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3. Une approche contextuelle de l’analyse de ON

3.3 Le niveau méso

Le niveau méso constitue le niveau linguistique intermédiaire, analysé par la mésosémantique.

3.3.1 Unités du plan de l’expression

La mésosémantique constitue un niveau intermédiaire, liant les éléments du niveau du morphème, décrits par la microsémantique, aux structures du niveau de texte, décrites par la macrosémantique. Sur le plan de l’expression, la mésosémantique concerne le syntagme et la période (Rastier, Cavazza & Abeillé 1994 : 116). Cette approche constitue donc une rupture avec la linguistique de la phrase, en partie parce qu’elle privilégie les relations sémantiques et, dans un moindre degré, les relations syntaxiques. Rastier, Cavazza & Abeillé affirment que « [...] à l’autonomie syntaxique qui refléterait la complétude et l’autosuffisance de la prédication, on doit opposer les relations sémantiques qui rattachent toute phrase à son contexte linguistique et situationnel. » (ibid. : 115). À la place de la phrase, ces auteurs proposent le syntagme et la période comme des unités analysées du niveau méso. La période sera l’unité principale d’analyse. Cette unité est définie à partir des relations sémantiques suivantes :

« Ses limites sont rhétoriques plutôt que logiques : à l’oral, la période est une unité respiratoire ; à l’oral comme à l’écrit , c’est une unité de localité sémantique, définissable par des relations privilégiées (d’anaphore et de

coréférence notamment) qui s’établissent au sein d’une suite de syntagmes. » (ibid. : 116).

Par l’inclusion de contextes plus larges, cette approche permet de résoudre des cas d’ambiguïté qui n’ont pas pu être résolus dans le cadre de la phrase. En ce sens, elle semble prometteuse pour l’analyse de ON. Elle nous semble également pertinente dans la mesure où ce sont les aspects sémantiques qui jouent le rôle principal dans l’analyse de ce pronom. Dans le cas de la sémantique, il n’y a pas d’unité donnée a priori comme c’est le cas pour la syntaxe, où la phrase est l’unité « par défaut » de l’analyse. Pour cette raison, il nous semble donc pertinent d’adopter une approche ouverte sur les différentes unités d’analyse. Cependant, il nous semble qu’il serait en effet difficile d’appliquer ces unités dans des analyses empiriques. Pour cette raison, nous emploierons également l’unité de la phrase dans les analyses de ON au plan méso.

3.3.2 Unités sémantiques

L’unité sémantique principale de la mésosémantique est l’isotopie, c’est-à-dire des chaînes sémantiques. Les isotopies sont constituées par la récurrence de traits sémantiques décrits par la microsémantique. Le sème répété est dit sème isotopant, et quand un sème déterminé est présent dans plusieurs éléments linguistiques co-occurrents, il y a isotopie. Comme il s’agit d’un phénomène contextuel, les sèmes afférents et les sèmes inhérents ont le même potentiel isotopant (1996a [1987] : 82). Pour décrire les isotopies, Rastier affirme que :

« On peut distinguer entre les isotopies induites par la récurrence d'un trait spécifique (ex. : /inchoatif/ dans L'aube allume la source (Éluard), où ce trait est récurrent dans ‘aube’, ‘allume’ et ‘source’) ; ou d'un trait générique (comme /navigation/ dans L'amiral ordonna de carguer les voiles). On distingue aussi celles qui sont prescrites par le système fonctionnel de la langue (les isosémies selon Pottier) et celles qui sont facultatives parce ce qu’elles relèvent d’autres systèmes de normes (et pour lesquelles nous conserverons le terme général d’isotopies). » (Rastier, 2005c).

Les isotopies sont donc constituées par la récurrence d’un sème. Mais pourquoi cette récurrence induit-elle une isotopie et quelle est la nature de cette opération ? Il faut d’abord noter que l’identification de la récurrence des traits sémantiques reste plus floue que celle des liens morphosyntaxiques, car les sèmes ne sont pas empiriquement

observables, c’est-à-dire qu’ils sont toujours sujets à interprétation. L’isotopie est réalisée à partir d’opérations interprétatives, et plus précisément par la présomption d’isotopie.

3.3.3 Opérations interprétatives

L’opération interprétative principale au niveau méso est la présomption d’isotopie. Cette opération consiste en l’hypothèse d’une unicité sémantique induite par la récurrence d’un sème dans des éléments co-occurrents. Il nous semble qu’il y a là une analogie avec la notion de bonne forme dans la Gestalt-théorie. Pour preuve, citons cette application de la notion de bonne forme aux phénomènes linguistiques proposée par Victorri & Fuchs (1996 : 42) :

« […] dans certains énoncés, les unités linguistiques s’agencent de telle façon que chacune d’entre elles contribue à préciser la signification des autres de manière harmonieuse, donnant ainsi un sentiment de stabilité et de cohérence du système tout entier […] »

Cette approche nous semble pertinente pour décrire la relation complexe entre la présomption d’isotopie et les sèmes constituants de l’isotopie. Rastier pose l’hypothèse suivante : « […] ce n’est pas seulement la récurrence de sèmes donnés qui constitue l’isotopie, mais la présomption d’isotopie qui permet d’actualiser des sèmes, voire les sèmes. » (Rastier 1996a [1987] : 12)

3.3.4 Pertinence pour l’analyse de ON

La notion d’isotopie constituera une partie principale de la description du fonctionnement discursif de ON présentée dans ce travail. Nous soutiendrons que l’interprétation de ON est faite à partir de l’identification de sèmes (comme /indéfini/, /personnel/ etc.). Cette identification se fait à partir du contexte sémantique, c’est-à-dire des isotopies dont ON fait partie. Ce sont précisément la co-occurrence avec les autres éléments du contexte et la récurrence des sèmes isotopants qui permettent d’assigner une interprétation déterminée à ON. Regardons la répétition du sème /féminin/ en (15) :

Dans cet exemple, le sème /féminin/ est afférent à ON58 et inhérent au suffixe –e dans partie. C’est la co-occurrence de ces deux éléments qui permet l’actualisation du sème féminin. Le sème /féminin/ afférent à ON est actualisé par la co-occurrence du suffixe –e de partie, mais l’actualisation du sème /féminin/ dans celui-ci présuppose à son tour la co-occurrence avec ON. Il est donc précisément la présomption d’isotopie qui permet la réalisation du sème /féminin/ dans les deux éléments.

