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2. Description du pronom ON

2.4 Sémantique

2.4.2 Le modèle référentiel

Le potentiel référentiel très complexe de ON met la question de la référence au cœur des débats sur ON. La référence est souvent posée comme un critère de la sémantique

pronominale. Comme nous l’avons vu dans la section 2.2.1, Riegel, Pellat et Rioul (1994 : 194) proposent que :

« Sémantiquement, un pronom se caractérise par la manière dont il réfère à ce qu’il désigne dans le discours. À cet égard, les pronoms sont des symboles incomplets (ou des formes ouvertes) dont le sens codé comporte, outre des traits relativement généraux (personne, chose, etc.), des instructions [...] qui permettent à l’interprétant, moyennant diverses procédures inférentielles, d’identifier ce à quoi ils réfèrent. »

Cette description ne nous semble pas entièrement satisfaisante dans le cas de ON. Pour examiner la question de plus près, regardons quelques hypothèses posées dans la littérature sur ce pronom.

Selon les uns, ce pronom n’a pas de référence inhérente, sa référence étant alors sous-déterminée. Ainsi, F. Atlani soutient que « [...] on n’a aucune valeur référentielle » (1984 : 23), tandis que Bouguerra (1999 : 239) parle de la « vacance référentielle » de ce pronom. Selon d’autres auteurs, le potentiel référentiel de ON n’est pas vide de sens, il est tout au contraire caractérisé par une grande complexité. Il s’agit donc plutôt d’une référence sur-déterminée. Ainsi, Jonasson, Fløttum et Norén soutiennent que :

« […] la dénotation « littérale » (en langue) de on serait donc un ensemble indéfini d’humains dont l’extension range d’un seul membre à toute l’humanité. En discours pourtant, on peut viser un individu ou un groupe plus ou moins défini, dont aussi bien le genre que le nombre et le statut énonciatif des membres peuvent être déterminés par le co(n)texte. » (2007 : 48)

Si le pronom ON a un contenu référentiel vide, cela présuppose une notion de la référence qui nous semble contre intuitive. Il nous semble que la notion de vacuité référentielle de ON implique qu’il existe une relation univoque entre un terme linguistique et un référent extralinguistique. Dans ce cas, une occurrence d’une forme permet d’identifier le référent correspondant, sinon le système ne peut être clairement structuré. Dans une telle perspective, si la relation univoque de correspondance forme/référent n’existe pas, alors le terme sera vide de référence. Dans le cas de ON, il n’y a aucun doute qu’il ne s’agit pas d’une simple relation forme/référent. Au contraire, la complexité de la sémantique de ON ne permet d’identifier un référent

qu’en passant par l’interprétation. Dans bien des cas, la référence de ON restera indécidable. Cela nous montre plutôt sa complexité référentielle que sa vacuité référentielle.

Pour examiner de plus près le potentiel référentiel de ON, nous proposerons d’examiner les modes référentiels de ce pronom. Dans cette discussion, il sera utile de se référer à la sémantique pronominale plus généralement.

Comme nous l’avons déjà indiqué, Riegel, Pellat et Rioul (1994 : 194-196) distinguent trois catégories de référence pronominale : déictique, anaphorique et le « sens par défaut » (générique).

D’abord, la référence déictique qui concerne les cas où « […] le référent du pronom est identifié – plus ou moins directement – à partir de l’énonciation même de cette forme. » La paire interlocutoire JE et TU sont exemplaires de la référence déictique car leur sens dérive directement de la situation d’énonciation.

La notion de deixis nous semble essentielle pour la description sémantique de ON. D’abord, cette notion souligne l’autonomie de la catégorie du pronom : il ne s’agit pas d’une substitution du nom (pro-nom) mais d’une catégorie indépendante, dont le sens est à chercher au travers de ses spécificités sémantiques, dont la deixis constitue une partie importante20. Ce fait nous semble particulièrement intéressant au vu de l’origine nominale de ON ; celle-ci étant souvent invoquée dans sa description sémantique.

La dépendance de ON du contexte implique également l’importance de la prise en compte de la deixis dans sa description. Cependant, il nous semble important d’affiner la notion de deixis, pour l’application dans le cas de ON.

20 Agamben (1991 : 19) remarque que les Stoïcistes étaient les premiers à reconnaître le pronom comme une catégorie autonome. Ils ont défini les pronoms comme des arthra deiktika (articulations indicatives). Traçant l’évolution de la catégorie du pronom, Agamben propose que la caractéristique déictique « […] stood for centuries as the specific, definitive trait of the pronominal category. » (ibid.)

