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4. ON et genres discursifs

4.4 ON dans des genres déterminés

4.4.4 Corpus oraux

Le discours oral ne constitue bien sûr pas un genre distinct. Les corpus oraux représentent des genres différents comme le font les corpus écrits. Nous avons pu consulter trois études de l’emploi de ON dans des corpus oraux : Norén (2004), Viollet (1988) et Salazar Orvig (1994). Norén et Viollet analysent des corpus comportant des enregistrements de conversations entre adolescents parisiens. Salazar Orvig présente à son tour un corpus d’entretiens avec des patients hémaplégiques, donc provenant d’un contexte discursif plus restreint.

L’étude de Viollet a le mérite d’identifier un ensemble de valeurs de ON à partir du corpus en question. Elle montre comment les valeurs de ON changent et interagissent au cours des conversations, et comment l’emploi de ON est influencé par les sujets abordés. Viollet (ibid. : 69) identifie quatre valeurs distinctes dans son corpus : déictique, anaphorique, « doxa », indécidable. Les valeurs de ON dans ce corpus semblent donc assez proches de ce qu’on pourrait appeler des emplois « transgénériques » de ON, c’est-à-dire des emplois qui ne sont pas restreints à un genre déterminé. Cependant, nous trouvons son analyse de la valeur déictique de ON trop rigide. Au sujet de cette valeur, elle soutient que :

« On permet ici d’associer énonciateur et co-énonciateur en un sujet collectif du processus de parole. Cette valeur de on est spécifique du discours oral, et liée à sa dimension d’interlocution directe. » (ibid. 70).

À notre avis, ces propos sont fondés sur une conception trop étroite de la situation d’énonciation et de la référence déictique de ON. La variation dans les traces de l’énonciation nous semble relever de la différence entre genres et non des différences entre l’oral et l’écrit. La valeur déictique se retrouve également dans des textes écrits et n’est pas restreinte à l’oral ; tous les genres oraux ne sont pas caractérisés par cette valeur non plus98.

Salazar Orvig (1994) présente une étude très intéressante de l’emploi de ON dans un corpus d’entretiens avec des patients hémaplégiques. Il s’agit donc d’une situation discursive très précise et, par conséquent, il nous semble justifié de parler de genre. Cette étude montre des données frappantes en ce qui concerne l’influence du genre discursif sur l’emploi de ON. Salazar Orvig décrit le contexte des entretiens de la manière suivante :

« […] ces entretiens les ont amenés à parler à la fois en tant qu’individus et en tant que patients hospitalisés, appartenant à une communauté donnée. Cette position énonciative, fréquente lors de tels entretiens, se double d’une problématique particulière à cette population : la question des effets de la lésion cérébrale paralysante (ou de l’idée qu’on s’en fait) sur leur propre image. » (Salazar Orvig 1994 : 221-222).

Cette citation montre la complexité des genres oraux et la multiplicité de facteurs à prendre en compte. En raison de cette complexité discursive, Salazar Orvig ne part pas de valeurs distinctes de ON. Elle pose qu’il y a un continuum de valeurs sémantiques, qui interagissent avec le contexte :

« À partir d’une constante (ON renvoie toujours à de l’humain), son interprétation se construit, en interaction avec le contexte, à partir d’un continuum de valeurs définies par deux axes : celui de l’inclusion/exclusion de l’énonciateur et celui du caractère défini ou

98 Dans cette perspective, l’absence des données sur l’emploi de ON dans des genres oraux plus normatifs et conservateurs (le discours parlementaire et juridique par exemple) nous semble dommageable. Des études de ceux-ci pourraient contribuer à la description sémantique de ON, notamment en ce qui concerne son caractère de déictique.

indéfini de leur référence, auxquels se superpose le degré de contrainte exercé par le contexte dans la sélection des valeurs. » (Salazar Orvig 1994 : 222).

Ensuite, elle montre (ibid. : 223) qu’il y a deux zones d’ambiguïté dans l’emploi de ON dans ce corpus. D’abord, il s’agit de la frontière entre d’un côté l’association explicite de l’énonciateur à ON, et de l’autre côté les emplois indéfinis incluant l’énonciateur. Ensuite, il s’agit des emplois incluant l’énonciateur vs. ceux qui l’excluent. Selon elle, le genre discursif a une influence décisive sur les différents emplois et le passage entre eux :

« […] le passage des énoncés à la première personne à des énoncés à l’indéfini. Ces glissements correspondent en général à un changement de genre discursif, dont dépendent également les valeurs référentielles […] Ainsi, l’affinité discursive entre l’indéfini et le présent est souvent le fait d’un discours générique. Son apparition correspond souvent, dans le cadre du récit, à un changement temporel […] corrélatif au passage de la narration au commentaire ou à l’argumentation. » (Salazar Orvig 1994 : 225).

Selon Salazar Orvig, il y a une influence réciproque entre ON et le genre discursif en question. Ainsi, elle soutient que la valeur de ON puisse créer un effet de « généricité » :

« Toutefois, dans certains cas, on peut se demander si le changement de genre est premier ou si le fait même du déplacement de personne (et corrélativement de temps) ne crée pas un « effet de généricité ». » (Salazar Orvig 1994 : 226).

Finalement, Salazar Orvig reprend le thème de l’interaction de ON et les autres pronoms personnels. Elle souligne les similarités entre le pronom ON et le VOUS indéfini, dont l’alternance sera conditionnée par des contraintes syntaxiques (ibid. : 222).

Norén, dans Fløttum, Jonasson & Norén (2007), présente une analyse de l’emploi de ON dans deux genres parlés (l’entretien informel et la conversation ordinaire). La perspective adoptée dans ce travail est interactionnelle et privilégie l’analyse de la contribution de ON à la construction d’identité en discours. Selon Norén, le pronom ON contribue à la construction des espaces « MOI » et « EUX », en alternance avec

d’autres éléments indéfinis. L’espace « MOI » est caractérisé par l’emploi de ON et tout le monde, tandis que l’espace « EUX » est caractérisé par l’emploi de ILS et ou les gens (ibid. : 96-97).

En résumant les études sur les emplois de ON dans des corpus oraux, on peut dire que la caractéristique générale du pronom est de permettre de manœuvrer entre des prises en charge plus ou moins explicites de l’énonciation.