Ensuite, nous soutiendrons qu’une analyse basée sur la notion d’isotopie permette de rendre compte du caractère réciproque de l’influence du contexte sur l’interprétation de ON et vice versa. Selon nous, les régularités des éléments co-occurrents avec ON, réalisant les mêmes sèmes dans des contextes relativement stabilisés, indiquent qu’il y a une influence mutuelle entre ON et le contexte. Si certains éléments59 tendent à indiquer des interprétations déterminées de ON, c’est en partie parce que ces éléments ont eux-mêmes des interprétations stabilisées dans les emplois co-occurrents de ON. Par conséquent, nous proposerons que c’est précisément la stabilisation de certains contextes ou isotopies dont ON fait partie qui est à l’origine des critères de désambiguïsation.

Pour conclure cette section, nous proposerons une analyse d’un extrait tiré du corpus KIAP, afin d’illustrer la manière dont cette analyse sera employée dans ce travail. Il s’agit d’un extrait d’un article de recherche en médecine. Dans cet exemple ON fait partie d’une isotopie induite par la récurrence des sèmes liés au domaine de la recherche en médecine60.

(16) On a estimé le taux d'hospitalisation pour 1 000 habitants et le séjour par

groupe d'âge et par sexe pour chacune des trois périodes étudiées. Les groupes d'âge utilisés étaient : 0 à 1 an, 1 à 4 ans, 5 à 9 ans, 10 à 14 ans, 15

à 19 ans, 20 à 39 ans, 40 à 64 ans, 65 à 74 ans et 75 ans et plus. Les taux

d'hospitalisation de 1994-1995 ont également été classés par mois

d'admission. Des tests paramétriques ou non paramétriques (test t, analyse

de variance ou test de Kruskall-Wallis) ont permis de vérifier la signification statistique des écarts entre le séjour moyen des patients selon le mois

d'admission, le groupe d'âge et le sexe. On a effectué une analyse de la

variance à deux facteurs pour l'âge et le sexe. (frmed02)

58 On pourra discuter dans quelle mesure ce sème est afférent ou inhérent à ON.

59 Il s’agit des éléments comme le temps verbal et le sémantisme du verbe et les adverbes co-occurrents.

Il s’agit d’un extrait de l’introduction de l’article qui résume les données et les tests statistiques entrepris par les auteurs. Il y a une récurrence des éléments référant à la quantification des données, comme le taux, les classés, les tests paramétriques ou non paramétriques et la signification statistique. La récurrence du sème /scientifique/ à travers ces éléments induit une isotopie sémantique liée au taxème de la statistique et des connaissances quantifiables. Le pronom ON est à son tour associé à cette isotopie comme un agent du procès de recherche (On a estimé le taux ... On a effectué une analyse ...). Nous dirons que ON fonctionne comme un facteur de cohérence dans la constitution d’isotopie, en ce sens que ce pronom, en tant qu’agent, associe les différents éléments dans un procès cohérent. L’isotopie des éléments décrivant la recherche contribue à son tour à l’interprétation de ON. Comme cette isotopie est liée à la description d’un projet de recherche déterminé, il est probable que ON réfère à l’équipe de chercheurs, qui constitue donc la référence par défaut de ON. Cette interprétation est renforcée par d’autres éléments co-occurents, qui ne font pas explicitement partie de l’isotopie des éléments liés à la recherche, mais qui font partie d’une isotopie attribuant une valeur référentielle personnelle aux occurrences de ON. L’emploi du passé composé, forme verbale souvent liée à ON référant à des personnes déterminées corrobore une telle analyse. Le sémantisme des verbes de recherche tels que : estimer et effectuer une analyse, va également dans ce sens.

Le fait que cet article décrit un procès de recherche explicitement lié au référent(s) de ON, en tant qu’agent de ce procès, indique une interprétation de ce pronom qui est très proche du pronom NOUS et donc d’une interprétation « personnelle » de ON. Par conséquent, nous pensons que l’isotopie des éléments liés à la recherche contribue à la situation de ON au sein d’un ensemble déterminé.

Cet extrait montre également la fonction importante de l’isotopie au niveau macro. D’abord, l’isotopie contribue à la représentation textuelle du travail de recherche entrepris par les chercheurs. Ensuite, l’association de l’isotopie au pronom ON fonctionnant comme agent de la recherche permet de constituer une figure textuelle d’auteur-chercheur (voir chapitre 4). Ainsi, cet exemple montre aussi l’importance des isotopies sur le plan textuel. L’extrait et son isotopie de recherche constitue une mise en scène de l’activité scientifique qui est compatible avec les contraintes de

genre de l’article de recherche en médecine, ce qui indique à son tour une influence mutuelle entre les niveaux linguistiques micro (sèmes associés à la recherche), méso (isotopies de recherche) et macro (mise en scène de la recherche conforme au genre).