Dans cette démarche, nous nous inspirerons des études de deixis proposées par W. F. Hanks21 (1992, 1996, 2000, 2005). Selon Hanks, le phénomène de deixis doit être analysé comme une relation entre le référent et un fonds indexical (indexical origo), constitué par des facteurs liés à la situation énonciative, aussi bien que le contexte culturel au sens large du terme. L’utilisation du terme « déictique » serait donc essentiellement relationnelle. Comme le remarque Hanks (1992 : 70) :

« Although part of grammar, relational features are inherently embodied in communicative contexts and cannot be reduced to any set of would-be objective dimensions, such as spatial contiguity. Each relation is paired with indexical conditions that link modes of access to actual sets of actors under concrete conditions. »

Suivant cette approche, la deixis est analysée comme un phénomène culturel. Par conséquent, les facteurs culturels doivent être pris en compte dans la description du fonds indexical. Pour prendre l’exemple de deixis spatiale, les facteurs comme la situation de travail, les structures familiales et les régimes de propriété pourront tous faire partie du fonds indexical. Il nous semble également pertinent de suivre la proposition de Hanks (2000), selon laquelle le genre discursif doit être inclus dans l’analyse du fond indexical.

Dans la présente étude, cette analyse de la deixis sera appliquée dans la description sémantique du pronom ON. Les facteurs contextuels pris en compte ne sauraient pas être restreints au cotexte immédiat. À notre avis, une approche socio-centrique de la deixis pourra contribuer à l’analyse de l’influence du contexte sur l’interprétation de ON.

Le deuxième mode de référence proposé par Riegel, Pellat & Rioul est la référence anaphorique. Il s’agit d’un mode où « l’identification du référent nécessite le recours à l’environnement contextuel. Le cas typique est celui où le pronom reprend

21 La référence déictique de ON pourra également être étudiée dans les cadres proposés par Jakobson (1963) et Benveniste (1966). Cependant, il nous semble nécessaire d’élargir le contexte auquel le déictique se réfère au-delà de la situation d’énonciation dans un sens restreint. Nous suivrons Hanks qui propose un modèle socio-centrique (et non égo-centrique) de la deixis. La sémiotique de Peirce aurait également pu constituer un cadre très fructueux pour l’étude de la référence déictique de ON, mais nous ne sommes pas en mesure de l’explorer d’une manière satisfaisante dans le cadre de l’étude présente.

intégralement les valeurs référentielles du segment qu’il représente […] » (ibid. 194). Le pronom ON peut prendre le mode anaphorique, comme dans l’exemple suivant :

(7) Le père et moi, on était allés, comme la mère était au lit, les prendre à l’hôpital où on les avait gardées quelques jour pour des soins. (Rochefort 1961 : 145-146)

Dans cet exemple, on trouve deux occurrences anaphoriques de ON. Le premier reprend un groupe nominal, le père et moi, le deuxième se réfère à une situation spatiale déterminée, à savoir l’hôpital.

Finalement, Riegel, Pellat & Rioul parlent de la référence par défaut, c’est-à-dire d’un mode référentiel générique, qui vise les situations où :

« […] ni le contexte, ni la situation d’énonciation immédiate n’offrent la moindre information pertinent susceptible de substituer une constante référentielle à la variable contenue dans le sens pronominal. En général, c’est l’interprétation générique qui s’impose, réduisant la valeur référentielle du pronom à ses seuls traits définitoires stables, sans autre limitation situationnelle ni textuelle. » (ibid. 195)

Ces auteurs proposent que le pronom ON constitue un exemple de ce mode référentiel. La référence générique nous semble en effet bien décrire certains emplois de ON. Cependant, il existe également des cas où la référence générique relève non de la restriction des traits, mais plutôt de leur pluralité. La notion de référence générique peut être complétée par la notion d’indécidabilité proposée par Boutet (1986 : 46). L’indécidabilité se réfère à des emplois de ON à travers desquels il serait impossible d’identifier une valeur précise de celui-ci, comme un flou entre des valeurs différentes. En ce sens, le phénomène d’indécidabilité sera proche de la référence générique par défaut. Cependant, à notre avis l’indécidabilité ne saurait pas être expliquée à travers l’absence d’information, mais plutôt d’un surplus d’information. Par conséquent, on ne saurait parler d’une valeur référentielle réduite, mais plutôt d’une illustration maximale du potentiel référentiel de ON.

Riegel, Pellat et Rioul (1994) soulignent que les pronoms personnels ne sont généralement pas des déictiques ou des anaphoriques « purs » (à l’exception notamment de JE, TU et IL), ce qui nous semble également être le cas pour ON. Nous

voudrions toutefois souligner le potentiel déictique de ce pronom. En effet, il est intéressant de noter que le fonctionnement déictique de ON a été relativement peu exploré dans la littérature sur ce pronom. Dans la présente étude, nous montrerons que le pronom ON pourra être analysé à partir d’un modèle de deixis qui prend en compte des facteurs du contexte tant culturel qu’énonciatif dans l’élaboration du fonds indexical.