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Les points de vue exposés dans les grammaires

2. Description du pronom ON

2.2 Classification grammaticale

2.2.1 Les points de vue exposés dans les grammaires

I. Le Bon Usage

Le Bon Usage représente les grammaires “traditionnelles” et normatives. Cet ouvrage constitue donc un excellent exemple de la classification de ON du point de vue de cette tradition. Les treize éditions de cet ouvrage permettent également de tracer d’éventuels développements au cours de la période de 1936 à 1993.

Dans un mémoire sur le pronom ON, Larsen (1984) examine le développement dans le traitement de ON dans le Bon Usage. Dans la 9eme édition, Grévisse condamne certains emplois de ON pour NOUS comme des vulgarismes ; cette condamnation a d’ailleurs été retirée de la 10eme édition. Dans celle-ci, on souligne la complexité sémantique de notre pronom, ainsi que ses relations de correspondance avec les pronoms personnels. Mais il s’agit là d’une révision d’ordre sémantique, n’affectant

16 Dans cette discussion, nous nous référons au Petit Robert (2007) et Le Trésor de la Langue Française informatisé (http://atilf.atilf.fr/tlf.htm).

en aucun cas la catégorisation grammaticale elle-même, car ON est toujours classifié parmi les pronoms indéfinis.

Dans la 13eme édition du Bon Usage, datant de 1993, ON est classifié parmi les pronoms indéfinis. Cependant, au sujet de l’emploi fréquent de ON pour NOUS, Goosse (1993: 1101) remarque que “Beaucoup de grammairiens ont beau le déplorer, on est devenu un véritable pronom personnel.” Par conséquent, Goosse (1993 : 968) propose « [ON] peut être considéré comme un pronom personnel indéfini [...] »

II. Togeby

La grammaire de Togeby classifie ON parmi les pronoms réfléchis, parce qu’il dépend du verbe et n’a pas de forme libre (Togeby 1965 : 226) ; cette classification nous semble quelque peu étrange.

III. Dubois

Dubois (1965) propose également de classifier ON dans le paradigme des pronoms personnels, sur la base d’un critère de distribution. Selon cet auteur, «[...] les distributions de on ne sont pas [...] celles des autres pronoms dits indéfini, comme aucun, chacun, quelques-uns, etc. ; cela suffirait à nous montrer qu’il s’agit de classes différentes.» (1965: 112). Dubois souligne l’affinité du pronom ON non aux pronoms de la première personne, mais à ceux de la troisième: «On se comporte donc comme il dans ses rapports syntaxiques avec le syntagme verbal [...]» (ibid.). Il soutient que ON constitue la négation du système JE - NOUS – VOUS : « La fonction de on est de se référer d’abord à tout ce qui n’est pas je et tu, nous et vous, c’est-à-dire à ce qui ne s’identifie pas avec les interlocuteurs pris séparément ou en groupe [...]» (1965: 113). Si les affinités entre ON et le singulier de la troisième personne sont incontestables au niveau de la syntaxe verbale, la sémantique de ON, et surtout son usage important pour NOUS dans le français contemporain nous semble indiquer son appartenance au paradigme des pronoms de la première personne.

IV. Wagner & Pinchon

Passons à la Grammaire du Français classique et moderne par Wagner et Pinchon, l’édition datant de 1991. Cette grammaire constitue en effet une exception parmi les grammaires récentes, car elle retient la classification de ON comme pronom indéfini.

Ces auteurs soutiennent même que « L’emploi systématique de on à la place de nous est un vulgarisme » (Wagner et Pinchon 1991 : 213).

