertinente outre la difficulté à appréhender ce type de gisement à occupations multiples, dont la complexité apparaît inhérente au mode de formation même du site. L’ensemble de ces facteurs fait qu’il est très délicat d’établir des corrélations spatiales et chronologiques entre les dépotoirs, la zone d’habitat et les sépultures.

2.2.1.10.4 Les problèmes d’accession à la chronologie interne du site

Si les deux grandes périodes d’occupation du site sont délimitées chronologiquement et spatialement (fig. 346, 347), en revanche, comme nous l’avons vu à travers l’étude des dépotoirs et de l’aire d’habitat, le séquençage interne de chaque phase et particulièrement celui du Cedrosan-saladoïde, apparaît difficile. En somme, les critères qui s’avéraient être les plus pénalisants pour la chronologie du site, soit la complexité stratigraphique des dépotoirs, ont été contournés par des méthodes de fouille très fines qui ont permis de définir une chronologie relative pour chacun, mais ce sont en réalité d’autres facteurs qui pénalisent le plus l’accès à la chronologie interne du site. Le premier est l’absence de relations stratigraphiques entre les dépotoirs, donnée somme toute inhérente et incontournable aux gisements du Néoindien à occupations multiples et de longue durée, qui aboutissent à des séries d’amas indépendants. Le deuxième facteur pénalisant est le manque de datations radiométriques systématiques dans toutes les unités dépotoirs cohérentes.

Le troisième facteur identifié est lié à la céramique du Cedrosan-saladoïde et deux aspects ayant un lien de causalité sont identifiés. Il s’agit d’une part de l’homogénéité des productions cedrosan-saladoïdes dans les Iles du Nord, constat en définitive que très rarement effectué (Versteeg 1992, Faber Morse 2001) et qui se traduit ici par la permanence des formes et des décors à travers l’occupation du site. D’autre part, les critères définis par Irving B. Rouse pour identifier la céramique du Cedrosan-saladoïde ancien et récent (Rouse 1992) ne sont pas exploitables à Hope Estate ainsi que sur d’autres sites des îles du Nord (Versteeg 1992), comme l’avait fait remarquer tardivement cet auteur (Rouse 1995, Rouse, Faber Morse 1998). Le manque de critères distinctifs pour déterminer une éventuelle évolution au sein du Cedrosan-saladoïde est donc majeur dans l’accession à la chronologie interne du site pour cette phase. Comme cela a été mentionné dans le chapitre sur la céramique, la sériation proposée au début des recherches entre le Cedrosan-saladoïde ancien et récent, d’après le mobilier céramique (Haviser 1991, Bonnissent et al. 2002b) s’est avérée si ténue qu’elle a été abandonnée, sachant que les différences observées peuvent être du domaine du spatio-fonctionnel comme du temporel.

Ainsi on détermine pour le gisement de Hope Estate deux principales phases, une huecan initiale et une postérieure cedrosan-saladoïde, bien que la durée d’occupation du site induise forcément au sein de la sous-série cedrosan-saladoïde un séquençage plus fin. L’antériorité du Huecan est donc attestée par la présence de dépôts clairement distingués par leur position stratigraphique, par la céramique et des datations précoces.

2.2.1.10.5 Des éléments de réponse

Quelques éléments de réponse peuvent être apportés aux principales interrogations sur le Huecan, soit l’existence d’une sous-série ou d’une série, antérieure ou contemporaine du Cedrosan-saladoïde. Le gisement de Hope Estate atteste de productions différentes du Cedrosan-saladoïde, selon les critères d’Irving B. Rouse (Rouse 1992), d’après les études précédentes du site (Haviser 1991, Hofman 1999) et surtout d’après l’analyse réalisée dans le cadre de ce travail qui montre une antériorité stratigraphique et chronologique du Huecan. Aussi, il apparaît nécessaire de distinguer culturellement ces productions. Comme le Huecan témoigne d’une maîtrise technologique des productions matérielles qui n’est pas apparue spontanément dans les Antilles, l’hypothèse la plus vraisemblable est que son origine est continentale et issue d’une migration dans l’archipel, théorie généralement admise par l’ensemble de la communauté des chercheurs (Chanlatte Baik 1990a, Chanlatte Baik, Narganes Storde 1983, 1990, Rodríguez López 1989, 1991a, Rouse 1992). Il apparaît donc que le statut de sous-série soit plus approprié que celui de série, et que le terme simple de « Huecan »,

