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Niveaux segmental et suprasegmental

Les variables temporelles

1.5. Influence du débit sur le traitement de la parole

1.5.1. Niveaux segmental et suprasegmental

Il est bien connu qu'un changement de débit affecte les propriétés segmentales et phonétiques d'un énoncé. En effet, une variation de débit ne constitue pas une simple extension ou réduction du signal sonore, mais affecte les propriétés acoustiques et phonétiques qui caractérisent les différents segments phonétiques de la chaîne sonore.

Ces modifications acoustico-phonétiques concernent tant les voyelles que les consonnes (Zellner, 1998; Duez, 1999), mais aussi leur perception (voir Miller (1981) pour une revue de la littérature détaillée).

En ce qui concerne les voyelles, un changement de débit entraîne des modifications spectrales et temporelles. Ainsi, il a été montré que les voyelles produites à un débit rapide sont sujettes à une réduction spectrale (Lindblom, 1963; Moon & Lindblom, 1994). Elles ont en effet tendance à devenir plus centrales à débit rapide, et s'approchent par conséquent davantage d'un schwa. Toutefois, les recherches à ce sujet ont révélé que les auditeurs adaptaient leur système perceptif selon les variations de débit et étaient capables, malgré la réduction vocalique, d'identifier les voyelles correctement (Verbrugge & Shankweiler, 1977). Il a par ailleurs été reconnu qu'un changement de débit a une incidence sur les propriétés temporelles des voyelles (Kessinger &

Blumstein, 1998; Allen & Miller, 1999). En fait, il n'influence pas seulement leur durée absolue, mais également leur durée relative. En effet, la différence de durée entre deux voyelles peut varier en fonction du changement de débit (Port, 1976). Pourtant, comme

pour la réduction vocalique, il semblerait que les auditeurs mettent en œuvre une sorte de normalisation perceptive et que les voyelles soient perçues de manière différente selon le débit auquel elles sont présentées (Gottfried, Miller & Payton, 1990). En outre, la différence de durée entre deux voyelles peut se combiner avec d'autres facteurs, tels que l'accent lexical. Pasdeloup (2004), par exemple, a démontré que le contraste entre la durée de syllabes accentuées et non-accentuées (et donc des voyelles) augmentait lorsque le débit diminuait.

Au niveau des consonnes, il semblerait qu'un changement de débit exerce davantage un impact sur leurs propriétés temporelles que spectrales. Relevons toutefois qu'une modification de débit exerce aussi une influence sur les consonnes au niveau articulatoire. Byrd & Tan (1996) ont montré qu'un débit rapide entraînait non seulement une réduction de la durée des consonnes, mais également un chevauchement articulatoire entre deux consonnes plus important qu'à un débit normal. Au niveau temporel, un des sujets les plus étudiés est la modification du VOT (voice-onset time ou délai d'établissement du voisement) en fonction du débit. Le VOT distingue les consonnes occlusives sourdes et sonores en syllabe initiale en anglais: un VOT long correspond à une occlusive sourde, alors qu'un VOT court correspond à une occlusive sonore. De nombreuses études ont montré que le VOT variait systématiquement en fonction d'un changement de débit: le VOT diminue lorsque le débit s'accélère, surtout en ce qui concerne les consonnes occlusives sourdes (Volaitis & Miller, 1992;

Kessinger & Blumstein, 1998; Allen & Miller, 1999). Les chercheurs se sont, en outre, penchés sur les conséquences perceptives de la modification du VOT selon le débit. Il est alors apparu que les auditeurs adaptaient leur perception des consonnes en fonction du débit. En effet, les études de Miller & Volaitis (1989) et Allen & Miller (2001) ont révélé, premièrement, que le débit influençait la frontière perceptive entre les catégories phonétiques: par exemple, à un débit lent, les auditeurs avaient besoin d'un /p/

présentant un VOT plus long pour percevoir un /p/ plutôt qu'un /b/. Deuxièmement, les résultats ont suggéré que le débit affectait la structure interne des catégories phonétiques: à un débit lent, les auditeurs considéraient comme de bons représentants de la catégorie /p/, les /p/ qui présentaient un VOT plus long qu'à un débit rapide. Ainsi, les diverses recherches traitant des changements acoustico-phonétiques produits par une variation de débit ont démontré que l'auditeur était sensible à cette dernière lors de sa

Zellner (1998), de son côté, a montré que la variation du débit impliquait non seulement des variations complexes au niveau de la durée des unités sonores, mais également une recomposition de la chaîne phonologique, traduite par des ajouts, des suppressions ou des réalisations différentes de certaines syllabes. Par exemple, un débit lent engendre généralement la création d'une syllabe supplémentaire par la production de schwas en fin de mot (ex.: va / ga / bon/ de) ou au moyen de la diérèse (ex.: dé/ fec / tu/ eux). Par ailleurs, Trouvain (1999) et Koreman (2003) ont noté qu'un débit rapide entraînait un grand nombre de réductions syllabiques par rapport à la forme canonique de l'énoncé.

En ce qui concerne le niveau suprasegmental, Feldstein & Bond (1981) ont souligné que le débit, la fréquence fondamentale et l'amplitude étaient des variables directement liées les unes aux autres, et que par conséquent, "slow speech is likely to be uttered more soflty and at a lower pitch than rapid speech" (p. 387). En ce qui concerne l'intonation (ou la fréquence fondamentale10) par exemple, les recherches se sont focalisées sur sa réalisation non seulement phonétique (modification de la forme du contour mélodique et de l'intensité de son mouvement), mais également phonologique (réduction ou élimination de certaines frontières prosodiques). Fougeron & Jun (1998) ont premièrement montré que le débit affectait les caractéristiques phonétiques de la fréquence fondamentale. Une accélération du débit entraînait une réduction de l'écart de F0 (pitch range), ainsi que de la différence entre F0 maximale et minimale (pitch displacement), la F0 maximale tendant à diminuer à débit rapide. Deuxièmement, les auteurs (comme Trouvain & Grice (1999), d'ailleurs) ont trouvé qu'une variation de débit modifiait la structure prosodique de l’énoncé: outre le fait que certaines frontières prosodiques étaient supprimées ou atténuées à débit rapide, la réalisation des différents tons était également affectée par un débit rapide.

En résumé, il apparaît qu'une variation de débit exerce une influence tant au niveau segmental que suprasegmental. Les études ont montré que non seulement les diverses caractéristiques segmentales et suprasegmentales (durée, amplitude, F0) des segments sont touchées par une modification de débit, mais aussi que l'organisation prosodique d'un énoncé dépend du débit.

10 Cf. Note 9.