V. Riegel, Pellat & Rioul

Par contre, Riegel, Pellat & Rioul (1994)classifie ON parmi les pronoms personnels. Ces auteurs affirment que :

« Sa valeur de base est, en effet, celle d’un pronom indéfini renvoyant à une personne ou à un ensemble de personnes d’extension variable, que le locuteur ne peut ou ne veut pas identifier de façon plus précise [...] Cette indétermination le rend apte à fonctionner comme substitut de tous les autres pronoms personnels en rejetant leur référent dans l’anonymat. » (1994 : 197)

Cette grammaire a le mérite de souligner la sémantique comme un critère décisif pour la description des pronoms personnels. La sémantique pronominale est décrite à partir de la référence, et elle est définie de la manière suivante :

« Sémantiquement, un pronom se caractérise par la manière dont il réfère à ce qu’il désigne dans le discours. À cet égard, les pronoms sont des symboles incomplets (ou des formes ouvertes) dont le sens codé comporte, outre des traits relativement généraux […] des instructions […] qui permettent à l’interprétant, moyennant diverses procédures inférentielles, d’identifier à quoi ils réfèrent. » (1994 : 194)

Ces auteurs distinguent entre les modes de référence anaphorique, déictique et par défaut, dont ce dernier concerne les cas d’indécidabilité. Le mode référentiel du pronom ON n’est pas explicitement caractérisé, mais les auteurs soulignent qu’un pronom puisse avoir plusieurs modes référentiels. À notre avis, c’est le cas pour ON, comme on le voit dans les exemples suivants, représentant les modes anaphorique, déictique et par défaut respectivement :

(1) Marie et moi, on était allées au cinéma (2) On est là depuis une heure

(3) On est prié de ne pas fumer

La référence ne nous semble donc pas être un critère suffisant pour la classification grammaticale de ce pronom. Nous proposerons que le facteur commun de ces emplois ne soit pas leur mode référentiel, mais plutôt leur forte dépendance du contexte. Dans

la spécification des critères sémantiques pour la classification de ON, on devrait donc, nous semble-t-il, avant tout prendre en compte le potentiel pragmatico-référentiel de ce pronom. Nous reviendrons à cette question dans la section 2.4.2.

VI. Sommaire des grammaires

Pour résumer les descriptions des grammaires étudiées ici, on peut retenir que les emplois de ON sont, grosso modo, divisibles en deux catégories : les emplois indéfinis et les emplois définis pour des personnes déterminées. La valeur de l’indéfini est toujours la valeur de base, et les emplois correspondant à d’autres pronoms personnels sont considérés comme des sous-groupes, et souvent classifiés comme des emplois stylistiques.

Plusieurs études portant sur ON divergent sur la question de l’évolution éventuelle de sa description grammaticale. Selon Larsen (1984) il y a eu un développement dans la classification de ON. Cet auteur propose une analyse d’un corpus de grammaires datant de 1928 à 1975. Au début de cette période, le pronom ON a été classifié comme un pronom indéfini. Mais dans des grammaires plus récentes, il fait partie du paradigme des pronoms personnels. Larsen dit que cette réévaluation est probablement liée à deux facteurs : d’abord le fait que les grammaires modernes ont revalorisé le statut de la langue orale, ensuite par le fait que l’emploi de ON pour NOUS a une tendance croissante dans le français contemporain, ce qui renforce la valeur « personnelle » de ON.

Dans un article très intéressant, F. Mazière (1994) présente une méta-analyse de la description du pronom ON dans les dictionnaires du français, ce qui permet de nuancer l’hypothèse de Larsen. Elle rapporte que la classification de ON comme véritable indéfini semble plus accentuée dans une période intermédiaire, entre les premières grammaires et les grammaires modernes, rejetant ainsi l’hypothèse d’une ligne évolutive linéaire. Cette perspective diachronique soutient donc l’impression donnée par l’étude des grammaires, c’est-à-dire qu’il est difficile de classifier le pronom ON, et qu’il est difficile de réconcilier la classification grammaticale avec son emploi à l’oral.

L’analyse diachronique indique également la grande plasticité de la classification grammaticale. Elle semble fluctuer au cours de la période étudiée, sans qu’il soit pour autant possible de constater une ligne évolutive déterminée. Il serait intéressant dans une étude ultérieure d’explorer les facteurs en œuvre dans la classification, en prenant en compte les développements dans le français parlé, aussi bien que les régimes épistémologiques des différentes traditions grammaticales.