choisi dans le cadre de ce travail, soit conservé tant que l’appartenance à une série continentale n’est pas clairement établie.

Par ailleurs, les traits stylistiques communs au Huecan et au Cedrosan-saladoïde, observés sur la céramique, pourraient indiquer une filiation. Ce sont ces traits stylistiques communs qui ont conduit Irving B. Rouse à rassembler ces productions céramiques dans la même série Saladoïde, ce qui apparaît problématique puisque les productions huecans s’avèrent antérieures, au moins à Hope Estate, et que leur origine n’est pas reconnue dans l’aire Saladoïde continentale.

Dans la dernière publication de synthèse sur la chronologie des Petites Antilles, la sous-série huecan-saladoïde d’Irving B. Rouse disparaît pour redevenir un « style » (Petersen et al. 2004). Dans les Grandes Antilles le « complexe La Hueca » est inclus dans la série « Saladoïde » mais présenté dans une reprise de la charte chronologique d’Irving B. Rouse en tant que sous-série huecan-saladoïde (Curet et al. 2004). Concernant le Cedrosan-saladoïde ancien et récent, cette distinction n’est plus effectuée dans la dernière charte spatio-temporelle produite en 1998 par Irving B. Rouse (Rouse, Faber Morse 1998). En revanche, dans une synthèse sur la chronologie des Petites Antilles (Petersen et al. 2004), l’ancienne subdivision entre le Cedrosan-saladoïde ancien et récent est déterminée autour 300-400 AD, celle-ci n’est pas perceptible sur le site de Hope Estate, ni dans le nord del’archipel.

L’occupation du site de Hope Estate se distingue donc par l’individualisation nette d’une première occupation huecan puis d’une seconde cedrosan-saladoïde qui apparaît très homogène culturellement. Ce schéma diffère du cadre actuel qui intègre les productions huecans au Cedrosan-saladoïde et divise cette dernière sous-série autour de 300-400 AD en deux phases, une ancienne et une récente (Petersen, Hofman, Curet 2004). Cette distinction n’a pu être établie lors de la deuxième étude de la céramique du site de Hope Estate (Hofman 1999) représentant pourtant sur un échantillon conséquent de 29 527 tessons soit 215,4 kg : « The Hope Estate component comprises pottery of the Cedrosan Saladoid subseries. The present sample is not sufficient to distinguish different phases of Cedrosan Saladoid pottery. It is assumed that zoned-incised crosshatched decoration is largely Early Cedrosan Saladoid whereas the Late Cedrosan Saladoid pottery is decorated especially with white-on-red and polychrome painted decorative motifs and modelled-incised adornos » (Hofman 1999).

Dans le cadre des recherches que j’ai réalisé entre 1994 et 2000, malgré l’importance du corpus des céramiques, l’étude typologique détaillée et la précision des données stratigraphiques, il n’a pas été possible de distinguer différentes phases dans le Cedrosan-saladoïde. Il faut donc reconnaître certaines spécificités au gisement de Hope Estate et plus généralement au Cedrosan-saladoïde des

Iles du Nord, aspects qui seront débattus dans le chapitre 3.3 de synthèse sur le Néoindien ancien.

Nous allons maintenant examiner l’exemple de deux occupations cedrosan-saladoïdes contemporaines de Hope Estate, tournées vers l’exploitation du milieu marin : Ilet Pinel Ouest et Cul-de-Sac.