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Une stéatopygie et le fameux tablier hottentot (hypertrophie des petites lèvres de la vulve), attributs anatomiques retrouvés chez les femmes de cette ethnie africaine, voilà les caractéristiques physiques qui lui ont valu le statut d’objet d’étude scientifique. Les yeux baissés, la bouche entrou-verte, le visage figé dans une peine éternelle, la vénus nous apparait honteuse. Honteuse d’être exposée ainsi, nue, livrée aux regards mo-queurs, malsains des visiteurs du musée. Si les hommes et femmes qui se sont pressés devant son moulage avaient connu sa vie, il y a fort à parier que ce sont eux qui auraient baissé les yeux face à elle.

Son histoire commence vers 1789, lorsque Sawtche voit le jour en Afrique du Sud. Fille métisse d’une Bochiman et d’un Hottentot, elle naît très certainement esclave dans la ferme d’un Boer (paysan hollandais). Adolescente son corps se transforme et les caractères physiques typiques de son ethnie se développent. Ses maitres voient en elle une opportu-nité de gagner de l’argent. On lui fait miroiter fortune et liberté pour la convaincre de rejoindre l’Angleterre afin de la mettre en scène. Tabac et alcool termineront de la soumettre. Saartjie Baartman, comme on l’ap-pelle désormais, part accompagnée de son maitre. Ils arrivent à Londres en 1810. Là elle est exhibée dans des spectacles où les anglais viennent nombreux pour regarder et toucher une sauvage. La « Vénus hottentote » est née. Puis c’est à Paris, l’été 1814, qu’on la retrouve, continuant ses exhibitions. Elle passe alors de maitre en maitre, de mains en mains, montrée comme une bête de foire. Elle acquiert une certaine notoriété auprès du public parisien. Et voilà que les savants du muséum d’his-toire naturelle s’intéressent aussi à elle. En mars 1815, à la demande du professeur Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, administrateur du MNHN, Saartjie est exhibée nue devant plusieurs savants afin d’être étudiée. Parmi eux se trouve Georges Cuvier, professeur d’anatomie comparée. Celui-ci reste frustré par cette observation car l’hottentote ne le laissera jamais regarder son tablier. Abimée par la vie, la vénus meurt le 29 décembre 1815. Lorsque Cuvier apprend son décès, il récupère aussitôt le corps de la malheureuse pour compléter ses observations. Il pratique une autopsie, prélève la vulve et le cerveau pour les conserver dans des bocaux de formol, extrait le squelette et réalise un moulage en plâtre. Ses restes ne seront jamais inhumés. Les travaux de Saint-Hilaire et Cuvier viennent renforcer la thèse qui suggère que les Hottentots

cultures populaires, cultures informelles

sont le chaînon manquant entre l’homme et le singe. Curieux héros de la science dont les noms baptisent fièrement les rues adjacentes au mu-séum d’histoire naturelle.

Le concept scientifique de races apparaît en Europe entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle puis gagne les autres continents. Au XIXe siècle l’anthropologie est une science en plein développement. A cette époque les pays occidentaux pratiquent le colonialisme et l’esclavagisme, ils se doivent de justifier leurs actes. La science justement vient permettre de légitimer leurs pratiques. On voit se développer les théories du racisme scientifique. Des chercheurs tentent de prouver que l’homme de couleur est inférieur à l’homme blanc. Lors des expositions universelles, les pays organisateurs exhibent aux publics les populations de leurs colonies, bien souvent avec l’aide d’anthropologues. Il faut montrer que sans eux, ces pays seraient encore sauvages. Pour appuyer leurs théories, les savants effectuent de nombreuses mesures, ils veulent comparer le plus de peuples entre eux et il n’est pas rare qu’ils trouvent « leurs spécimens » dans les foires. La science est synonyme de progrès pour la société, mais le progrès peut-il être obtenu à n’importe quel prix ? La science transforme-t-elle le monde dans lequel nous vivons ou est-ce la société qui influence les recherches scientifiques ? Qui gouverne qui ? La science est ancrée dans la société et leurs mutations vont de pair. Lorsque l’un des deux commet un faux pas, l’autre est entrainé dans sa chute.

L

orsque j’étais enfant, un de nos rituels nécessitait un coffret défraîchi ayant appartenu à ma grand-mère. La première fois que mon père avait sorti cette vielle boîte écornée, j’avais soupiré, redoutant une nouvelle lubie de collectionneur. Pourtant, je m’étais vite prise au jeu, au sens littéral. En effet, cet écrin rouge renfermait un loto dit « instructif et amusant ». Pour-tant féru d’objets liés aux sciences et techniques, mon père n’a jamais réussi à trouver son éditeur, ce fameux « H.C. » gravé sur le devant de la boîte. Ce jeu revêtait un intérêt tout particulier pour lui, au-delà de son attachement sentimental. En effet, il avait été édité lors de l’exposition universelle de Paris de 1889, image flagrante de la révolution industrielle en marche accessible à tous les publics. Ainsi, ce jeu avait participé, à son échelle, à l’éducation scientifique des foules. Même si je doute, étant donné la valeur de l’objet, qu’il ait été vraiment abordable pour les classes populaires. Le jeu est orga-nisé en 24 cartons, chacun composé de deux scénettes représentant grands inventeurs et explorateurs. Je me souviens encore de ma scénette préférée, figurant Vaucanson au milieu de ses automates. En quelque sorte, ce jeu a posé les premières bases de mon initiation scientifique, bien que je sache