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le chirurgien star, le bistouri et la caméra

Sa renommée est telle que l’on se précipite pour voir le maître à l’œuvre. Bien qu’interdit d’enseignement, étudiants et bourgeois se pressent autour de cette table d’opération dite « lit de Doyen » qu’il vient d’inventer et qui préfigure les tables actuelles. Ouvert aux techniques nouvelles, sa clinique privée comporte un service de photographie et de cinématographie avec un laboratoire et un studio de prises de vues.

Depuis 1898, Doyen utilise la technique cinématographique, à peine naissante, comme outil de recherche et d’enseignement des techniques modernes de chirurgie. Pour Doyen, une opération doit être la plus brève possible afin de ne pas contaminer la partie opérée. L’étude des films lui permet d’éliminer le maximum de gestes inutiles et d’être le plus rapide possible. Dans un double souci permanent d’aseptisation et d’ensei-gnement, la captation lui permet aussi de vider la salle opératoire de ces « élèves qui ne l’encombreront plus inutilement, où ils assistent bien souvent en curieux…». En effet, la salle est souvent envahie autant par des étudiants en médecine pour voir œuvrer le maestro, que par des amis, des relations ou de simples admirateurs. Doyen fait parti des personnalités de premier plan. Il a une vie mondaine considérable. Il est l’un des méde-cins qui ont servi de modèles au personnage du docteur Cottard dans A la

recherche du temps perdu de Marcel Proust.

Aussi se masse-t-on, désormais, dans la salle de conférence équipée d’un projecteur.

Malgré l’extrême difficulté de l’opération et le temps très bref imposé par la technique cinématographique, la séparation de Doodica et Radica est un succès. Doyen compte alors sur ce film, comme moyen de communi-cation scientifique, déroulé minute par minute d’un événement chirurgical rarement réussi. Car la captation intéresse au premier chef toute la communauté scientifique internationale.

Mais quelques semaines plus tard, le film se retrouve à la Foire du trône dans un cinéma forain, pour la plus grande joie effrayée des spectateurs.

C’est Ambroise-François Parnaland, le patron des studios et laboratoires Eclair, qui a tiré un contre-type de l’opération. Il a vendu une copie à la Cie Pathé. Le succès est tel que l’un des moments de l’opération orne, en bas relief, la façade d’une baraque foraine.

La Cie Pathé possède un Catalogue de films d’enseignement scientifiques et médicaux qui alimentent les théâtres cinématographiques des grandes

cultures populaires, cultures informelles

fêtes foraines. C’est l’époque où le champ de foire voit se côtoyer car-rousel, barbe à papa, stand de tirs et cabinets de curiosité. Les visiteurs peuvent y découvrir les dernières merveilles de la science aussi bien que les monstres de la nature, des nains et des géants, des femmes à barbe et des hommes-troncs, des hommes-éléphants, et les sœurs siamoises Doodica et Radica.

Il est tentant de voir dans ce double usage du cinématographe, la préfiguration d’un cinéma pédagogique et vulgarisateur et d’un cinéma de divertissement qui serait l’ancêtre des séries télévisées médicales comme « Urgence » ou « Docteur House ». Parce que le geste est volontaire et raisonné, le rapprochement est bien réel en ce qui concerne l’usage du ci-néma comme vecteur de diffusion des composantes scientifiques et tech-niques de la culture. Les documentaires et les dizaines de festival du film scientifique qui se sont mis en place dès les années 1900, en témoignent. Il reste cependant historiquement abusif d’en faire un antécédent des séries télévisées, parce qu’ici le geste est malveillant et irraisonné. Mais il n’en comporte pas moins l’indice d’un engouement pour un spectacle qui voit les lieux et l’acte médical sortir de l’intimité et du secret qui le carac-térisent. De cette cinématographie naît deux types de publics nouveaux. L’un est amateur, curieux d’innovations et d’exploits scientifiques et tech-niques. L’autre est un public friand de divertissements fantastiques.

“Monument de l’automobiliste” par Jules Dalou érigé en 1907 – actuellement au square Alexandre-et-René-Parodie - « Monument à Levassor 1907 » par Siren-Com — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:-Monument_%C3%A0_Levassor_1907.jpg#/media/File:Monument_%C3%A0_Levassor_1907.jpg

P

lace de la porte Maillot ; Un flot de voiture incessant ; Un bruit assour-dissant. Coincé entre le périphérique et les grands boulevards, le square Alexandre-et-René Parodi apparaît comme un îlot de verdure qui contraste avec le gris des grandes artères routières. Pour y accéder, il faut emprunter un passage souterrain.

Parmi les allées désertes bordées de bancs se dresse un cadre de pierre richement orné. A l’intérieur du cadre, c’est l’effervescence. Pierre Giffard, directeur du Petit journal est là, au bras de sa femme, pour saluer l’exploit. Derrière, la foule est venue acclamer l’arrivée triomphale d’Émile Levassor au volant de son bolide, La Panhard. Penché en avant sur son « automo-bile sans chevaux », le visage déterminé, il vient de franchir l’arrivée de la course historique Paris-Bordeaux-Paris, en un temps record de 48 heures et 47 minutes. Sa femme, Louise, un pichet d’eau à la main, se précipite pour accueillir le héros. Quel exploit ! Une moyenne de 24 km/h avec des pointes à 30 km/h….. La scène se déroulait au printemps 1895.

C’est en 1898 que Pierre Giffard, directeur du Petit Journal, lance une souscription publique pour financer la réalisation d’un monument à la gloire